04.11.2015 par Jacques N. Godbout – 45eNord.ca
Américains et Russes ont testé avec succès la procédure qui permet à leurs pilotes en opération dans le ciel syrien de se parler directement pour éviter les incidents, ont confirmé mardi chacun de leur côté le ministère russe de la Défense, puis le Pentagone, Moscou présentant l’événement comme marquant et Washington en minimisant la portée.
Un avion de combat américain « a conduit mardi un test de communication planifié avec un avion de combat russe » dans le ciel syrien, a indiqué le capitaine de vaisseau Jeff Davis, porte-parole du Pentagone.
Le test a duré « 3 minutes » et « a rempli ses objectifs », a précisé le porte-parole américain, semblant toutefois vouloir minimiser ce qui ressemble à un geste de coopération militaire avec la Russie, pourtant interrompue après l’invasion de la Crimée en mars 2014, alors qu’au contraire, tant la Défense russe que l’agence officielle Ria Novosti semblaient vouloir donner beaucoup d’importance à l’événement, l’agence titrant même à la une « Russie et USA sont passés à la coopération pratique dans le ciel syrien ».
Mais le responsable américain de la Défense a précisé pour sa part que le test de communication de mardi ne pouvait être assimilé à un « entrainement conjoint », l’expression utilisée par un communiqué sur le même test du ministère russe de la Défense, qui a consacré à l’événement l’essentiel d’une longue conférence de presse menée par le chef des opérations militaires russes en Syrie. Le responsable américain, lui, a tenu à souligner que « Nous avons arrêté toutes les coopérations militaires avec la Russie après l’invasion de la Crimée, et cela reste en vigueur ».
La procédure d’aujourd’hui procédure s’inscrivait dans le cadre de l’accord signé le 20 octobre par Moscou et Washington pour éviter les incidents entre leurs avions de combat respectifs en mission au-dessus de la Syrie.
Le protocole contient un nombre de règles et de restrictions visant à empêcher des incidents entre les avions russes et américains qui effectuent, dans le cadre d’opérations différentes, des frappes aériennes contre le groupe djihadiste Etat islamique (EI) en Syrie,
Les États-Unis et la coalition internationale qu’ils dirigent mènent en effet depuis septembre 2014 des bombardements contre le groupe État islamique en Syrie, alors que la Russie a lancé à son tour le 30 septembre dernier une campagne de bombardements en Syrie, dirigée officiellement contre les groupes « terroristes » opérant dans le pays, mais qui est surtout destinée à soutenir le régime de Bachar al-Assad, selon les Américains et leurs alliés.
Depuis deux mois, le nombre de bombardements américains et alliés en Syrie a sensiblement diminué par rapport aux mois précédents. Selon le site airwars.org, qui compile les communiqués quotidiens des militaires américains, la coalition a mené 117 frappes en octobre, le plus faible total mensuel à l’exception du mois du démarrage de la campagne.
Le Pentagone a toutefois nié tout lien avec le début de l’intervention russe, estimant qu’il s’agissait de « fluctuations » typiques d’une campagne militaire. De fait, les frappes de la coalition se sont de nouveau accélérées depuis le 30 octobre et le secrétaire à la Défense américain Ashton Carter a annoncé la semaine dernière une « intensification » de la campagne aérienne contre les djihadistes de l’État islamique.
Le communiqué russe
Dans le cadre de l’interaction avec la coalition antiterroriste internationale et les États de la région visant à la prévention des incidents aériens et à assurer la sécurité des vols dans l’espace aérien de la Syrie, le ministère russe de la Défense développe avec succès la coopération avec ses collègues américains.
Comme il a déjà été signalé, le ministère russe de la Défense et le ministère américain de la Défense ont signé le protocole correspondant il y a une semaine.
Aujourd’hui à 11h00 (heure de Moscou), une formation conjointe a eu lieu entre les équipages des forces aériennes américaine et russe sur les actions en cas de proximité dangereuse des aéronefs [les aéronefs russes et ceux de la coalition menée par les États-Unis, ndlr].
Au cours de la formation, ont été abordées et pratiquées les questions de mise en garde, l’organisation de l’interaction et l’échange d’informations entre les états-majors des groupes opérationnels et les centres de contrôle de la force aérienne russe à la base aérienne Hmeymim et du Centre des opérations aériennes de la US Air Force (US Strategic Air Operations Center) au Qatar ainsi que l’information mutuelle des activités militaires dangereuses dans l’espace aérien de la Syrie.
Les équipages des aéronefs de la Force aérienne de Russie et de la coalition internationale ont effectué une approche à la distance minimale de 3 miles nautiques ((5.500 mètres,ndlr), établi un contact à la fréquence définie à l’avance et ont échangé des messages concernant les paramètres de vol de leur avion en langues anglaise et russe.
Après que le retour des [deux]appareils à la base, les centres de contrôle des forces aérospatiales russes à Hmeymim en Syrie et de l’US Air Force au Qatar ont tenu un examen conjoint via un canal de communication directe.
Le grand jeu de Moscou
Le général Andreï Kartapolov, chef des opérations militaires russes en Syrie, a aussi rappelé en conférence de presse aujourd’hui le travail conjoint avec Israël pour assurer la sécurité des vols. Une ligne directe 24h sur 24 est établie depuis mi-octobre entre le centre de contrôle à la base aérienne Hmeymim et le centre de commandement de l’Armée de l’Air israélienne pour l’échange d’informations concernant la situation aérienne sur la Syrie.
Et des «entraînements se sont déroulés pour que les états-majors des deux aviations se familiarisent avec cette «ligne directe», a même déclaré il y a quelques semaines le ministère russe de la Défense.
En outre, l’armée russe a annoncé lors de cette conférence de presse avoir pour la première fois bombardé des «cibles terroristes» en Syrie grâce à des informations données par ce qu’elle présente comme «des représentants de l’opposition» syrienne.
«Nous avons créé un groupe de coordination dont la composition (…) ne peut pas être rendue publique», a déclaré à cette conférence le chef des opérations militaires russes en Syrie, évoquant seulement une «coopération étroite» permettant d’unifier les efforts de l’armée loyale au président Bachar al-Assad et de «forces patriotiques syriennes» ayant été auparavant dans l’opposition.
Campagne militaire russe sans complexe et très médiatisée en Syrie, les Américains obligés de se coordonner avec l’aviation russe pour éviter un incident dans le ciel syrien, la multiplication des initiatives diplomatiques en vue d’un règlement politique sauvegardant ses intérêts au Moyen-Orient, Moscou sort le grand jeu.
De plus en plus, en amenant les divers intervenants en Syrie à passer par Moscou, les Russes tentent de devenir les maîtres du jeu, sauvant le régime de leur allié Assad et leur ancrage au Moyen-Orient, et marquant ainsi avec éclat leur retour sur la scène internationale après l’isolement qui avait suivi la crise ukrainienne.
Et c’est fort vraisemblablement dans cette perspective que chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov va aussi recevoir mercredi à Moscou l’émissaire de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, « pour progresser dans l’établissement d’un « dialogue réel » entre Damas et l’opposition syrienne ».
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