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21 février 2014 5 21 /02 /février /2014 08:35
 «Tapis» afghan: le quitte ou double des forces canadiennes en Afghanistan

 

20 février 2014 par Pierre-Alain Clément – 45eNord.ca

 

Au poker, lorsqu’un joueur mise tous ses jetons sur un coup pour dissuader les autres joueurs de suivre (et ainsi remporter le pot), il «fait tapis».

Le lexique de ce jeu de bluff et de hasard aux conséquences monétaires potentiellement massives s’applique bien à la Contribution canadienne à la mission de formation en Afghanistan (CCMF-A), une composante de la Mission OTAN de formation en Afghanistan (NTM-A).

Cette mission a pour objectif, d’ici au 31 décembre 2014, de «former et maintenir un effectif professionnel et responsable».

Les Forces nationales de sécurité afghanes (FNSA, soit l’armée et la police) doivent être en mesure de prendre en charge la sécurité et la défense du pays après le départ des troupes de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS).

Le Canada, quant à lui, a pour date butoir mars 2014 — autant dire demain, d’autant plus que le retrait des troupes canadiennes devrait être achevé d’ici la mi-mars. Il a mis fin en 2011 à sa mission de combat en Afghanistan, qui avait débuté en 2001. Il s’est alors réorienté vers la formation des forces afghanes.

 

Mission d’observation

En juin 2013, la Défense nationale m’a invité — ainsi que mon collègue Julien Tourreille et d’autres universitaires québécois — à observer cette mission, concentrée dans Kaboul et ses environs.

À grands renforts de présentations Powerpoint arides et bourrées de sigles (oui, le cliché est bien réel), les Forces canadiennes nous ont plongé dans l’imbroglio de la mission.

À cette époque, la CCMF-A avait pratiquement cessé de former elle-même les militaires afghans et remplissait un rôle de conseil et de mentorat. Elle s’assurait que les formateurs et instructeurs afghans soient compétents et professionnels et qu’ils soient ainsi capables de poursuivre l’édification des forces afghanes après la transition.

(Une armée autonome et compétente est en effet perçue comme le creuset d’une société afghane soudée autour des référents nationaux plutôt qu’infranationaux [ethniques, linguistiques, tribaux, etc.], un élément central de la réussite de la république afghane unitaire.)

La CCMF-A avait environ trois ans pour participer à l’établissement d’une armée professionnelle et moderne. Et le sentiment qui ressort des multiples présentations qui nous ont été livrées était effectivement celui du joueur qui fait tapis au poker : devant respecter ce calendrier très serré, avec des conditions initiales catastrophiques (notamment en raison du contexte insurrectionnel et des pénuries logistiques), la tâche exigeait de tout miser pour des résultats hautement incertains.

Le Canada a effectivement jeté le maximum de ses forces auprès de la NTM‑A. Cette motivation se reflète dans le nombre de militaires impliqués : le Canada est le deuxième pays contributeur à la NTM-A en volume de personnel après les États-Unis, et il supervise plusieurs centres de formation.

 

«Bâtir» une armée de A à Z

Fidèle à la pensée systématique propre aux militaires, la mission englobe toutes les étapes de l’édification d’une armée dans le moindre détail : recrutement, équipement, entraînement et déploiement.

À chacune des étapes de l’édification, les difficultés sont nombreuses. Le recrutement pose le problème de l’attrition : bon an, mal an, la proportion d’engagés qui quittent l’armée avant la fin de leur formation est d’environ un tiers.

L’équipement est une tâche rendue difficile par les obstacles dans la chaîne logistique : l’approvisionnement et l’entretien sont des problèmes constants.

Tant que la coalition peut supporter ces coûts, les FNSA bénéficient d’un saut technologique important par rapport à l’équipement soviétique dont elles étaient dotées jusque-là. Mais cette avance sera perdue rapidement si cet effort ne se poursuit pas après 2014, ou si des factions rebelles s’emparent de ces équipements.

L’entraînement est ralenti par l’ampleur de la tâche. La mission était de faire parvenir les FNSA à un standard occidental à partir de conditions initiales difficiles : 86 % d’illettrisme parmi les recrues, 35 % de qualification au maniement d’arme, déficit de leadership, absence de soldats spécialisés, équipement (jusqu’à l’uniforme) obsolète.

Enfin, l’étape du déploiement est menacée par le manque de temps. Ainsi, la validation de la formation consiste en une période d’essai de trois jours, dont l’objectif est avant tout la «survivabilité» (notamment la réaction aux embuscades et aux bombes artisanales), et qui n’est pas sanctionnée d’exclusion en cas de résultat insatisfaisant. Les indicateurs suivis par la CCMF-A font tous état sinon d’atteinte des objectifs, de progrès significatifs.

 

Durable ?

La durabilité de ces laborieux efforts est cependant incertaine.

La principale préoccupation de la CCMF-A est en effet la réversibilité des résultats obtenus. Il n’existe aucune garantie permettant d’assurer que les FNSA seront capables d’assumer seules les responsabilités qui leur reviennent.

Les tendances des «mesures de succès» qui focalisent l’attention de la CCMF-A seront probablement inversées en cas de retour de la guerre civile : réseau de transport, de santé et de communication, scolarisation et pluralisme politique (sans oublier l’accès des filles et des femmes à ces services et à ces postes).

Au-delà d’un succès dans la dimension politique du processus de transition, un succès dans sa dimension sécuritaire suppose des forces compétentes et légitimes. Et la rapidité de l’édification des FNSA et sa méthode descendante (top-down) par les forces occidentales ne jouent en faveur ni de leur compétence ni de leur légitimité.

Certes, le basculement avant le départ des Occidentaux du rôle de la NTM-A de la formation au mentorat — c’est-à-dire le transfert de la mission de formation aux officiers afghans — peut limiter les problèmes de légitimité.

Il est également crucial que les FNSA préservent leur image d’institution neutre politiquement, tant le discrédit du gouvernement est fort.

Cela ne sera possible que si les FNSA continuent à être financées par les Occidentaux. Le budget actuel du gouvernement afghan est en effet incapable de soutenir des forces de presque 350 000 hommes.

Si ce financement vient à manquer, rien ne sera pire pour le pays que des soldats démobilisés et désargentés, mais pas désarmés.

 

Conclusion

En définitive, toutes ces contraintes rendent obligatoire la poursuite de l’implication dans le pays aux yeux des gouvernements occidentaux. Et probablement aussi aux yeux des opinions publiques, tant il serait dévastateur de voir les sacrifices consentis depuis 2001 être balayés par un retour de la guerre civile.

Depuis Washington, une implication est déjà planifiée par l’exécutif (sous réserve de l’aval du Congrès). Que cette implication prenne la forme de troupes au sol, cela dépendra de la signature d’un accord bilatéral de sécurité entre l’Afghanistan et les États-Unis.

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