09.12.2015 Commission de la défense nationale et des forces armées - Compte rendu n° 25
— Examen, ouvert à la presse, du rapport d’information sur les conséquences du rythme des opérations extérieures sur le maintien en condition opérationnelle des matériels (M. Alain Marty et Mme Marie Récalde, rapporteurs)
La commission procède ensuite à l’examen du rapport d’information sur les conséquences du rythme des OPEX sur le maintien en condition opérationnelle des matériels.
Mme Marie Récalde, rapporteure. Mes chers collègues, le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels est un sujet technique mais hautement stratégique. Nous aurons beau avoir la meilleure armée du monde, si elle n’a pas de matériels disponibles, elle connaîtra des difficultés pour remplir ses missions.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et des conflits liés à la décolonisation – guerres d’Indochine et d’Algérie notamment – la France n’a sans doute jamais été confrontée à des menaces aussi diverses, intenses et durables. Parmi ces menaces, la menace terroriste est la plus préoccupante de toutes. Les attentats que notre pays a subis aux mois de janvier et de novembre 2015 l’ont rappelé de manière tragique. Elle n’est toutefois pas la seule.
Pour reprendre la classification établie par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, notre pays reste confronté à deux phénomènes.
Le premier phénomène, qui a brutalement refait irruption dans la vie des Français en 2015, renvoie aux « risques de la faiblesse », alimentés par la défaillance de certains États. Se créent alors des zones de forte instabilité où peuvent prospérer, selon l’analyse du Livre blanc, des « trafics de toute nature sur le territoire d’États fragiles [qui] procure[nt] aux groupes qui les organisent des moyens économiques et militaires souvent supérieurs à ceux dont disposent les autorités publiques, achevant de fragiliser celles-ci. »
Cette grille d’analyse s’applique parfaitement aux divers groupes et organisations terroristes djihadistes qui ont essaimé de l’Afrique à l’Asie en passant par le Proche et le Moyen-Orient.
Le second phénomène, plus classique, tient aux « menaces de la force », soit le renouveau de menaces traditionnelles portées par un État. Le conflit qui s’est récemment déroulé en Ukraine, aux portes de l’Europe, prouve que ces menaces sont toujours bien réelles.
Face à ces risques et menaces il est n’est pas seulement nécessaire de maintenir notre posture de défense. Il faut la renforcer. Or, le levier d’action le plus concret et le plus direct en termes opérationnels est celui du maintien en condition opérationnelle. Par le passé le MCO a pu servir de variable d’ajustement budgétaire. Or, le MCO est la clé de la disponibilité des matériels à l’extérieur de nos frontières comme en métropole ; la disponibilité en métropole est la clé de la préparation opérationnelle et de l’entraînement ; la préparation opérationnelle et l’entraînement sont la clé de la capacité opérationnelle, quel que soit le théâtre d’engagement des forces.
L’effort en la matière est d’autant plus essentiel que nos armées sont sans doute durablement engagées sur de nombreux théâtres extérieurs. Elles le sont dorénavant aussi sur le territoire national.
En effet, depuis 2011 et l’engagement majeur qu’a constitué l’opération Harmattan, les opérations extérieures (OPEX) de grande envergure se succèdent et même se juxtaposent à un rythme soutenu. La tendance s’est encore accentuée à compter de 2013 avec les opérations Serval, Sangaris, Barkhane et Chammal.
En outre, ces théâtres d’engagement s’avèrent beaucoup plus abrasifs que par le passé. Ceci tient aux conditions climatiques, géographiques, géologiques et opérationnelles extrêmes auxquelles sont soumis les hommes et les matériels. Cela tient aussi à l’utilisation des matériels au-delà de leur potentiel « normal », c’est-à-dire dans des conditions opérationnelles similaires à celles constatées en métropole.
Notre rapport ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité en opérant un audit complet de l’ensemble des parcs et des matériels déployés. À sa lecture, vous constaterez toutefois que nous avons effectué un grand nombre d’auditions et de rencontres et que nous avons pu voir de nombreux matériels. L’objet de notre rapport est de faire état des grandes tendances à l’œuvre, des principaux blocages et difficultés rencontrés, et de proposer des moyens pour les dépasser. Nous sommes bien conscients qu’il n’existe pas de réponse univoque à la question du MCO, qui se caractérise par un grand nombre de variables et l’intervention d’un grand nombre d’acteurs.
Nous n’allons pas abuser de votre patience en formulant des constats que vous connaissez déjà sur l’état des matériels et leur disponibilité. Nous n’allons pas non plus vous assommer de considérations purement descriptives et statistiques. Vous trouverez de longs développements consacrés à ces différents sujets dans le rapport écrit.
Nous allons simplement revenir sur un certain nombre de points qui nous semblent fondamentaux, avant de vous présenter nos principales observations et recommandations parmi les 23 que nous avons formulées.
Un premier rappel méthodologique sur le champ du rapport. Au-delà des engagements considérés comme des opérations extérieures aux sens administratif et juridique du terme, nos armées mènent de nombreuses missions à l’extérieur des frontières nationales. Les opérations de la marine en sont un bon exemple. La marine est, par nature, une armée expéditionnaire. On peut citer, au titre de ces opérations à l’extérieur : tout ce qui relève de l’action de l’État en mer, la participation à l’opération Sophia de lutte contre les passeurs de migrants, et, évidemment, la mise en œuvre de la permanence de la dissuasion nucléaire avec les unités de la force océanique stratégique (FOST).
