11/05/2014 Jean Guisnel - Défense ouverte / Le Point.fr
Washington a renouvelé cette semaine son opposition à la vente de navires de guerre français à Moscou. Une position qui n'a pas varié depuis 2010.
François Hollande a réitéré samedi, lors d'une conférence de presse avec la chancelière allemande Angela Merkel, sa position constante depuis le début de la crise avec Moscou : la livraison des deux navires de type Mistral vendus à la Russie se fera pour le premier navire - le Vladivostok - en octobre 2014, et pour le deuxième - le Sébastopol - l'année suivante. Pour le président français : "Ce contrat a été signé en 2011, il s'exécute et il trouvera son aboutissement au mois d'octobre prochain. Pour l'instant, il n'est pas remis en cause."
Les oppositions à cette livraison se sont assez peu fait entendre en France, mais les États-Unis ont fait savoir récemment que ces livraisons les préoccupaient. Dans sa réponse à des questions faisant suite à une déclaration devant la Chambre des représentants le 8 mai, la secrétaire d'État adjointe Victoria Nuland, chargée des Affaires européennes, a déclaré à propos de cette livraison des Mistral à la Russie : "Nous avons de manière régulière et constante exprimé nos inquiétudes à propos de cette vente et nous continuerons de le faire."
"Message clair à Poutine"
Au cours de cette même séance, le leader démocrate à la commission des Affaires étrangères Eliot Engel a complété ce point de vue avec ces mots : "Si nous augmentons nos dépenses en matière de défense au sein de l'Otan tout en nous associant à un embargo coordonné sur les ventes d'armes à la Russie, y compris en stoppant celle des deux navires français Mistral, nous enverrons un message clair à Poutine : il ne peut pas piétiner les droits de ses voisins."
Une "source gouvernementale" française citée par l'Agence France-Presse a répondu sèchement à ces préoccupations américaines que : "Les États-Unis, comme les Européens, ne nous ont jamais fait part en privé d'inquiétudes" à l'égard de la vente des Mistral. Un petit exercice de mémoire paraît nécessaire.
Négociations opaques
Car, en réalité, les États-Unis se sont opposés à ce contrat Mistral dès sa genèse, des années avant qu'il ne soit signé. Après la guerre-éclair entre la Géorgie et la Russie durant l'été 2008, l'amiral Vladimir Vysotsky, chef d'état-major de la marine russe, avait estimé qu'avec un bâtiment de guerre comme le Mistral les opérations auraient été conclues "en quarante minutes, au lieu de vingt-six heures".
Les négociations opaques et directes entre l'Élysée et le Kremlin avaient ensuite été engagées rapidement, les Russes réclamant quelques modifications substantielles et des systèmes de combat très performants, notamment le Senit 9 et le radar tridimensionnel MRR-3D-NG de Thales Naval. Accepté ! Paris ne refusait pas non plus de vendre des systèmes cryptés de communication en réseau Liaison 11 et Liaison 16, mais ces livraisons étaient soumises à l'accord de Washington, qui a refusé.
Washington vent debout
À Washington, l'opposition républicaine est vent debout contre cette première vente à la Russie d'un matériel militaire produit par un pays de l'Otan. En décembre 2009, un groupe de sénateurs proteste dans une lettre à l'ambassadeur de France à Washington Pierre Vimont contre le soutien de la France au "comportement de plus en plus belliqueux et hors la loi" de la Russie. Surtout, en visite à Paris le 7 février 2010, le secrétaire américain à la Défense Robert Gates évoque un "échange de vues approfondi" avec Paris sur le sujet. Traduction : la Maison-Blanche ne considérera pas cette vente comme un casus belli, mais Paris devra assumer toutes ses responsabilités.
Washington combat plus ou moins vigoureusement, diplomatiquement ou commercialement, toutes les ventes d'armes françaises dans le monde. La vente des Mistral a elle aussi, de très longue date, fait l'objet d'une opposition américaine bien réelle. Il est un peu curieux de le nier aujourd'hui.