12/06 Nicolas Madelaine, Correspondant à Londres Les Echos
Une entreprise privée pourrait se substituer à la DGA britannique. L'initiative soulève de nombreuses questions.
Parmi tous les services publics que le gouvernement de David Cameron veut privatiser, comme le Royal Mail, il en est un qui détonne. Il s'agit de Defence, Equipment & Support (DE & S), l'entité du ministère de la Défense responsable des achats d'équipements militaires, à peu près l'équivalent de la Direction générale de l'armement (DGA) française. En début de semaine, Philip Hammond, le secrétaire à la Défense, a mis le projet sur les rails : il a présenté au Parlement un texte de loi visant à transformer DE & S à une « Goco » (« government owned », « contractor-operated »). Autrement dit, une entité propriété du gouvernement mais gérée par un sous-traitant.
Pour Guy Anderson, analyste senior chez IHS Jane's Defence Industry, « s'il est fréquent que des entreprises gèrent de la logistique ou de la maintenance, placer les achats militaires dans les mains du privé est sans précédent. » L'initiative est d'autant moins banale que le Royaume-Uni est l'une des premières puissances militaires au monde : le pays achète pour 14 milliards de livres d'équipements par an. DE & S emploie 16.500 fonctionnaires et militaires sur environ 80.000 salariés du ministère.
De nombreux risques
Cette perspective, déjà évoquée sous le précédent gouvernement travailliste qui avait choisi d'enterrer une étude sur le sujet, est tout à fait sérieuse. La décision doit être prise au troisième trimestre de l'année prochaine, même si les risques sont nombreux. D'abord, il n'est pas évident qu'une gestion privée garantisse les centaines de millions d'économies recherchées. Pour Guy Anderson, ces économies viendront surtout de la poursuite de la rationalisation du ministère. Ensuite, comme le souligne John Louth, du RUSI, les programmes militaires représentent des engagements déjà pris sur plusieurs années. « Il n'est donc pas évident qu'un contractant privé puisse atteindre des objectifs lui garantissant que ce marché lui soit profitable. » « L'allié américain a manifesté son inquiétude car il peut y avoir des risques de fuite d'informations sensibles », note aussi Guy Anderson.
Autre grand sujet, il faudra éviter tout conflit d'intérêt. Beaucoup de sociétés militaires susceptibles de gérer les achats militaires - comme le Britannique Babcock, candidat logique aux côtés de KBR et de Serco - sont des fournisseurs de l'armée. Aux Etats-Unis, ce genre d'initiatives a poussé des fournisseurs du Pentagone à se séparer de certaines de leurs divisions. Le dernier risque est l'ajout d'une autre grande restructuration du ministère au moment où il fait déjà face à de nombreux défis : réduction d'effectifs, retrait d'Afghanistan…
Cela dit, l'idée n'a pas soulevé de levée de boucliers. Le gouvernement se targue d'avoir comblé le trou de 40 milliards de livres dont il a hérité du Labour en 2010 sur les programmes en cours. Le gouvernement veut aller plus loin. Le feu vert définitif ne sera donné que si le projet a toutes les chances d'apporter satisfaction. Un exercice de simulation vient de démarrer : des entreprises susceptibles d'emporter ce marché ont été invitées à prouver qu'elles peuvent faire mieux que la DE & S.
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