Par ailleurs, la France dispose de forces de présence prépositionnées dans le cadre d’accords bilatéraux et relevant des trois armées : au Gabon, au Sénégal, à Djibouti et aux Émirats arabes unis. Malgré leur importance, le rapport n’a abordé ces différentes opérations que pour rappel, sans les analyser dans le détail.
Nous en venons donc au cœur du rapport : les OPEX.
Il nous faut tout d’abord rappeler que le rythme et l’intensité de nos engagements se sont considérablement accrus depuis les années 2010. En 2015, ce sont près de 8 300 militaires qui sont déployés en permanence en OPEX, dont 8 000 au titre des trois opérations principales menées dans la bande sahélo-saharienne, en République centrafricaine et au Levant.
Ce niveau d’engagement est inédit et dépasse le modèle décrit par le Livre blanc dont les analyses avaient servi de support à la loi de programmation militaire 2014-2019. Celui-ci fixait un « plafond d’engagement » à « deux ou trois théâtres distincts dont un en tant que contributeur majeur ». Or notre pays est aujourd’hui engagé sur trois théâtres majeurs de haute intensité. Par ailleurs, on peut considérer que la France est contributeur majeur :
– directement, dans la bande sahélo-saharienne et en République centrafricaine ;
– indirectement, au Levant, si l’on compare l’engagement français non pas à l’engagement américain, sans commune mesure, mais à la participation européenne.
Au-delà du rythme et de la profondeur de nos engagements, une autre difficulté provient de l’intensité opérationnelle des missions menées. Sur les trois OPEX majeures, deux sont conduites dans des zones définies comme « sévères » par les classifications géographiques de référence : il s’agit de la bande sahélo-saharienne et du Levant.
Elles se caractérisent par un certain nombre de réalités géographiques et climatiques qui sont principalement responsables de l’usure prématurée des équipements terrestres et aéronautiques, notamment :
– une chaleur élevée : sur certains théâtres, la température excède parfois 50° et peut atteindre 60°. Nous en avons nous-mêmes fait l’expérience lors de notre déplacement sur la base aérienne projetée (BAP) en Jordanie ;
– une présence abondante de sable et de poussières, susceptibles de s’infiltrer dans tous les éléments « ouverts » et de provoquer leur érosion (turbines d’hélicoptères par exemple) ;
– des terrains cassants et des roches coupantes qui usent rapidement les pneumatiques ;
– des vents de forte intensité qui, couplés au sable, ne font que renforcer les difficultés associées.
Ces éléments n’étaient évidemment pas inconnus des forces françaises projetées en OPEX. L’Afghanistan par exemple était également un terrain très dur.
Mais les théâtres actuels portent ces difficultés à un niveau supérieur du fait de la conjonction de plusieurs éléments et des « spécificités locales » de certains facteurs pourtant connus. Ainsi, le sable malien n’est pas le sable afghan. Nous sommes désormais imbattables sur la granulométrie ! (Sourires) Celle du sable malien est beaucoup plus fine, ce qui lui permet de s’infiltrer beaucoup plus facilement et beaucoup plus abondamment dans les systèmes, accélérant leur érosion. S’ajoutent également à la liste des difficultés des éléments relativement inconnus jusqu’alors. C’est le cas de l’alfa ou « herbe à chameau », une plante du désert qui, tout comme le sable, s’insinue dans les ouvertures et peut fortement perturber les systèmes de filtration, en particulier des aéronefs.
Ces théâtres sont donc particulièrement abrasifs et peuvent parfois être considérés aux marges du domaine de qualification et d’utilisation des équipements déployés.
M. Alain Marty rapporteur. Autre difficulté : les distances. À titre d’exemple, le territoire malien est 2,5 fois plus étendu que le territoire français ; vous avez tous à l’esprit la distance Bamako-Gao ou Gao-Tessalit. Par comparaison, la zone d’opération française en Afghanistan couvrait l’équivalent de deux départements français « seulement ». À cela s’ajoute le caractère rudimentaire voire inexistant des réseaux routiers, qui accélère l’usure des matériels.
Pour les matériels terrestres, qui sont particulièrement sollicités, l’ensemble de ces caractéristiques climatiques et géographiques fait qu’une année en OPEX équivaut à la consommation de potentiel de 2,5 années en métropole.
Mais à ces difficultés s’en ajoutent d’autres, liées elles aux réalités opérationnelles.
La première est la surintensité, qui caractérise l’utilisation des matériels dans des conditions beaucoup plus exigeantes qu’en métropole.
Le sable et la chaleur entraînent par exemple une surconsommation des moteurs d’hélicoptères. Pour les Caracal, 24 moteurs ont dû être remplacés alors que le forfait normal prévoyait un flux de 15 unités par an. Les « posés poussière » sont également traumatisants pour les matériels.
Par ailleurs, les nécessités opérationnelles impliquent un recours plus fréquent à des techniques très consommatrices de potentiel. On peut citer, par exemple, l’utilisation de la postcombustion des avions de chasse. Alors qu’elle est limitée aux seuls besoins d’entraînement en métropole, cette technique est beaucoup plus utilisée en OPEX. Autre exemple, que nous avons pu constater lors de notre déplacement en Jordanie : l’emport de munitions et l’utilisation de pods de désignation pour mener les frappes impliquent que les aéronefs sont presque en permanence en état de charge maximale par rapport aux notices constructeurs.
