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14 septembre 2012 5 14 /09 /septembre /2012 07:54

http://www.defense.gouv.fr/var/dicod/storage/images/base-de-medias/images/ema/le-chef-d-etat-major/120913-allocution-de-l-amiral-edouard-guillaud-ouverture-de-la-20eme-promotion-de-l-ecole-de-guerre/allocution-de-l-amiral-edouard-guillaud-ouverture-de-la-20eme-promotion-de-l-ecole-de-guerre-1/1949172-6-fre-FR/allocution-de-l-amiral-edouard-guillaud-ouverture-de-la-20eme-promotion-de-l-ecole-de-guerre-1.jpg

 

13.09.2012 Sources : EMA

 

Messieurs les officiers généraux,
Mesdames et messieurs les officiers,
Chers stagiaires de la 20ème promotion de l’Ecole de guerre,

 

 

Je ne suis pas là par hasard, vous non plus.

 

Si je suis là, chef d’état-major des armées, c’est pour vous fixer le cap de l’année à venir. C’est pour vous dire ce que j’attends de l’Ecole de guerre, ce que j’attends de chacun d’entre vous.


Si vous êtes là, c’est parce que vous avez réussi un concours difficile, parce que vous êtes destinés à des fonctions de commandement et que cela se prépare. Cela se prépare par le travail, beaucoup de travail.


C’est pour cela que vous retournez à l’école. Mais l’Ecole de guerre n’est pas une école comme les autres – j’y reviendrai dans quelques instants.

 

Je salue nos 103 camarades des nations amies de la France. Votre présence ici est l’un des atouts forts de l’Ecole de guerre. Elle traduit la nécessité de s’ouvrir à d’autres horizons, le besoin tous les jours plus fort d’une meilleure connaissance mutuelle. Elle est source d’enrichissement réciproque.

 

                                                                                             ***
Vous voilà donc tous revenus sur les bancs de l’école, pour « apprendre la guerre ». Pas celle du lieutenant ou de l’enseigne. Celle de l’officier supérieur.

 

Matière paradoxale, presque incongrue à une époque où les guerres ne se déclarent plus, ne se nomment plus, à une époque où les frontières entre défense et sécurité sont plus poreuses, à une époque où leur visage bouscule nos références, à une époque où – en Europe tout du moins – les sociétés sont dans le déni de son existence et de sa pérennité.

 

Or, la guerre est là. Parfois loin de nos frontières physiques peut-être, mais elle est là. Elle n’est pas morte. C’est un fait.


Elle est plus complexe, souvent plus sournoise. C’est un autre fait.

 

Et notre devoir de militaires, notre responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens, c’est d’assurer la veille, toujours, c’est de combattre, s’il le faut et jusqu’au bout, s’il le faut.


C’est pourquoi j’ai tenu à ce que cette école retrouve le nom qui fut le sien pendant longtemps, le nom qui correspond le mieux à la réalité de nos soldats qui s’engagent, parfois au prix de leur vie : l’Ecole de guerre !

 

                                                                                             ***
Ecole de guerre, vaste programme !


« La guerre, je connais », diront plusieurs d’entre vous. Et c’est vrai, pour beaucoup ici, la guerre, ce n’est plus seulement de la théorie, c’est du connu, c’est du vécu.

 

Oui, c’est du connu, c’est du vécu mais jusqu’ici c’était le vécu de l’exécutant, du chef de premier niveau, de l’expert de son métier.


On attendra davantage de vous demain.

 

On attendra de vous que vous planifiiez les opérations, que vous gériez des ressources, que vous orientiez la préparation de l’avenir.

 

On attendra de vous que vous vous positionniez « un cran au-dessus », là où les décisions se prennent, des décisions qui engagent, pas seulement une compagnie, une escadrille ou un bâtiment léger, mais un dispositif, une opération !

 

On attendra de vous que vous quittiez votre cœur de métier, que vous dépassiez les schémas de votre armée, que vous vous inscriviez pleinement dans l’interarmées. Car l’interarmées, ce n’est pas un dogme ; vous le savez, l’interarmées, c’est la réalité, la réalité de toutes les opérations militaires ! C’est une réalité que vous avez déjà approchée mais qui sera désormais votre quotidien !

 

On attendra de vous que vous sortiez des logiques de vos pays, que vous maîtrisiez celles de vos alliés, de vos partenaires d’autres nations. On attendra de vous une ouverture sur l’international. Parce que les opérations contemporaines sont, pour la plupart, multinationales. Parce que, demain, c’est vous tous qui les conduirez !

