13 mai 2014 Thomas Mignon - RTBF.be
La cybersécurité belge a encore une fois été mise à mal. Samedi, le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders confirmait l’infiltration d’un virus malin dans le système informatique de la diplomatie. Après les attaques, ces derniers mois, sur la Chancellerie et Belgacom, cette intrusion démontre à nouveau la vulnérabilité de l’État belge qui a longtemps délaissé cet important domaine stratégique.
En 2011, le rapport du Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité (Comité permanent R) dénonçait l’absence de " politique globale en matière de sécurité des systèmes d’information pour l’ensemble de la fonction publique ". L’organe de contrôle avait pourtant attiré l’attention du Parlement sur ce manque de stratégie claire dès… 1994. En vingt ans, les réactions à ces recommandations se sont faites rares et le président du Comité R, Guy Rapaille, évoquait même en septembre dernier un " désintérêt général " vis-à-vis de la cybersécurité.
L’accord gouvernemental de 2012 laissait toutefois entendre que des mesures concrètes seraient prises. Le morcellement institutionnel en la matière et l’absence de politique d’ensemble pris en compte, le gouvernement Di Rupo allait dégager 10 millions d’euros et créer le Centre belge de cybersécurité. Le projet est dans les cartons depuis et le Premier ministre espère bien clore ce dossier avant les élections du 15 mai.
Malgré cette nouvelle attaque, Guy Rapaille se montre plus optimiste aujourd’hui : " Nous sommes satisfaits de cette prise de conscience et de cette volonté du gouvernement d’avancer dans ce domaine, indique-t-il. L’avenir nous dira si ces mesures porteront leurs fruits, mais il était important de mener de telles actions. Il vaut mieux prendre le train en marche, plutôt que de le rater complètement. " Il estime cependant que la réaction " a peut-être été un peu lente ".
Jean-Jacques Quisquater, expert belge en cryptage et professeur à l’UCL, est moins nuancé. " Ces mesures sont trop peu nombreuses et arrivent beaucoup trop tard ! Le problème principal est qu’il n’y a aujourd’hui pas assez de moyens, et donc pas assez de personnel, de matériel, de prévention ou de formations ", commente le spécialiste internationalement reconnu de la protection informatique.
Une cybersécurité morcelée en quinze entités
Outre la Sûreté de l’État et les renseignements militaires (SGRS), la Belgique protège ses systèmes d’information via quinze institutions, dont l’Autorité Nationale de Sécurité (ANS), BELNET (via sa " cyber emergency team "), FEDICT, la Computer Crime Unit (CCU) et l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT). S’il existe une " bonne collaboration entre ces différents organismes ", leur segmentation les rend moins efficaces. " Il faut également savoir que, pour chaque département attaché à la cybersécurité au sein de ces institutions, il n’y a qu’une dizaine de personnes maximum ", précise Jean-Jacques Quisquater.
Le sous-effectif est criant et notre vulnérable Belgique est pourtant une cible de choix : Commission européenne, OTAN, institutions bancaires… Les informations sensibles sont nombreuses sur le sol belge. Il est d’ailleurs étonnant qu’aucune demande de renforcement de la cybersécurité de notre plat pays n’émane de ces organisations internationales.
À titre de comparaison, Jean-Jacques Quisquater évoque le cas français. Déjà perçu comme perfectible, la politique menée en la matière dans l’Hexagone est autrement plus conséquente. " L’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, ndlr) comptera bientôt quelque 500 personnes attachées à la cybersécurité. Et il ne s’agit que de la partie prévention et formation de la stratégie de sécurité ! "
"20 à 25 millions seraient nécessaires"
Les 10 millions d’euros qui devraient être bientôt alloués en Belgique permettront-ils de tendre vers un tel dispositif ? L’expert du cryptage n’y croit pas une seconde : " Ce budget sera dispersé entre personnel, équipements et infrastructures. Une partie de cet argent servira qui plus est à la formation des personnes engagées. Il ne pourra donc jamais y avoir assez de monde pour assurer une sécurité optimale. "
Concrètement, le plan qui prévoit la création du Centre de cybersécurité (CCB) n’impliquera l’engagement que de dix personnes : huit experts et deux personnes chargées du support. Ce personnel jouera un rôle " intégrateur " vis-à-vis des autres entités publiques actives en la matière.
" En termes de budget, il faudrait compter 20 à 25 millions d’euros pour arriver à une situation acceptable, mais on n’atteindra pas ce montant, car on a tendance à minimiser les risques d’attaques informatiques, juge Jean-Jacques Quisquater. D’autres problèmes vont donc survenir et il faudra attendre une catastrophe pour qu’on renforce correctement notre cybersécurité. Actuellement, il faudrait une surveillance des systèmes jour et nuit, mais ce n’est pas le cas. La Belgique est par exemple extrêmement exposée chaque année entre Noël et Nouvel An. Ce n’est pas tolérable. "
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