La suractivité est une autre cause d’usure prématurée, le tempo opérationnel étant sans commune mesure avec une utilisation « normale » en métropole. Ainsi, un VAB déployé dans le cadre de l’opération Serval au Mali pouvait parcourir en une semaine une distance quatre fois supérieure à celle qu’il couvrait normalement en un an d’utilisation en métropole : 1 600 km/semaine contre 400 km/an. Par rapport à l’opération Pamir menée en Afghanistan, les différences sont également notables, avec 1 000 km/mois parcourus dans le cadre de Pamir contre 6 400 km/mois dans la bande sahélo-saharienne.
Nous avons pu apprécier le niveau de cette suractivité en Jordanie. Chaque avion du détachement effectue en moyenne 72 heures de vol par mois, contre 21 heures en métropole, soit une activité 3,4 fois supérieure.
Enfin, les dommages de guerre sont plus fréquents et plus graves. Entre fin août 2013 et début mars 2015, 60 véhicules terrestres ont été détruits suite à des dommages de guerre ou des accidents. Dans le domaine aéronautique, ce sont les hélicoptères de reconnaissance et d’attaque qui subissent les plus lourds dommages au cours d’actions de feu. Vous trouverez dans le rapport un certain nombre d’informations concernant ces dommages, ainsi que plusieurs photographies de matériels ayant subi des dégâts.
Malgré ces conditions particulièrement rudes, la disponibilité des matériels projetés est remarquable. L’action des équipes chargées de la maintenance et, plus généralement, de l’ensemble des acteurs de la chaîne MCO doit ici être saluée. Lors d’un déplacement que j’avais effectué à Bangui dans le cadre de l’opération Sangaris, j’avais eu l’occasion de voir concrètement les opérations de MCO des matériels terrestres et aéroterrestres. Les personnels travaillent dans des conditions exceptionnelles – je pense notamment à la température –, plus de 10 heures par jour, sept jours sur sept. Il y a donc une disponibilité complète des équipes qui permet de réaliser un travail remarquable.
Globalement, en OPEX, la disponibilité technique opérationnelle des matériels terrestres est de 90 % et celle des matériels aéroterrestres de 70 %. La première est conforme à l’objectif assigné ; la seconde est inférieure de 10 points à cet objectif, en raison notamment des difficultés rencontrées sur le parc hélicoptère. Les résultats concernant l’armée de l’air sont également très bons : plus de 97 % pour les Rafale, près de 90 % pour les Mirage 2000, entre 90 % et 100 % pour les drones. Le rapport contient un certain nombre d’informations quant à la disponibilité des matériels pour les trois milieux : terre, air et mer.
Ces statistiques témoignent de la priorité légitimement donnée aux OPEX et des efforts consentis pour assurer les capacités opérationnelles à nos armées. Toutefois cette priorité, conséquence du rythme des engagements extérieurs, n’est pas sans effets pour les matériels et les hommes non déployés. Nous allons donc aborder maintenant les conséquences du rythme des OPEX sur le MCO des matériels en métropole.
Globalement, on constate ce que nous avons dénommé un « transfert de l’indisponibilité » sur la métropole. D’après les informations que nous avons recueillies, une augmentation de cinq points de la disponibilité en OPEX se traduit par une diminution de dix points de celle-ci en métropole.
De façon très synthétique, les matériels non déployés sont affectés de deux manières :
– directement, par l’affectation prioritaire des ressources aux OPEX : personnels maintenanciers, rechanges, équipements, outillages. Par ailleurs, les matériels non projetés peuvent être « cannibalisés » au profit des matériels déployés ;
– indirectement car la remise en état des matériels rentrés d’OPEX est plus longue, plus lourde et plus coûteuse du fait des conditions d’engagement extrêmes. À cet égard, je souhaite revenir quelques instants sur les termes successivement utilisés en matière de MCO. Au retour d’Afghanistan, on parlait d’actions de « métropolisation » ; aujourd’hui, on parle de « régénération » des matériels. À titre d’exemple, la régénération d’un AMX 10 RC représentera, en moyenne, 676 heures de travail et un coût de 190 000 euros par véhicule.
De fait, les statistiques de disponibilité s’en ressentent. Pour l’armée de terre par exemple, la disponibilité technique globale du parc de service permanent oscille entre 65 et 70 % ; celle du parc d’entraînement entre 60 et 70 % ; celle des matériels aéroterrestres n’est que légèrement supérieure à 40 %.
Faute de matériels disponibles, la préparation opérationnelle et l’entraînement des forces sont donc affectés par ricochet. Les chefs d’état-major ont eu l’occasion d’évoquer ce sujet à plusieurs reprises.
Ainsi, pour ce qui concerne l’armée de l’air, les jeunes équipages sont en situation de sous-entraînement sur certains appareils. Des qualifications ne peuvent être entretenues. En outre, la préparation opérationnelle est recentrée sur les compétences et les savoir-faire nécessaires aux opérations actuelles, au détriment d’autres. Le chef d’état-major de l’armée de l’air lui-même l’avait rappelé devant notre commission dans le cadre de son audition sur le projet de loi de finances pour 2016. De fait, nous restons encore en deçà des normes d’activités de l’OTAN qui constituent la cible de la LPM. Il faut toutefois préciser que certains objectifs d’activité ont été affectés par l’actualité. Tel est le cas dans l’armée de terre en raison de l’opération Sentinelle.
Nous en venons maintenant à nos recommandations. Mais tout d’abord, il faut rappeler que certains leviers ont déjà été actionnés. En termes d’organisation, la chaîne MCO a été refondée avec une organisation non pas par armée mais par milieu.
