Source Sénat
Rapport d'information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le renforcement des forces spéciales françaises, Par MM. Daniel REINER, Jacques GAUTIER et Gérard LARCHER, Sénateurs.
1. Il n’était pas rare d’entendre, à la fin des années 2000 certains chefs militaires français se moquer de « la mode » des forces spéciales. La mode étant ce qui se démode, l’idée eût dû passer.
2. Cinq ans plus tard, il n’en est rien. Le Livre blanc de 2013 a prévu le renforcement des forces spéciales et la loi de programmation militaire 2014-2019 en a donné le détail. A plusieurs reprises, le ministre de la défense, M. Jean-Yves Le Drian, a rappelé sa détermination à voir cette décision politique exécutée. Et de fait, les forces spéciales sont une des rares composantes des forces armées dont le format devrait augmenter. Loin des effets de mode, l’heure des forces spéciales semble donc être venue. Pourquoi ?
3. L’engouement pour les forces spéciales traduit-il le fait que ce type de forces est particulièrement adapté aux menaces asymétriques et aux nouvelles formes d’engagement des armées occidentales ? Réactives, efficaces, et avec une faible empreinte au sol, les forces spéciales constitueraient-elles en quelque sorte « l’avenir de la guerre »(1) ? Sont-elles à ce point utilisées qu’un renforcement est maintenant devenu indispensable ?
4. Ou bien, doit-on soupçonner une utilisation politique du concept de forces spéciales ? Moins de forces conventionnelles, certes, mais en compensation davantage de forces spéciales. Le renforcement du COS ne serait-il en quelque sorte que l’ultime déclinaison du discours des années 2000 sur des forces plus réduites, mais mieux entrainées et mieux équipées ? En somme, serait-il un épiphénomène de la réduction du format des armées, une conséquence de la crise budgétaire que nous traversons ?
5. Sans doute la réalité est-elle plus simple. Notre pays, fort de plus d’un demi-siècle d’expérience ininterrompue en ce domaine, a su mettre sur pied un système de forces spéciales cohérent et intégré d’une qualité exceptionnelle et au meilleur niveau mondial. Tout ceci avec des moyens modestes et dépensés avec parcimonie. Malgré ou à cause de cette qualité, leur spécificité est difficilement reconnue. Elles n’ont pas, jusqu’à présent, de doctrine, mais un simple concept. Leurs effectifs théoriques ne sont pas honorés et leurs équipements, contrairement aux idées reçues, sont insuffisants. Le Commandement des opérations spéciales (COS), institué en 1992,est un état-major opérationnel très léger en sous-effectif chronique pour planifier et conduire les opérations spéciales.
6. Un renforcement semblait donc nécessaire. Il est en cours. Un plan est en voie de finalisation par l’état-major des armées et sera bientôt soumis au pouvoir exécutif. Il porte pour l’essentiel sur une augmentation des effectifs qui devraient passer de 3 000 à 4 000 hommes à la fin de la programmation, d’où l’appellation de« COS + 1 000 » qui lui est parfois donné.
7. Du point de vue du pouvoir législatif, ce renforcement des forces spéciales françaises appelle trois questions :
- Pourquoi ?
- Comment ?
- Quelles mesures d’accompagnement ?
(1) La formule est empruntée au titre de l’ouvrage d’Eric Denécé : « Forces spéciales – l’avenir de la guerre » éditions du Rocher 2002 – réédité en 2011. Voir également, au sein d’une littérature abondante retraçant l’histoire et la géographie des forces spéciales : Jean-Dominique Merchet « une histoire des forces spéciales – ed. Jacob Duvernet Paris janvier 2010 ; Jean-Marc Tanguy « commandos français – les missions des forces spéciales » Paris octobre 2013 ; Alain Chouet « au coeur des services spéciaux – la menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers » Paris avril 2013 ; Pascal Le Pautremat « les guerriers de la République – forces spéciales et services secrets français » ed. Choiseul – Paris 2009. Sur la différence avec l’action clandestine voir le cours donné par le général Dominique Champtiaux, ancien directeur des opérations de la DGSE, sur « l’action spéciale » à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.
Livre blanc de 2013
« Les forces spéciales se sont imposées comme une capacité de premier plan dans toutes les opérations récentes. Elles sont particulièrement adaptées aux besoins accrus de réaction dans l’urgence, en souplesse et dans la profondeur contre un dispositif hostile ou complexe. Elles offrent au commandement militaire et aux autorités politiques des options diverses et adaptées, souvent fondées sur la surprise. Elles disposent d’une chaîne de commandement direct et de critères de recrutement spécifiques. Leurs effectifs et leurs moyens de commandement seront renforcés, comme leur capacité à se coordonner avec les services de renseignement. La dimension interarmées du commandement des opérations spéciales sera confortée ». (p. 94)
« Les forces spéciales se sont imposées comme une capacité de premier plan dans toutes les opérations récentes. Leurs effectifs et leurs moyens de commandement seront renforcés, comme leur capacité à se coordonner avec les services de renseignement. » (p.139)
Loi de programmation militaire 2014-2019
« Les forces spéciales se sont imposées comme une capacité de premier plan dans toutes les opérations récentes. Complémentaires des forces conventionnelles, elles sont particulièrement adaptées aux besoins accrus de réaction dans l'urgence, en souplesse et dans la profondeur contre un dispositif hostile ou complexe. Elles offrent au commandement militaire et aux autorités politiques des options diverses et adaptées, souvent fondées sur la surprise. Elles disposent d'une chaîne de commandement direct, dont les moyens seront accrus et la dimension interarmées confortée. Leurs effectifs seront renforcés d'environ 1 000 hommes, de façon progressive, adaptée à la spécificité de leurs actions et de leur recrutement et formation. Leurs équipements feront l'objet d'un effort spécifique, marqué en particulier par la réalisation du programme de transmissions sécurisées MELCHIOR et les livraisons des premiers véhicules adaptés aux opérations spéciales (programme d'ensemble VLFS/PLFS). Les moyens aériens et aéromobiles feront l'objet d'un effort particulier. L'ensemble de la flotte de Caracal des armées sera regroupé sur un seul site, sous l'autorité du commandement des opérations spéciales. »
NB : la précision selon laquelle les forces spéciales sont « complémentaires des forces conventionnelles » a été rajoutée à l’initiative des députés et vise à conjurer tout risque de constitution d’une « quatrième armée », aux côtés des forces existantes.
Le renforcement des forces spéciales françaises, avenir de la guerre ou conséquence de la crise ?
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