 

C’est pour cela que l’Ecole de guerre est interarmées, c’est pour cela qu’elle est internationale !

 

                                                                                             ***
Vous le savez, l’année qui vient sera, pour les armées françaises, celle de la rédaction d’un nouveau Livre blanc puis d’une nouvelle loi de programmation militaire.


Ces travaux conduiront l’autorité politique à définir son ambition pour la défense et la sécurité nationale, à définir les missions de nos armées et les capacités qui leurs seront confiées. Ils seront décisifs.


Ils seront décisifs pour les armées françaises. La puissance militaire reste l’un des déterminants de la puissance d’un Etat, de son pouvoir de rayonnement, de sa capacité d’entraînement. Membre du CSNU, la France a des responsabilités sur la scène internationale. Elle a aussi des responsabilités vis-à-vis de ses alliés, à l’Union européenne ou à l’OTAN, et vis-à-vis de nombreux pays amis. Son outil militaire doit lui permettre d’assumer toutes ces responsabilités.

 

C’est pourquoi ces travaux seront  également décisifs pour les amis, les alliés et les partenaires de la France. Ils impliqueront peut-être de concevoir et de mettre en œuvre de nouvelles voies de coopération, d’approfondir la dynamique de mutualisation et de partage capacitaires. La solidarité internationale n’a aucune réalité sans volonté, ni sans capacité. La mutualisation et le partage n’ont de sens que si l’on veut et l’on peut effectivement contribuer au pot commun, c’est une évidence !

 

Or, c’est un secret pour personne, la situation des finances publiques est, partout, difficile, très difficile. Elle est difficile pour nos amis européens. Elle est difficile pour nous. Nous savons  déjà que nous serons peut-être conduits à faire des choix, des choix structurants.

 

Ces choix, ils se baseront sur une analyse exhaustive du contexte géostratégique et sur le rôle que nous souhaitons y jouer.  C’est ce à quoi travaille actuellement la Commission du Livre blanc. C’est ce à quoi je travaille avec l’état-major des armées et les états-majors d’armée.

                                                                                              ***
Mon analyse à ce stade, c’est que 4 tendances majeures se dégagent, 4 tendances majeures étant entendu que le temps de la géostratégie, c’est le temps long – l’histoire et la géographie ne mentent pas.

 

1ère tendance majeure : la guerre froide connaît une fin laborieuse.


Les convulsions des Etats riverains de la Méditerranée orientale, du Proche et du Moyen Orient, et du fondamentalisme islamique – allant jusqu’à l’Afrique subsaharienne –, mises sous boisseau pendant la guerre froide, doivent maintenant être soldées. Je pense bien sûr à l’Egypte, à la Libye, à la Syrie. En existe-t-il d’autres, en Asie, en Amérique latine ou ailleurs ?

 

Le positionnement des Etats-Unis oscille toujours entre interventionnisme et isolationnisme, même si ce dernier est aujourd’hui très subtil. Les Américains restent « juge et partie » de tous les sujets, on attend toujours d’eux qu’ils soient les garants de la sécurité mondiale. Ils ont retrouvé le chemin de l’autonomie énergétique, ce qui aura des répercussions sur leur perception du Moyen Orient, par exemple.

 

Les pays émergents  n’hésitent plus à s’affirmer, d’abord par le « non », et ne cessent de développer leur sphère d’influence, en Afrique principalement, à l’appui d’outils militaires de plus en plus performants.

 

Un phénomène nouveau et mal anticipé : l’affirmation d’une voix des Etats du Golfe. Médiateurs, bailleurs de fonds, pourvoyeurs de capacités, ils apparaissent aujourd’hui incontournables.

 

Tout cela pèse sur la résolution des conflits par l’ONU. L’émergence d’organisations régionales comme l’Union africaine avec ses velléités et son poids objectif compliquent aussi la donne.

 

2ème tendance majeure : les domaines de conflictualité se sont étendus.


La prolifération des armes de destruction massive, des vecteurs balistiques et l’utilisation militaire de l’espace se développent en dépit des actions de régulation de la communauté internationale. L’augmentation du nombre d’Etats dotés et d’Etats du seuil nucléaire se poursuit. Dans ce contexte, le maintien de la crédibilité de la dissuasion française est primordial.