Par ailleurs, en termes financiers, la LPM a fait de la remontée des crédits d’entretien programmé des matériels (EPM) une priorité. En effet, comme nos collègues Yves Fromion et Gwendal Rouillard l’avaient parfaitement analysé à l’occasion de leur rapport sur la revue capacitaire des armées, la LPM précédente avait sous-estimé les besoins de financement pour l’EPM. La remontée prévue par la LPM 2014-2019 est à souligner, avec une croissance moyenne de 4,3 % par an des crédits d’EPM. L’actualisation de juillet dernier a poursuivi cet effort, avec 500 millions consacrés à ce poste sur les 3,8 milliards de ressources supplémentaires.
Ces rappels effectués, nous en venons à nos principales recommandations, que nous avons choisi de regrouper en cinq grands thèmes.
Mme Marie Récalde, rapporteure. Le premier concerne les moyens financiers et humains du MCO. Derrière les aspects techniques du problème – dont vous avez vu qu’ils sont nombreux –, l’équation est en réalité relativement simple : si on gère par les coûts, la disponibilité et donc les capacités opérationnelles baissent ; si on gère par la disponibilité, les coûts augmenteront, compte tenu du nombre et de l’intensité de nos engagements extérieurs et d’une situation sous-optimale en métropole. Le haut niveau d’engagement de nos armées étant appelé à durer, il convient de le prendre en considération.
Nous devons être honnêtes et reconnaître que nous ne sommes pas en mesure de vous fournir un chiffrage précis des besoins de financement à long terme pour parvenir à une situation optimale. C’est tout à fait normal. Le niveau de ressources que l’on décide de consacrer au MCO est fonction du taux de disponibilité de chaque type d’équipement et de matériel, compte tenu, d’une part, des besoins au titre des engagements extérieurs et, d’autre part, de la préparation opérationnelle et de l’entraînement en métropole. La détermination de ces besoins et de ces critères n’est évidemment pas du ressort de la mission d’information.
Mais il est certain que si l’on souhaite une remontée de la disponibilité et donc de l’activité et des capacités opérationnelles, à l’extérieur comme en métropole, davantage de moyens sont nécessaires. Le taux de disponibilité souhaité par type d’équipement, par théâtre et par « nature » d’utilisation déterminera le niveau de ressources nécessaires. Il faut toutefois rester conscient du fait qu’une disponibilité technique de 100 % n’est pas atteignable ; il subsistera toujours une part résiduelle d’indisponibilité.
Ces précisions apportées, notre première recommandation consiste à modifier la procédure du décret d’avance OPEX pour assurer aux armées un financement « au fil de l’eau » et une plus grande réactivité face aux besoins opérationnels.
Il ne s’agirait pas d’obtenir davantage de moyens, mais de les obtenir plus vite. Nous proposons donc de rendre le décret d’avance OPEX non plus annuel mais semestriel, voire trimestriel. Cette simple modification de la procédure n’aurait que des vertus et ce, sans dépenser un euro supplémentaire. Elle permettrait, d’une part, d’assurer le financement des priorités en OPEX et, d’autre part, de ne plus « cannibaliser » les ressources nécessaires au soutien en métropole. Elle n’aurait aucune incidence sur le solde budgétaire, et elle permettrait, enfin, de rendre plus efficace les procédures de contractualisation des marchés. En effet, certains sont lancés en urgence, en fin d’année, une fois les ressources du décret d’avance rendues effectivement disponibles.
Une autre recommandation, elle aussi à coût zéro par rapport aux crédits votés par le Parlement, consisterait à dégeler au moins partiellement la réserve de précaution dès le début de l’année. Je rappelle que, pour 2016, le taux de mise en réserve hors titre 2 s’élève à 6 %, ce qui représente 1,63 milliard d’euros pour la mission Défense.
Certes, ce mécanisme budgétaire est nécessaire au pilotage de la dépense publique. Mais le recours à la réserve ne doit pas se traduire par des tensions opérationnelles pour nos forces, alors que les pouvoirs publics exigent d’elles un engagement sans faille encore renforcé par les événements tragiques que vient de connaître notre pays.
Nous estimons également indispensable d’attribuer les ressources nécessaires au soutien en métropole pour augmenter la disponibilité, et donc la préparation opérationnelle et l’entraînement. Il ne faut pas oublier que ce sont eux qui assurent l’excellence de nos armées à l’extérieur : la préparation opérationnelle d’aujourd’hui est l’OPEX de demain.
À plus long terme, nous sommes favorables à l’augmentation de notre effort de défense pour approcher les 2 % du PIB. Cela représenterait une dépense de 42 milliards d’euros par an environ, soit une dizaine de milliards de plus que les ressources actuellement consacrées à la défense. Il ne s’agit évidemment pas d’invoquer ce chiffre de manière irréfléchie comme une sorte de formule magique. La dégradation du contexte géostratégique et sécuritaire est une réalité qui est amenée à perdurer. Elle appelle donc à un effort plus grand afin de parer aux menaces ou de les neutraliser.
M. Alain Marty, rapporteur. Sur le plan des ressources humaines, nous estimons nécessaire leur renforcement au niveau quantitatif et au niveau qualitatif.
Le renforcement des effectifs de soutien nous paraît particulièrement important. Lorsqu’on analyse les conséquences des déflations d’effectifs opérées entre 2008 et 2015, comme l’avaient fait nos collègues Yves Fromion et Gwendal Rouillard, on arrive à 8 700 supprimés au niveau des MCO aéronautique et terrestre. Aujourd’hui, on constate de fortes tensions sur certains territoires et en OPEX. Les difficultés rencontrées sur le parc hélicoptères sont notamment dues à un manque de maintenanciers.
