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3 novembre 2015 2 03 /11 /novembre /2015 17:55
Essais de trajectographie d’Exocet AM39 tiré depuis un Rafale dans la grande soufflerie S2MA de l’ONERA à Modane - photo ONERA

Essais de trajectographie d’Exocet AM39 tiré depuis un Rafale dans la grande soufflerie S2MA de l’ONERA à Modane - photo ONERA

 

02/11/2015 Par Michel Cabirol – LaTribune.fr

 

Le centre de recherche aérospatiale français manque de souffle pour financer des travaux pour renforcer les sols sous la plus grande soufflerie au monde (S1), qui menace de s’effondrer... prochainement.

 

Cinq millimètres. Si le sol s'affaisse de cinq millimètres de plus sous la soufflerie aéronautique S1 de l'ONERA de Modane (Savoie), la France perdra un de ces bijoux technologiques, qui fait envie au monde entier, y compris les États-Unis pour une fois à la remorque de la France. Cinq millimètres d'affaissement encore et la soufflerie S1, la plus puissante du monde, pourrait être au mieux inutilisable, au pire subir des dégâts irrémédiables. La France, acteur majeur de l'aéronautique civile et militaire mondiale, pourrait alors être rétrogradée en division 2. Ce scénario est aujourd'hui loin d'être une fiction. La situation est urgente et exige qu'une décision de financement soit prise d'ici à la fin de l'année.

Dans ce contexte, la députée Isabelle Bruneau vient de lancer un véritable SOS pour sauver cette pépite, qui est pourtant un objet de souveraineté nationale reconnu. "A plusieurs reprises l'attention de la tutelle (ministère de la Défense, ndlr), et plus largement des services officiels et des industriels de la filière aéronautique, a été attirée par l'ONERA sur cette situation, sans grand écho jusqu'à présent", écrit-elle dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2016, consacré à l'environnement et la prospective de la politique de défense.

Elle estime qu'il est "des plus urgents d'intervenir au risque soit de devoir engager à terme des sommes très importantes, soit de perdre un instrument essentiel à la préparation de l'avenir de la filière aéronautique civile et militaire".

Dans ce contexte compliqué, un conseil d'administration de l'ONERA, prévu le 5 novembre, pourrait être décisif sur le sort de la soufflerie S1 et au-delà sur le plan de soutien pour huit grandes souffleries (plan ATP) élaboré par la direction de l'Office national, dont le montant s'élève à 218 millions d'euros sur onze ans. Selon un communiqué conjoint de la CFDT, de FO et de la CFTC, 190 emplois sont directement menacés par la fermeture du centre de Modane-Avrieux. "Nous demandons la mise en place urgente d'un financement de 20 millions d'euros pour sauver la soufflerie S1MA et nos emplois", ont écrit le 20 octobre les trois syndicats.

 

20 millions d'euros de travaux

Pour sauver S1, ce monument national, dont la construction a commencé en 1946, Isabelle Bruneau rappelle que le montant de renforcement du sous-sol est estimé... à 20 millions d'euros (sur les 218 millions) avant une éventuelle catastrophe. 20 millions pour lancer des travaux dès le printemps 2016. C'est peu, très peu à l'échelle des travaux pharaoniques si le sous-sol s'affaissait à nouveau sous la soufflerie S1. Selon la députée PS de l'Indre, "l'affaissement du bâtiment impliquerait une remise en état estimée à 300 millions d'euros ; s'il venait à s'effondrer, sa valeur à reconstruction est estimée à 700 millions d'euros. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes". Effectivement !

Par ailleurs, Isabelle Bruneau estime que "l'arrêt de la soufflerie S1, qui possède une configuration recherchée et indispensable à la défense, mettrait en péril économique l'ensemble du site". Car sans la soufflerie S1, le modèle économique du site de Modane (huit souffleries, dont six considérées comme stratégiques) s'effondrerait lui aussi. Ce qui serait catastrophique pour la défense, dont, certains essais en soufflerie, notamment sur des équipements de dissuasion nucléaire, ne peuvent pas se faire hors de France pour des raisons de souveraineté nationale.

