07 mai 2014 Tout un monde
Il y a soixante ans, le 7 mai 1954, s’achevait au détriment de la France la terrible bataille de Diên Biên Phu. Elle concluait la première guerre d’Indochine en donnant la victoire à un mouvement national-communiste vietnamien en pleine ascension. Hanoï a décidé d’organiser de grandes cérémonies d’anniversaire, mais qui s’en souvient aujourd’hui ? Certainement pas l’Amérique, qui a oublié la longue guerre qu’elle perdit ensuite contre le Vietnam pour se consacrer désormais à une diplomatie beaucoup plus souple. Pas non plus la Chine, qui avait pourtant fourni à l’allié vietminh une aide militaire décisive, puis les plans de la bataille finale. Car ses relations avec le Vietnam sont désormais si mauvaises que celui-ci en est arrivé à inviter dans ses ports la flotte américaine…
Tribune de Jean-Luc Domenach*, Ceri
La France, elle aussi, ignore ce soixantième anniversaire de Diên Biên Phu, et c’est dommage. Une raison de l’oubli réside dans l’empilement de médiocrités et de stupidités qui a provoqué la défaite de 1954, notamment (mais pas seulement) dans l’armée. Et pourtant, la trajectoire française au Vietnam comprend également le meilleur, même sur le plan militaire, et même à Diên Biên Phu.
Ensuite, la France est parvenue à maintenir avec Hanoï des relations correctes, voire désormais amicales. Outre la persévérance du Quai d’Orsay, la raison en est simple : pour nombre de Vietnamiens, la France a été et reste un modèle de civilisation.
C’est en effet que, pour le pire et le meilleur, le Vietnam a décidé de rester lui-même, c’est-à-dire indépendant : avant-hier contre le colonialisme français, hier contre l’impérialisme américain et aujourd’hui contre une Chine devenue la deuxième puissance du monde. En célébrant la bataille de Diên Biên Phu qu’il avait remportée en partie grâce à son puissant voisin, c’est à Pékin qu’il s’adresse pour l’avertir solennellement qu’il est prêt à défendre bec et ongles son indépendance.
Cette constance dans l’affirmation des valeurs nationalistes a de quoi impressionner, d’autant qu’elle jette une lumière très vive sur l’Asie contemporaine. On a certes raison de mettre en évidence les performances économiques successivement réalisées par le Japon, la Chine, l’Inde, la Corée, l’Indonésie et les autres pays de la région. Et l’on signale avec juste raison que ces performances font école dans d’autres pays, dont le Vietnam.
Mais l’on oublie trop souvent des vérités essentielles. Leurs progrès économiques, aussi favorisés qu’ils soient par la mondialisation, sont inspirés par des projets fondamentalement nationalistes. Ces pays se sont affirmés autrefois contre les grandes puissances occidentales, mais ils sont désormais tout aussi méfiants contre les trois grandes puissances de l’Asie : le Japon, bien sûr, mais aussi l’Inde et surtout la Chine.En célébrant le souvenir de Diên Biên Phu, le Vietnam rappelle qu’il veut avant tout demeurer indépendant.
*Jean-Luc Domenach est directeur de recherches au Ceri-Sciences Po.
Note RP Defense : j'ai modifié les illustrations originales de l'article. Pour que la mémoire ne s'efface pas.
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