Sur le plan qualitatif, l’arrivée de nouveaux matériels très technologiques et hyper-connectés nécessitera à l’avenir le recours à des maintenanciers d’un haut niveau technique. L’armée de terre, par exemple, sera à terme dotée de matériels « info valorisés » dans le cadre du programme Scorpion. La marine est confrontée à la même question avec les bâtiments modernes comme les FREMM, dont les logiciels nécessaires à leur fonctionnement comprennent quelque 120 millions de lignes de code informatique.
De fait, en plus des équipes de soutien compétentes pour la maintenance traditionnelle, les forces auront sans doute besoin de véritables ingénieurs militaires au sein de la chaîne MCO, lesquels relèveront des catégories administratives supérieures les plus coûteuses en titre 2.
Le deuxième axe de recommandations concerne les flux logistiques. Des actions importantes ont été menées par le centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA) et par les équipes du projet « supply chain ». Il convient de les poursuivre. Je tiens à rappeler que la Cour des comptes avait formulé des critiques assez dures sur l’organisation logistique au sein des armées. Une réflexion de fond a été menée et la chaîne logistique militaire est en phase de modernisation complète, selon les modèles en vigueur parmi les professionnels de la logistique. Les efforts et les actions menés en la matière sont remarquables.
Au-delà, nous recommandons d’améliorer les flux logistiques « immatériels ». En OPEX, la limitation des débits informatiques peut ralentir la chaîne logistique, d’autant que les systèmes d’information logistique ne sont pas prioritaires par rapport aux systèmes d’information et de commandement. Il conviendrait donc de réfléchir aux moyens techniques de renforcement de ces flux immatériels pour améliorer la chaîne logistique, sans pour autant réduire les capacités nécessaires au commandement.
Concernant les flux physiques, nous proposons deux principales pistes de réflexion. Il faut tout d’abord relever que le degré de complexité des procédures et le niveau de réactivité des services douaniers locaux sont hétérogènes. Un exemple révélateur : un véhicule anti-incendie a pu être bloqué en douane au Liban pendant près de trois mois, et ce sans raison particulière ! Vous pouvez comprendre l’exaspération des militaires qui savent que le matériel est arrivé à destination mais n’est pas pour autant disponible en raison d’un blocage au niveau douanier.
De telles difficultés peuvent être surmontées par la réactivité de nos postes diplomatiques, dont la mobilisation en cas de blocage doit être soulignée. Toutefois, elles pourraient sans doute être mieux anticipées par une négociation en amont entre nos services diplomatiques et les autorités locales afin de fluidifier les procédures. Si cela s’avère insuffisant, des négociations de haut niveau pourraient avoir lieu au niveau gouvernemental afin d’améliorer la rapidité des services douaniers locaux.
Nous recommandons également de procéder à la modernisation de la composante logistique de la flotte. Notre collègue Gwendal Rouillard l’avait également souligné dans son rapport pour avis sur le PLF 2016. Un programme, baptisé FLOTLOG, doit procéder au remplacement de nos bâtiments logistiques, mais il n’interviendra qu’à l’horizon 2021-2025. Nous pensons qu’il faut faire de FLOTLOG une priorité afin de permettre des livraisons dès les premières annuités de la prochaine programmation militaire. Ces bâtiments ont déjà fait la preuve de leur intérêt en termes d’approvisionnement logistique, notamment dans les zones de conflit de moyenne à haute intensité comme dans le cadre de l’opération Harmattan.
Mme Marie Récalde, rapporteure. Le troisième axe de réflexion concerne la conduite des programmes d’armement. Il faut que les cadences de livraison soient impérativement respectées. Le maintien en parc de matériels vieillissants n’est pas une solution optimale. Il s’avère coûteux, avec un accroissement de la fréquence des pannes. Il est aussi difficilement gérable au niveau technique en raison de l’obsolescence qui touche certains rechanges et pièces. Une solution alternative peut être envisagée pour certains types de matériels. Il s’agit de l’acquisition de « parcs tampon ». Ils seraient sans doute moins évolués que les matériels nouveaux, mais ceux-ci voient parfois leur livraison repoussée. Ils permettraient donc de pallier d’éventuelles réductions temporaires de capacités.
C’est la solution qui a été retenue, par exemple, face aux retards constatés sur les capacités tactiques de l’A400M ; je pense par exemple à l’atterrissage sur terrain sommaire. Le rapport fait état d’un certain nombre d’éléments sur les retards et les défaillances liés à l’A400M. L’acquisition d’Hercules C-130 supplémentaires doit permettre de maintenir les capacités opérationnelles de nos forces.
Il faut également préciser que, d’après les informations que nous avons recueillies à l’atelier industriel de l’aéronautique (AIA) de Bordeaux, des difficultés ont été rencontrées sur les moteurs TP400 qui équipent les A400M. La documentation fournie par l’industriel n’étant pas à jour, des moteurs qui auraient dû être réparés dans un délai théorique de 90 jours n’étaient toujours pas sortis des ateliers six mois après l’expiration de ce délai.
