Le sous-marin nucléaire lanceur d'engins "Le Terrible", mis à l'eau en 2010, est le dernier des quatre de ce type que possède la France. Ils sont une pièce maîtresse de l'arsenal de dissuasion.
17/11/2013 Jean Guisnel / Défense ouverte - Le Point.fr
Le traditionnel silence de plomb sur la dissuasion, perpétué par François Hollande, commence à indisposer des députés de la majorité.
Les choses seraient-elles, doucement, en train de changer ? Nous voulons parler de cette incapacité de la représentation nationale et de la classe politique tout entière à discuter - seulement discuter - la pertinence, la nature et les choix à effectuer en matière de dissuasion nucléaire. Non que le sujet soit facile ! Mais le silence de plomb entourant ce thème n'est vraiment pas troublé par la commission de la Défense et des Forces armées de l'Assemblée nationale.
Le rapporteur sur le budget de la dissuasion, le député-maire socialiste de Fresnes Jean-Jacques Bridey, ne fait pas preuve d'un sens critique débridé en affirmant à propos des immuables ressources de la bombe atomique et de ses vecteurs pour 2014 : "Cette remarquable stabilité des crédits consacrés à notre dissuasion nucléaire traduit l'engagement sans faille du président de la République pour garantir nos capacités dans ce domaine, grâce à ses deux composantes, océanique et aéroportée, dont le maintien a été réaffirmé." Quelle audace !
Échec de la simulation
Quant à poser les questions qui fâchent, c'est exclu. Notre rapporteur reprend les éléments de langage du CEA (Commissariat à l'énergie atomique) quand il nous explique que la simulation des armes nucléaires, "conduite par le CEA, se concrétisera avec la mise en service progressive du laser mégajoule", cet énorme outil de simulation destiné à remplacer les essais aujourd'hui interrompus. Lancé en... avril 1995 par le Premier ministre Édouard Balladur, le laser mégajoule était évalué à cette époque à 6 milliards de francs (1,2 milliard d'euros). Son prix a en réalité été multiplié par trois, au bas mot, et, surtout, il ne fonctionne toujours pas !
Officiellement, sa mise en service est annoncée pour la fin de 2014, mais le silence en France est abyssal sur l'échec de la version américaine de cet équipement colossal, le NIF (National Ignition Facility), pourtant annoncée depuis 18 mois. Le député UMP Yves Fromion, qui avait suggéré en octobre dernier de réduire les crédits de recherche en matière de dissuasion - pour les réaffecter à l'entraînement des forces classiques -, avait été renvoyé à ses utopies par la présidente de la commission de la Défense et députée socialiste du Finistère, Patricia Adam.
Questions sans réponse
Pour toutes ces raisons, il faut relever une initiative de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, que préside Élisabeth Guigou. Celle-ci a fait preuve d'une réelle volonté de débattre de la dissuasion nucléaire, en adoptant le 12 novembre un rapport interrogateur - non encore publié sur le site de l'Assemblée - d'un autre député socialiste breton, Gwenegan Bui, qui réclame "un débat sur l'avenir de notre dissuasion nucléaire". Au terme d'une série de questions : "La dissuasion nucléaire est-elle utile ? Est-elle soutenable financièrement ? Deux composantes sont-elles nécessaires ? La France ne risque-t-elle pas d'être isolée en Europe ?", le député affirme que celles-ci ne sauraient "rester sans réponse".
Il relève l'attitude de l'exécutif lançant un livre blanc et une loi de programmation militaire qui n'évoquent pas la question nucléaire, sinon pour en répéter l'intangibilité : "Cette confidentialité de nombreuses informations et la nécessaire incertitude qui entoure la dissuasion conduisent trop souvent à considérer, à tort, que cette dernière ne doit et ne peut être débattue. On se retranche alors derrière l'évidence d'un dogme établi et on recourt à l'invective pour décrédibiliser ses interlocuteurs. Votre rapporteur en a d'ailleurs fait la désagréable expérience lorsqu'il tenta de soulever divers sujets relatifs à la dissuasion lors de l'audition du ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, par la commission de la Défense nationale et des Forces armées, le 2 octobre dernier."
Les raisons d'un débat
Partisan à titre personnel de la dissuasion, le député déplore néanmoins l'absence de discussion : "Si l'on souhaite le consensus dans notre pays sur les forces nucléaires, il doit reposer sur des arguments solides qui ne pourront convaincre qu'à l'issue d'un nécessaire débat où toutes les positions auront pu s'exprimer et où chacun aura pu montrer la valeur de ses arguments. Rien ne serait pire que de disposer d'armes nucléaires sans savoir pourquoi, en maniant des concepts erronés ou dépassés." Sur ces points, Jean-Yves Le Drian a fait valoir au député que "l'initiative d'une réflexion sur la nature de la dissuasion dans un environnement de prolifération et dans un contexte d'après-guerre froide ne [le] dérange pas."
La question budgétaire n'est pas non plus sans intérêt, dans une époque où toutes les composantes de la défense sont touchées par les restrictions, sauf le nucléaire. Gwenegan Bui souligne à cet égard la nécessité d'"anticiper également les échéances puisque notre pays va devoir, dans les années qui viennent, prendre des décisions lourdes pour poursuivre la modernisation et le renouvellement de notre outil de dissuasion. Votre rapporteur songe notamment au lancement de la troisième génération des SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d'engin, NDLR) dont les études préalables ont déjà commencé, et dont le premier exemplaire pourrait entrer en service en 2030." 2030, vraiment ? Prenons date...
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