14.10.2013 Par Olivier Berger, grand reporter à La Voix du Nord. - Défense Globale
" Il y a danger pour la France et la Défense. Le problème essentiel est que le politique peut taper autant qu'il veut sur la Défense. Un militaire, c'est bien pratique. On peut tout lui faire, il continuera à mourir pour le pays. "
Cette introduction musclée est du général Vincent Desportes, professeur de stratégie à Sciences-Po et HEC, connu pour son franc-parler et une vision stratégique assez radicale. Nous l'avons rencontré il y a quelques jours avec l'Association des journalistes de défense (AJD).
Attachez vos ceintures : " En ce qui concerne le duo Livre blanc / Loi de programmation militaire, je pourrais, de manière un peu lapidaire, j'en conviens, le caractériser par trois termes : camouflage, enfumage, décrochage. " Ouvrez le ban !
D'abord, le général Desportes trouve que les sorties du Livre blanc et du projet de LPM ont été camouflés : un 29 avril lors d'un grand pont de printemps pour le premier, le 2 août pour le second, " au plus creux de l'été ".
Pour le chapitre " enfumage ", l'ancien chef de corps du 1er régiment de chars de combat ouvre le feu : " On s'acharne à faire croire que le budget de la défense a été préservé. Ce qui est faux. Je ne doute pas que notre ministre soit de bonne foi quand il dit qu'il s'est battu bec et ongles pour préserver la France du pire. Mais il n'en reste pas moins que, de cet exercice, le budget ressort réduit et notre défense dégradée. "
Si tout va mal, 2,5 à 3 milliards manqueront
Il fait parler les chiffres : de 2014 à 2016, le budget perdra " mathématiquement " jusqu'à 600 millions en euros constants ; l'inflation ajouterait 400 millions... " A cette baisse certaine d'un milliard s'ajoute le pari sur les REX (ressources extrabudgétaires) et celui sur la vente à l'export de quarante Rafale. " Pour lui, une chute estimée de 500 à 800 millions par an pour les ressources exceptionnelles et de 700 millions pour le chasseur de Dassault, toujours pas vendu à l'étranger. Le général Desportes effraie en parvenant à un chiffre de 2,5 à 3 milliards par an manquant au budget.
Il dénonce également de possibles renégociations de contrats d'équipement (A400M) et la baisse des surcoût OPEX passant de 630 à 450 millions d'euros. " Respecte-t-on bien ici le principe de sincérité budgétaire quand les surcoûts OPEX sont restés en moyenne à 961 millions par sur la période 2009-2012 et qu'ils ne sont jamais descendus depuis dix en-dessous de 528 millions ? "
Le général Desportes bouillonne face à ce qu'il appelle un décrochage.
La Défense, le plus pénalisé des ministères !
D'abord, les effectifs : " L'effort demandé est extrême avec une perte de 80 000 emplois entre 2009 et 2019. En 2014, 8 000 emplois supprimés sur 13 000 dans les secteurs qui ne correspondent pas aux missions prioritaires, au premier rang desquels on trouve la Défense qui paye 60 % du total alors qu'elle ne représente que 10 % des emplois publics de l'Etat. En dix ans, les armées auront perdu un quart de leurs effectifs, ce qui fait de ce ministère sanctuarisé le plus pénalisé ! "
Il met en lumière trois défauts qui vont s'aggraver : le manque d'épaisseur stratégique (la masse pour durer et s'engager sur plusieurs théâtres à la fois), les discontinuités capacitaires (transport, ravitaillement en vol, renseignement et les petits programmes d'armement) et le déficit d'autonomie stratégique - " Nous ne sommes plus capables de mener une opération si elle n'est pas avalisée par les Etats-Unis ".
" Nous sommes capables de couvrir deux Mali en même temps, de produire un effet technique. Mais nous ne sommes pas capables de durer, de gagner la guerre. "
Pour lui, il faut réfléchir à l'importance de la dissuasion car " sa crédibilité repose aussi sur les forces conventionnelles " ; " on n'est pas dans le tout ou rien ". Il pousse le bouchon un peu plus loin : " Dans peu de temps, notre dissuasion sera semblable à la ligne Maginot (que la IIIe République avait affaiblie pour des raisons économiques). " " En clair, la liberté d'action de notre exécutif est encore amputée. "
- Le général Vincent Desportes tiendra une conférence à Lille dans le cadre de la mission LEDS (Lille eurométropole défense et sécurité) le mardi 5 novembre à l'hôtel de ville. Thème : repenser la dissuasion...
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