Nous formulons également des propositions dans le domaine des relations entre l’État et l’industrie. Nous pensons tout d’abord que, pour assurer des relations équilibrées entre les deux partenaires, l’État doit renforcer ses capacités en matière de connaissance des références et d’analyse des coûts. Des démarches ont été menées en ce sens, elles doivent être poursuivies. Nous pensons notamment à la démarche d’amélioration du référencement des composants homologués pour la réparation (ARCHER) de l’armée de terre. En améliorant le recensement, dans une base de données, de toutes les références et des prix de marché des composants utiles pour une prestation de MCO, elle a permis de renforcer les capacités de négociation de l’État. Sur certaines pièces, les écarts de prix étaient considérables : ils pouvaient aller de un à cinq pour un alternateur, et même de un à cent pour des fusibles. En six mois d’existence, ARCHER a permis de retirer quelque 6 000 références dont les prix se sont avérés exorbitants après une analyse comparative. Il y a là des gisements d’économies possibles.
Dans le même esprit, nous recommandons de renforcer les capacités de la division d’enquête des coûts de la direction générale de l’armement (DGA), dont les compétences sont précieuses. L’apport de cette division a pu permettre de bénéficier de gains compris entre 10 et 15 % voire plus par rapport à une négociation classique. Or elle ne compte qu’entre 40 et 45 enquêteurs, contre une centaine en Allemagne et près de 400 au Royaume-Uni au sein d’organismes comparables.
Nous pensons également utile de développer les plateaux techniques État-industrie afin d’assurer des échanges directs et de permettre une meilleure coordination des actions de maintenance. Nous estimons aussi qu’il faudrait élargir ces clusters aux PME/PMI qui semblent en être largement exclues à l’heure actuelle. Une telle démarche participerait d’ailleurs de l’effort à destination de ces petites entreprises, dans la logique du Pacte Défense-PME.
M. Alain Marty, rapporteur. Nous pensons également que l’action des industriels étatiques pourrait encore gagner en efficacité si un travail d’harmonisation des systèmes d’information mobilisés dans le cadre du MCO était conduit. D’après les informations que nous avons recueillies, 40 systèmes d’information différents sont aujourd’hui utilisés pour piloter le seul MCO aéronautique. Ceci est source d’inefficacité, ne serait-ce qu’en termes de temps passé à retranscrire les données d’un système à l’autre, sans évoquer les potentiels risques d’erreur dans cette retranscription.
Enfin, il est sans doute nécessaire de veiller sérieusement aux conséquences de la réglementation européenne REACH. Celle-ci oblige notamment les industriels à recenser et établir les risques potentiels que les substances chimiques utilisées représentent pour la santé humaine et pour l’environnement. Or la chaîne du MCO est grande consommatrice de substances chimiques. Aussi REACH pourrait-elle avoir un impact dans la conduite concrète des opérations de maintenance, en interdisant l’utilisation de certains produits. Elle obligerait donc les acteurs du MCO à trouver des solutions alternatives mais tout aussi efficaces en termes d’entretien, et donc potentiellement plus coûteuses.
Le cinquième et dernier axe de recommandations concerne le « partage du fardeau » opérationnel au niveau européen. Suite à l’attentat du musée du Bardo en Tunisie, M. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, avait déclaré que : « L’armée française sauve très souvent l’honneur de l’Europe. » et que « Sans [elle], l’Europe serait sans défense. » En conclusion, il affirmait : « Je suis en faveur d’une prise en charge plus collective de l’effort de défense […] de la France. »
Nous ne pouvons qu’abonder dans son sens, mais il est temps de passer des paroles aux actes. En effet, la France ne peut plus supporter davantage les injonctions contradictoires qui lui sont adressées, directement ou indirectement.
La première est d’assurer la sécurité des Européens, y compris à l’extérieur des frontières de l’Union européenne, ce qui suppose des dépenses importantes. Une telle exigence n’est évidemment pas formulée de la sorte à notre pays. Mais dans les faits, une seule armée est actuellement présente, avec les moyens suffisants, sur les « points chauds » qui représentent une menace potentielle pour l’Europe. Car en projetant ses troupes, la France ne protège pas seulement les Français, elle assure la protection de l’ensemble de ses partenaires européens et de leurs populations.
La seconde injonction, celle-ci formulée très directement et officiellement, est de respecter scrupuleusement les règles budgétaires. Il est vrai que ces règles ont été librement et souverainement consenties. Mais il est tout aussi vrai que leur observance peut faire oublier les réalités géostratégiques et sécuritaires. Elle conduit également à ignorer les coûts que la protection des Européens suppose, coûts que la France assume largement à l’extérieur de l’Union.
Ce partage du fardeau peut passer par différents canaux.
Le premier est une plus grande implication de nos partenaires au niveau opérationnel. C’est la démarche poursuivie par notre pays suite aux attentats du mois de novembre, sur le fondement de l’article 47-2 du Traité sur l’Union européenne. Une délégation de notre commission s’est récemment rendue à Berlin pour rencontrer nos collègues du Bundestag. Il est clair que la demande de mise en œuvre de cet article a produit des effets. Nous l’avions constaté avec les décisions prises par les Britanniques. Nous l’avons également vu suite au vote du Bundestag. Les effectifs allemands seront renforcés au Mali ; par ailleurs, l’Allemagne participera aux vols de reconnaissance en Syrie. On peut juger cette participation modeste, elle n’en demeure pas moins intéressante. En effet, au-delà des moyens mobilisés, elle témoigne d’une prise de conscience de nos homologues allemands sur la nécessité d’un plus engagement plus fort.