 

Une subvention supplémentaire ?

Qui pourrait financer ces travaux ? L'ONERA, qui a déjà autofinancé 2 millions d'euros pour des travaux exploratoires et de premier renforcement ? "La réparation entraine une charge importante, qui ne peut être assumée dans le cadre de la subvention ONERA ou des recettes de celui-ci", avait estimé le délégué général pour l'armement, Laurent Collet-Billon lors d'une audition à l'Assemblée nationale début octobre.

Car le centre de recherche aérospatial va afficher un nouveau déficit estimé à 3,7 millions d'euros en dépit d'une subvention supplémentaire de 9 millions en 2015. L'ONERA avait déjà perdu 16 millions en 2014. Des déficits en grande partie dus à la forte baisse de la subvention versée par le ministère ces dernières années. Elle est passée de 123,9 millions en 2010 à 105 millions d'euros en 2015 et 96,4 millions en 2014. Du coup, l'État lui consacre une des subventions les plus faibles par chercheur, selon Isabelle Bruneau.

Seul le ministère de tutelle peut donc octroyer à l'ONERA une telle subvention. Mais la députée de l'Indre, "n'a pas senti de mobilisation sur ce sujet dont chacun semble penser in petto qu'il ressort uniquement de l'ONERA et de sa tutelle défense". Le 21 octobre dernier, interrogé par Isabelle Bruneau à l'Assemblée nationale sur les difficultés de la soufflerie S1, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a répondu qu'il était "très sensible au sort de l'ONERA, et notamment aux questions qui touchent à la soufflerie de Modane, dont je suis directement informé". Le 27 octobre, il s'est montré un peu plus précis en expliquant que "le ministère de la défense ne laissera pas tomber l'ONERA". A suivre donc...

 

Un affaissement de 45 millimètres

Avec l'aide d'une société experte dans le domaine des fondations spéciales et des travaux d'infrastructure, l'ONERA a établi que le sous-sol était dégradé sur une profondeur d'environ 50 mètres, a expliqué Isabelle Bruneau. L'écoulement des eaux en profondeur entraînant une érosion des sols, semble être la principale raison de cet affaissement, selon la préfecture de la Savoie. "Le gypse est particulièrement sensible aux circulations d'eaux qui peuvent y créer des cavités de dissolution, responsables d'affaissements ou d'effondrements jusqu'en surface", explique-t-elle dans la présentation de son plan de la prévention des risques naturels.

Ces mouvements consistent en un abaissement lent et continu du niveau du sol, sans rupture apparente de ce dernier. "Selon la nature exacte du phénomène - affaissement ou effondrement - , les dimensions et la position du bâtiment, ce dernier pourra subir un basculement ou un enfoncement pouvant entraîner sa ruine partielle ou totale", précise la préfecture de Savoie. Depuis juin 1995, les sols se sont effectivement affaissés de 45 millimètres, notamment avec deux accidents brutaux survenus en 2010 (affaissement d'une quinzaine de millimètres), puis à l'été 2015 (une quinzaine de millimètres également). Des fissures sont apparues dans la structure des souffleries.

 

A quoi servent les souffleries?

Capable d'atteindre la vitesse du son (Mach 1, soit 1.200 km/h), longue de 400 mètres, d'un diamètre de 24 mètres, d'un débit d'air maximum de 10 tonnes d'air par seconde et d'une puissance de près de 90 MW fournie par l'énergie hydraulique (soit un millième de la puissance totale d'EDF installée en France), la soufflerie S1 est sans équivalent dans le monde. Ses caractéristiques hors normes en font un moyen d'essai indispensable pour toutes les améliorations et/ou ruptures technologiques des futurs aéronefs (avions civils et militaires, drones de combat, lanceurs...). Elle a vu passer tous les grands programmes civils et militaires de l'aéronautique française comme l'A380, l'A350, ou encore le Mirage, le Rafale... et mondiale.

L'ONERA, qui est une référence mondiale dans les souffleries, a pour mission de développer, d'orienter, de coordonner et de promouvoir les recherches dans le domaine aérospatial.

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