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20 avril 2013 6 20 /04 /avril /2013 22:19
"Le cadre juridique du renseignement doit évoluer"

 

20 Avril 2013 Jean-Dominique Merchet

 

Un entretien avec Bertrand Warusfel, spécialiste du droit de la défense et de la sécurité.

 

Bertrand Warusfel,  avocat et professeur à l'Université de Lille 2, est l'un des meilleurs spécialistes français des aspects juridiques de la défense et de la sécurité. Il a récemment organisé une journée d'études sur "la modernisation et le cadre juridique du renseignement en France". Il a bien voulu répondre aux questions de Secret-Défense.

 

Faut-il faire évoluer le cadre juridique dans lequel travaillent les différents services de renseignement ?

 

Assurément et pour plusieurs raisons. Tout d'abord, quoi que l'on fasse, ce cadre juridique évolue que ce soit par l'effet du droit européen (Cour européenne des droits de l'homme, notamment) ou international (par exemple, développement de la juridiction pénale internationale) ou du fait des dispositions juridiques intervenant dans des domaines connexes. Lorsque, par exemple, la loi Perben 2 du 9 mars 2004 autorise les officiers de police judiciaire à utiliser des moyens spéciaux d'investigation et en contrôle l'application, cela révèle a contrario que lorsque les fonctionnaires du renseignement utilisent ces mêmes moyens (sonorisation, infiltration, usage de fausses identités, ..), il leur manque un cadre juridique approprié.

 

Plus profondément, les sociétés démocratiques sont aujourd'hui soumises à des principes incontournables, au premier rang desquels il y a le primat des libertés fondamentales et du respect de la règle de droit et l'impératif que toute mesure restrictive dérogeant au droit commun (pour des raisons de sécurité nationale) fasse l'objet d'une autorisation législative et soit compensée par la mise en place de mécanisme de contrôle. En d'autres termes, un Etat moderne peut toujours doter ses services de prérogatives exorbitantes mais il doit l'assumer politiquement et l'encadrer juridiquement. C'est pourquoi le livre blanc de 2008 avait justement annoncé "un nouveau dispositif juridique" et une "définition législative des missions des services de renseignement".

 

Abuse-t-on, en France, du secret-défense ?

 

Depuis Montesquieu, l'on sait que tout pouvoir porte en lui le germe de son abus et c'est vrai pour le pouvoir de classifier qui peut permettre d'étouffer certaines révélations gênantes ou bloquer les enquêtes. Mais je pense que la prise de conscience des risques de la sur-classification et de l'usage abusif du secret est aujourd'hui très forte. Les choses ont déjà changé avec la pratique de la CCSDN qui exerce un contrôle assez efficace et qui rend le plus souvent des avis favorables à la déclassification au moins partielle des informations demandées par les juridictions.

 

On pourrait cependant progresser dans deux directions. D'une part, en donnant à la CCSDN, éventuellement remaniée, un pouvoir de décision et non plus un rôle consultatif, afin d'en faire un vrai "juge du secret". D'autre part, en permettant une "judiciarisation" plus aisée des résultats du renseignement. On a déjà commencé avec le nouvel article 656-1 du code de procédure pénale qui permet depuis 2011 à un agent des services de renseignement de pouvoir apporter anonymement son témoignage devant une juridiction. On devrait pouvoir aller plus loin en permettant, par exemple, la déclassification éventuelle d'une interception de sécurité qui serait utile à une instruction en cours, voire en organisant un accès de certains juges habilités à certaines informations classifiées.

 

Selon vous, qu'attendent les professionnels en terme de contrôle juridique et politique de leurs activités ?

 

Il est toujours difficile de répondre pour les autres, a fortiori lorsqu'il s'agit des membres d'une communauté très diverse et qui ne s'expriment que rarement en public. Pour autant, les échanges que nous avons eu par exemple avec certains d'entre eux à l'occasion de notre journée d'études du 4 avril à l'Université Lille 2 montrent que deux soucis sont désormais assez dominants. D'une part, consacrer officiellement la légitimité de leur métier en acceptant la mise en oeuvre de contrôles parlementaires ou administratifs efficaces. D'autre part, fournir aux personnels impliqués dans ces activités un cadre d'emploi clair et des garanties juridiques empêchant la mise en cause de leur responsabilité personnelle dès lors qu'ils ont agi sur instructions de leur hiérarchie et dans la limite des prérogatives que leur reconnaitront les textes.

 

Comment jugez-vous la situation française par rapport à d'autres grandes démocraties ?

 

Je crois que si nous mettons rapidement en chantier l'adoption d'un cadre juridique pour le renseignement (comme cela pourrait résulter des recommandations de révision du Livre blanc ainsi que du rapport de la mission d'information de la Commission des Lois), nous aurons rattrapé une partie importante du retard que la France avait accumulé depuis longtemps. Restera cependant à mettre en oeuvre cette nouvelle révolution juridique et culturelle et cela prendra du temps, puisque les pratiques et les mentalités changent moins vite que les textes.

Mais cela nous permettra aussi de participer pleinement à la réflexion européenne et internationale qui se développe sur ces sujets. La relation délicate entre sécurité nationale et libertés publiques est en effet une problématique mondiale qui concerne tous les Etats et l'enjeu en la matière est ni plus ni moins de faire émerger des standards de référence qui soient à la fois efficaces et équilibrés. La doctrine et la pratique française vont pouvoir y contribuer, dès lors que cette modernisation juridique aura été menée à bien.

 

Lors de votre journée d'études, vous évoquiez la "lente modernisation" du renseignement en France. Qu'est ce que cela signifie ?

 

J'ai utilisé la formule "lente modernisation" pour décrire le processus dans lequel s'est engagé progressivement la système français de renseignement depuis une vingtaine d'années. Il y a effectivement modernisation en la matière, puisque au moins depuis les efforts de réactivation du Comité interministériel du renseignement en 1989, la création de la DRM en 1992 ou la loi du 10 juillet 1991 sur les interceptions, les évolutions se sont succédées jusqu'à l'ensemble de réformes qui ont accompagné le Livre blanc de 2008 : création de la DCRI, d'un coordonnateur national du renseignement et du Conseil national du renseignement, parallèlement à la mise en place de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) et d'une Académie du renseignement.

 

Mais je pense que cette modernisation a été lente, dans la mesure où le système était resté presque inchangé entre 1945 et 1992 et où il aura fallu encore près de vingt ans pour faire advenir des évolutions que beaucoup estimaient déjà indispensables lors des débats préparatoires au précédent livre blanc de 1994 ! Cela est le signe à la fois de la complexité (bien connue) de toute réforme en France et des particularités propres à ce secteur très particulier des affaires de l'Etat.

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