 

Les espaces communs, ceux qui échappent à la souveraineté des Etats, sont désormais à la fois un enjeu et un champ d’affrontement. C’est le cas de l’espace exo-atmosphérique, de l’espace cybernétique. C’est aussi le cas des océans – y compris de leurs fonds. La maritimisation du monde est en route, la sécurité des mers et des détroits étant aujourd’hui plus qu’hier essentielle aux approvisionnements en énergie, en matières premières et en  marchandises.

La plupart de nos adversaires adoptent des stratégies de contournement non conventionnelles. Cela nous impose de repenser nos propres stratégies selon une approche globale où « interministérialité » et interopérabilité sont les maîtres mots, de la conception de l’action jusqu’à sa mise en œuvre. Le renseignement y est primordial, dès lors qu’il contribue à l’action et pas à la seule information.

 

L’accentuation des déséquilibres et les désordres géographiques constituent, enfin,  une nouvelle contrainte sur la définition des capacités des armées – je veux parler de la concentration de l’humanité sur le littoral et dans les villes ou de l’enchaînement des catastrophes naturelles, industrielles ou technologiques.

 

3ème tendance majeure : certains enseignements opérationnels sont pérennes.


Nos opérations sont interarmées et combinées. Dans le temps long – qui n’est pas celui du conflit en cours ou du précédent –,  toutes les composantes militaires sont également indispensables à l’obtention d’effets militaires décisifs.

 

Les conflits sont en majorité de longue durée et de basse intensité. Ils nous opposent de plus en plus à des adversaires non étatiques qui ne savent pas terminer une guerre ou qui ne le veulent pas, ils tablent sur l’érosion du soutien et la versatilité des opinions publiques.

 

Les conflits de basse intensité dégénèrent parfois, soudainement, temporairement et localement, en conflits de haute intensité.


Quelle que soit l’intensité de la confrontation armée, la haute technicité doit permettre de maintenir l’emploi de la force a minima.

 

4ème tendance majeure : l’Europe est placée face à ses responsabilités.


Le basculement des Etats-Unis vers l’Asie-Pacifique est toujours plus marqué. Leur autonomie énergétique retrouvée conduit à une ré industrialisation. Le centre de gravité de leurs efforts s’éloigne ainsi d’Europe, une Europe qui ne doit pas se réduire à un lieu de compétition commerciale. Tout ceci impose de repenser les approches européennes de sécurité et de défense. Ce facteur est également de nature à modifier le poids des organisations internationales et l’équilibre des Etats en leur sein (UE, OTAN).

 

L’Europe s’interroge sur ses responsabilités de défense et de sécurité. L’esprit de défense y diminue et, concomitamment, les moyens qui y sont consacrés. Les pays européens traversent en fait une situation paradoxale : besoin réaffirmé de plus de solidarité et donc de plus d’Europe, et repli sur soi des Nations dans un contexte de crise économico-financière. 

 

Dans ce contexte, la France est aujourd’hui encore en Europe l’un des pays qui fait le plus d’efforts pour sa défense.
Par ailleurs, le Tsunami ou Fukushima ont montré la sensibilité de la sécurité intérieure des Etats et mis en évidence la contribution des forces armées en cas de catastrophe, de surprise ou comme échelon d’urgence.


Enfin, au terrorisme centralisé, succède désormais un terrorisme déconcentré. Ce facteur confirme que la sécurité est très nettement influencée par des actions se déroulant loin du territoire – AQMI en est une évidente démonstration. La crise syrienne, en catalysant de façon emblématique un spectre très large de menaces potentielles, nous le rappelle également.

                                                                                             ***
Vous aurez l’occasion de réfléchir à tous ces sujets ici, à l’Ecole de guerre. Vous aurez l’occasion de confronter vos points de vue, vos analyses. Vous aurez l’occasion d’affiner votre jugement, de forger des convictions.


Un jugement, des convictions, c’est cela que j’attends d’un officier breveté.


J’attends aussi de l’officier breveté de l’Ecole de guerre dynamisme, ouverture d’esprit, polyvalence et responsabilité.

 

Dynamisme parce qu’il a vocation à encadrer, à susciter l’adhésion, l’enthousiasme. De l’enthousiasme, il en faut au chef militaire, même si les temps sont durs – surtout si les temps sont durs – car c’est lui que les hommes regardent, c’est lui qui donne le sens, c’est lui qui donne du sens !

 

Ouverture d’esprit car le monde change, il change de plus en plus vite. Le chef ne subit pas les événements, il se les approprie, il en fait des atouts. Seule l’ouverture d’esprit évite d’être la victime des circonstances ! Cela demande du courage et de l’honnêteté intellectuelle, cela demande parfois d’abandonner ses certitudes.