Le deuxième canal est financier, et deux solutions peuvent être envisagées. Tout d’abord, des clés de répartition pourraient être élaborées afin que nos partenaires financent une partie de la charge budgétaire des OPEX présentant un intérêt pour la sécurité de l’Europe. Il existe une autre solution moins indolore pour eux, qui sont également soumis à des tensions sur leurs finances publiques. Il s’agirait de la neutralisation, au moins à titre provisoire, d’une partie des coûts relatifs aux OPEX pour le calcul des règles de déficit excessif imposées par le Pacte de stabilité et de croissance.
Le troisième canal a trait aux mutualisations possibles, qui pourraient être recherchées dans deux domaines. Tout d’abord, pourraient être étudiées les possibilités de mutualisation du MCO pour les programmes européens menés en communs. Ceci permettrait de soulager la France à la fois au niveau budgétaire, mais également au niveau de l’organisation du MCO en diminuant la surcharge de la chaîne de soutien. Par ailleurs, les États membres pourraient progresser dans l’harmonisation des règles de certification de leurs rechanges afin de mutualiser certains stocks. Un pays non-engagé pourrait dès lors fournir des rechanges pour lesquelles une pénurie ou une tension serait constatée.
La solidarité européenne trouverait alors concrètement à s’exprimer, la France ne pouvant et ne devant rester seule dans les combats qu’elle mène aussi pour la sécurité de des Français, mais également de l’Europe et des Européens.
Telles sont les lignes directrices qui ressortent de nos travaux. Pour terminer je voudrais dire le plaisir que j’ai eu à travailler avec Marie Récalde avec qui nous avons travaillé dans un esprit d’ouverture et de franche collaboration.
Mme Marie Récalde, rapporteure. Plaisir partagé !
M. Alain Marty, rapporteur. En guise de conclusion, je souhaiterais redire que nos armées sont durablement engagées, non seulement en opérations extérieures mais également sur le territoire national. L’unique question que nous devons nous poser est la suivante : quelles capacités opérationnelles souhaite-t-on assurer à nos forces ? Tel était l’objet de notre rapport.
Mme la présidente Patricia Adam. Merci à nos deux rapporteurs. Il s’agit d’un rapport très complet, très précis et très technique comme vous l’avez rappelé. Mais il est essentiel pour la conduite des opérations.
M. Gwendal Rouillard. Vous avez évoqué la conduite des programmes d’armement, et ma première question porte sur l’anticipation du MCO : comment mieux le prendre en compte, tant dans sa définition que dans sa conduite ? Le MCO est en effet un sujet ancien mais qui est également d’actualité, et on voit bien que c’est une source d’investissement mais aussi une source d’économie.
Le deuxième sujet porte sur la méthode : si l’on évoque l’A400M, l’Atlantique 2 (ATL2) dont on a largement parlé dans cette commission, ou encore les moteurs de Caracal, on voit bien que la méthode est différente entre le constat fait par les mécaniciens, les cheminements de remontée de l’information jusqu’au ministère de la Défense et la manière de mobiliser les politiques, les militaires, la DGA et les industriels. Comment améliorer la méthode et le niveau de réactivité pour traiter ces sujets ?
Enfin, troisième et dernier point qui est plutôt un vœu : ce qui nous avait frappé lors d’un de nos déplacements en Afrique avec Yves Fromion, c’était le savoir-faire français exceptionnel en matière de MCO. Nos mécaniciens sont vraiment d’un excellent niveau et vous avez eu raison de saluer leur travail. Nous pourrions ensemble formuler le vœu que le MCO français devienne un élément de « l’équipe France » en matière d’industrie de défense pour mieux négocier, mieux valoriser nos produits et nos matériels afin de décrocher les contrats futurs. La qualité du savoir-faire français serait indéniablement un argument alors que l’on évoque souvent la performance de nos matériels d’exception avec le label combat proven. Si l’on prend l’exemple des frégates saoudiennes, ce n’est pas le savoir-faire français qui a été à l’œuvre, ces dernières années, pour faire en sorte qu’elles soient très disponibles. Je souhaiterais donc que, si demain nous vendons de nouvelles frégates à nos partenaires saoudiens, le MCO soit confié à des Français, toujours avec l’objectif de taux de disponibilité.
M. Jean-Jacques Candelier. J’ai écouté les rapporteurs avec beaucoup d’attention et je les remercie pour leur travail très sérieux. Je préciserai néanmoins que la France doit revoir sérieusement sa stratégie d’intervention qui l’amène aujourd’hui à participer à de nombreuses opérations extérieures. Son rôle d’intervenant majeur en Afrique et ailleurs nous coûte cher. Le matériel s’use, les déplacements sont très importants, le personnel est soumis à rude épreuve et les dégâts ne sont pas négligeables. Ce rôle de gendarme, souvent sans l’aval de l’ONU, nous éloigne de l’image que nous avions dans le monde et cela pourrait expliquer partiellement certaines exactions.
Mme Marie Récalde, rapporteure. Chers collègues, merci pour vos compliments. Nous avons beaucoup auditionné, nous nous sommes souvent déplacés et ces expériences ont été très instructives. Je vous invite vraiment à regarder le contenu du rapport où vous trouverez des données très précises, notamment sur la question des ATL2.
À propos de la capacité d’anticipation, aujourd’hui, le MCO est pris en compte très en amont dans les contrats qui sont passés. C’est notamment l’objet d’une instruction n° 125-1516 relative au déroulement et à la conduite des opérations d’armement. Mais la difficulté vient du niveau des spécifications ; plus on ajoute de spécifications, plus on renchérit le coût du contrat. Les échanges avec les armées et les industriels, ainsi que les expériences des théâtres récents, ont montré qu’en particulier pour l’armée de terre nous nous orientons davantage vers la conception d’équipements modulaires, des kits optionnels pouvant être ajoutés et qui permettent de faire évoluer et d’adapter les matériels en fonction des besoins.
