21/12 Par Alain Ruello, et Christian Lienhardt – LesEchos.fr
Le gouvernement allemand a refusé à Mercedes le droit d'exporter des châssis à Nexter et à Lohr qui ne peuvent donc pas honorer la livraison de 350 blindés à Riyad.
Branle-bas de combat dans l'armement terrestre français. En refusant à Mercedes le droit d'approvisionner Nexter et Lohr en châssis, le gouvernement allemand bloque deux très gros contrats d'exportation de blindés français à l'Arabie Saoudite, a-t-on appris de sources concordantes. Incapables d'honorer leurs engagements auprès de Riad, les deux industriels ont alerté les cercles politiques français, et notamment les Parlementaires qui sont montés au créneau auprès de leurs homologues Outre-Rhin.
Les contrats en question, signés en bonne et due forme avec la garde nationale saoudienne, concernent la vente de près de 350 blindés : 264 Aravis, une grosse jeep blindée, fabriqués par Nexter, auxquels s'ajoutent 15 ambulances et 68 véhicules MPCV à roue de défense anti-aérienne de Lohr, destinés à recevoir une tourelle Mistral de MBDA. En tout, il y en a pour plusieurs centaines de millions d'euros.
Les parlementaires français au créneau
Le hic c'est que tous ces blindés sont montés sur des châssis Unimog 5000 fabriqués par Mercedes. Comme ces châssis sont destinés à équiper des matériels militaires ou de sécurité, le constructeur automobile allemand doit obtenir une autorisation de la part de Berlin pour pouvoir fournir ses deux clients français. Laquelle autorisation n'a pas été délivrée. Conséquence : ni Nexter, qui devait recevoir ses premiers châssis le 15 octobre dernier, ni Lohr (le 15 septembre), ne peuvent commencer l'assemblage des blindés promis, ce qui les place dans une situation très délicate vis à vis de leur client saoudien.
Saisis par les industriels français, les commissions de la défense de l'Assemblée nationale et du Sénat ont pris leur plume pour tenter de débloquer la situation auprès de leurs homologues du Bundestag. « Dans cette période difficile, un accord de vos autorités dans les meilleurs délais est pour les industriels français et allemands concernés une question cruciale », écrivent Patricia Adam et Jean-Louis Carrere, les présidents des deux commissions dans un courrier auquel « Les Echos » ont eu accès (voir ci-dessous).
Contacté, Nexter n'a pas souhaité commenter. De son côté, tout en regrettant les retards accumulés dans cette affaire, Robert Lohr, le président du groupe éponyme, reste serein : « Mes interventions auprès du ministère de la Défense et de l'Ambassade de France à Berlin semblent avoir débloqué les choses. Du côté de Mercedes, j'ai même pu avoir des assurances officieuses que les autorisations allaient être délivrées dès le début 2013 », affirme-t-il aux « Echos ».
N'empêche. A quelques jours de la célébration des 50 ans du traité franco-allemand de l'Elysée, la nouvelle fait désordre. Déjà, certains se saisissent de cette affaire pour pointer du doigt l'inutilité des efforts de Paris pour relancer la coopération avec Berlin en matière de défense. Leur argument ? Derrière une motivation humanitaire -refus de favoriser la vente de blindés à un gouvernement autocratique qui peut s'en servir pour réprimer des populations civiles -le veto signifié à Mercedes cacherait de plus vils intérêts commerciaux : torpiller les contrats français pour favoriser la vente de blindés « made in Germany ». Exagéré ?
Plus globalement, c'est la stratégie industrielle française en matière de défense qui potentiellement pourrait être remise en cause. Celle-ci préconise de se fournir sur étagères, donc à l'étranger si c'est moins cher, quand il s'agit d'équipements non stratégiques. C'est en vertu de cette stratégie, symbolisée par la théorie des trois cercles du dernier livre blanc de la défense, que Nexter ou Lohr achètent leurs châssis chez Mercedes. « Si derrière on a des problèmes pour exporter même avec un pays ami comme l'Allemagne, alors il y a des questions à se poser », relève un bon spécialiste du secteur.
Courrier des commissions de la défense de l"Assemblée nationale et du Sénat au Bundestag