 

Polyvalence car l’officier breveté est employable dans une grande diversité de métiers et qu’il doit maîtriser une grande diversité de sujets. C’est pour cela que l’enseignement de l’Ecole de guerre est aussi varié, aussi riche. Il couvre, sans superflu, tous les domaines dont vous aurez besoin demain. Et vous en aurez besoin ! Vous en aurez besoin dès votre sortie de l’Ecole, croyez-moi !

 

Responsabilité, enfin, parce que vous retirerez de l’Ecole de guerre ce que vous y aurez mis de vous-même. Extraire de leurs unités des officiers pour les former pendant une année est considéré par certains comme un luxe. Cela exige en retour un devoir d’excellence ! La responsabilité, c’est aussi la loyauté vis-à-vis de l’institution militaire : la pensée est libre, l’expression aussi mais les « vengeurs masqués » n’ont pas leur place à l’Ecole de guerre !


Dynamisme, ouverture d’esprit, polyvalence et responsabilité, gardez en mémoire ces 4 mots clés. Ils sont, à partir de cette année, vos caps cardinaux !

                                                                                             ***


Je voudrais, pour conclure, vous donner 4 conseils d’ancien, des conseils éprouvés – j’étais à votre place il y a 24 ans.

 

1er conseil : Apprenez à prendre de la hauteur. C’est une aptitude indispensable à l’exercice des responsabilités ! Prendre de la hauteur, c’est savoir se poser des questions, savoir se poser les bonnes questions. C’est s’efforcer d’y apporter des réponses claires, construites et parfois iconoclastes. C’est aussi savoir approcher les problématiques dans leur complexité, savoir dépasser l’approche technicienne, l’approche spécialisée.

 

2ème conseil : Apprenez à travailler en réseau. Le travail en réseau, c’est justement ce qui vous permettra d’élargir vos horizons. C’est ce qui vous permettra d’apporter une réponse complète à une question complexe. Vous avez ici, dans vos groupes, une somme d’expériences exceptionnelle. Sachez en profiter !

 

3ème conseil : Prenez le temps de la réflexion personnelle. L’Ecole de guerre, c’est aussi le temps du recul, de la mise en perspective. Ce n’est pas facile parce que l’emploi du temps est chargé. Ce n’est pas facile parce que les sujets sont variés. Ce n’est pas facile parce que l’actualité pousse au zapping, à l’agitation permanente. C’est indispensable pourtant. N’oubliez pas – je me répète – que vous êtes appelés à donner le sens, à donner du sens !

 

4ème conseil : Prenez le temps de la lecture. Vous devez apprendre à penser la guerre, dans toutes ses dimensions, ses évolutions comme ses fondamentaux. Fréquentez les bons auteurs, les classiques, les anciens comme les modernes, les penseurs de votre armée d’origine comme ceux des autres armées. L’Ecole de guerre est le lieu idéal pour cela !

 

Une dernière recommandation. Je disais en ouverture que l’interarmées était une réalité. Il ne suffit pas de le dire. Cette évidence dictée par le terrain est parfois mise à mal, en particulier lors des périodes d’arbitrage financier. Ces temps de Livre blanc et de LPM réveillent toujours les « guerres des boutons ». Or, ces guerres ne profitent à personne, parce que les « querelles de clochers » sont incompréhensibles de l’extérieur et surtout parce que la division nous affaiblit. Relisez l’histoire romaine : ne soyons pas les Curiace !

 

L’interarmées est un état d’esprit, un chemin de volonté. Il faut combiner les cultures d’armées – sans les effacer, évidemment –, vaincre les réticences. Ce n’est pas simple : la complémentarité ne se décrète pas, elle se démontre et se démontre encore.

 

Je compte sur vous pour contribuer à cette perpétuelle démonstration. C’est le seul enjeu et l’objectif premier de l’Ecole de guerre.

 

Officiers stagiaires de la 20ème promotion de l’Ecole de guerre, vous êtes ici pour préparer votre deuxième partie de carrière, ne négligez pas cette chance ! « L’avenir n’est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n’as pas à le prévoir mais à le permettre », disait Saint-Exupéry. A vous, dès aujourd’hui, de mettre le présent en ordre, de le mettre en ordre pour préparer l’avenir, votre avenir et surtout celui de vos armées !

 

Je vous remercie.

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