Par ailleurs, la mise en place des plateaux techniques me paraît être une solution qui a fait ses preuves, notamment dans le domaine de l’aéronautique, et qui est à renouveler sur tout le territoire. Quand on réunit l’ensemble des acteurs comme les donneurs d’ordres, les militaires, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense (SIMMAD), les PME, la formation, en bref tous les intervenants de la chaîne du MCO, ils se comprennent mieux, les délais sont ainsi raccourcis et l’efficacité est au rendez-vous. Je crois que travailler en cluster, sous forme de plateaux, est une technique qui doit être dupliquée et qui par ailleurs est en train de l’être.
Enfin, au sujet du MCO et du savoir-faire français, Gwendal Rouillard a raison, c’est une véritable spécificité française. C’est en France qu’est organisé un salon international du MCO. Il y a cinq ans, quand nous avons créé ce salon, cela n’intéressait pas beaucoup de personnes. Désormais, dans la mesure où nous faisons durer l’utilisation de nos matériels dans le temps, les industriels ont bien compris que le MCO est une part importante de leur engagement et ce salon est de plus en plus fréquenté, y compris par des acteurs internationaux. De plus, nous avons en France des centres de formation de MCO qui sont reconnus internationalement et, dans les derniers contrats à l’export passés par nos industriels la maintenance et la formation à la maintenance de ces appareils sont vendues avec le matériel. Il s’agit d’une démarche importante, cela permettra également de former nos partenaires étrangers qui sont nos alliés : nos techniciens MCO sont une partie intégrante de « l’équipe France ». Néanmoins, il faut faire attention à ne pas perdre des savoir-faire qui sont en train de disparaître au sein de nos armées et chez nos industriels, notamment au service industriel de l’aéronautique (SIAé). Nous y avons vu des matériels anciens, avec des pièces obsolètes et des savoir-faire très particuliers. Il est important que les personnels qui partent soient remplacés par des gens bien formés, à qui l’expérience a été transmise. C’est pour cela que l’apprentissage dans ces services industriels est une piste à développer.
M. Alain Marty, rapporteur. En complément, je voudrais dire qu’il y a effectivement une instruction qui fixe la place du MCO dans les programmes d’armement. Au moment où on élabore un programme, on réfléchit également à sa mise en œuvre. Le MCO initial est aussi un élément qui associe directement l’industriel puisque pendant les deux premières années du programme, des crédits sont prévus à cet effet qui figurent sur le programme 146 « Équipement des forces » et non sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces » qui concentre l’essentiel des crédits d’EPM. On voit bien aussi le rôle des industriels dans l’élaboration d’un programme et dans la mise en œuvre du MCO puisque pour le char Leclerc, le VBCI ou encore le CAESAR la maintenance de niveau industriel est aujourd’hui effectuée par Nexter.
Je vous rejoins s’agissant de la remarque sur les frégates saoudiennes. Mais il ne faut pas que nos programmes d’exportation télescopent nos capacités et nos besoins en matière de personnels et de pièces de rechange.
Enfin, la remarque de M. Candelier est de nature politique. Je voudrais lui répondre que les opérations menées par la France dans la bande sahélo-saharienne et en République centrafricaine le sont en partenariat étroit avec l’ONU : au Mali, la MINUSMA est mise en œuvre par l’ONU, ainsi que la MINUSCA en République centrafricaine. Enfin, la résolution 2249 du Conseil de sécurité de l’ONU donne mandat à l’opération Chammal. C’est un choix politique de ne pas être d’accord avec ces opérations, mais nous ne sommes pas dans le cadre d’interventions individuelles ; nous intervenons dans le cadre onusien.
Mme Marie Récalde, rapporteure. Je rappelle, pour parler de manière triviale que la France ne « saute pas sur tout ce qui bouge ». Ce n’est pas la France qui a entamé l’offensive mais bien Daech qui a enclenché les hostilités. Le président de la République a pris la décision d’intervenir sur les théâtres où nous sommes à la suite de l’appel d’États souverains et amis, dans le cadre des règles de droit international. La défense de l’avant conditionne aussi la sécurité sur le territoire national, nous le voyons tous les jours, c’est donc un choix politique fort qui a été fait.
Mme la présidente Patricia Adam. Merci chers collègues. Je pense que ce rapport sera très lu, certainement par les industriels mais aussi au sein du ministère de la Défense et j’espère aussi par de nombreux médias intéressés par ces questions.
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La commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur les conséquences du rythme des OPEX sur le maintien en condition opérationnelle des matériels en vue de sa publication.
La séance est levée à onze heures trente.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Nicolas Bays, M. Daniel Boisserie, M. Malek Boutih, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Nathalie Chabanne, M. David Comet, Mme Catherine Coutelle, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, Mme Marianne Dubois, M. Yves Foulon, M. Claude de Ganay, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, M. Patrick Labaune, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Frédéric Lefebvre, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marty, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard
Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Laurent Cathala, Mme Carole Delga, M. Philippe Folliot, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. François Lamy, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Jean-Claude Perez, M. Alain Rousset, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin
Examen, ouvert à la presse, du rapport d’information sur les conséquences du rythme des opérations extérieures sur le maintien en condition opérationnelle des matériels (M. Alain Marty et Mme Marie Récalde, rapporteurs)
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