Les commandos marine français interceptant des trafiquants
crédits : MARINE NATIONALE
06/01/2012 MER et MARINE
La mer n'a jamais été un océan paisible. Piraterie, attaques, guerre de course ont toujours existé et les marins ont appris à cohabiter avec un potentiel danger criminel, venant s'ajouter à celui de la fortune de mer. Les dernières années ont cependant vu la criminalité maritime prendre une toute autre dimension. La mer, principal vecteur de l'économie mondialisée, est aussi devenue un terrain de chasse privilégié pour des actions criminelles de tout ordre : piraterie, narcotrafic, trafic humain et même terrorisme. Ces dix dernières années, deux développements sont intervenus en parallèle : celui du transport maritime mondial et celui des infractions commises en haute mer.
Interception de pirates somaliens (© : US NAVY)
La menace pirate au large de la corne d'Afrique
L'exemple somalien est évidemment caractéristique. Un pays ravagé par la guerre et la famine, une pêche dévastée par les catastrophes naturelles et l'activité intensive des bateaux occidentaux et, à proximité immédiate, les très stratégiques routes maritimes de transit vers le canal de Suez. Pétrole du golfe Persique et conteneurs asiatiques, c'est tout le symbole de la richesse et de la puissance économique des pays occidentaux qui passe à 15 noeuds devant l'un des pays les plus pauvres du monde. Au début des années 2000, les pêcheurs somaliens ont renoué avec l'ancestrale tradition de piraterie d'opportunité qui a toujours existé dans le golfe d'Aden. Un petit boutre traditionnel, un grappin, une arme à feu, un détroussage en règle de l'équipage et retour au port. La source de revenus s'est cependant vite avérée juteuse : de nombreux navires, des marins sans défense, un trafic en augmentation... Rapidement, la piraterie s'est organisée et a profité d'un cadre juridique « favorable » pour passer à la vitesse supérieure. Les pirates, armés lourdement et équipés en moyens de communication, prennent désormais en otage les navires en les forçant à se rendre dans les eaux territoriales somaliennes. De là, où les conventions internationales interdisent théoriquement toute intervention policière ou militaire étrangère, ils négocient des rançons qui dépassent désormais le million de dollars.
Marins retenus en otage (© : US NAVY)
La petite piraterie d'opportunité s'est désormais transformée en véritable industrie qui brasse des sommes considérables et dont on ne sait plus réellement qui est aux commandes. Face à cette situation, c'est l'exaspération. Des marins d'abord, plus de 800 d'entre eux étant actuellement retenus dans des conditions épouvantables le long des côtes somaliennes. Celles des armateurs, qui voient leurs primes d'assurances flamber en raison du risque dans la région, désormais classée « zone de guerre ». Celle des États occidentaux, qui voient la flotte battant leur pavillon et leurs flux stratégiques gravement menacés, et qui, malgré l'envoi de nombreux navires de guerre en océan Indien et dans le golfe d'Aden dans le cadre de missions internationales de lutte contre la piraterie, ne parviennent pas à trouver une solution.
Escorte d'un navire par une frégate française (© : MARINE NATIONALE)
La guérilla dans le golfe de Guinée
En dehors de la Somalie, une tension similaire, mais moins connue, est également palpable dans le golfe de Guinée, un des principaux sites mondiaux d'extraction d'hydrocarbures. Le delta du Niger, qui abrite un des principaux ports pétroliers d'Afrique de l'Ouest, est un des terrains de chasse privilégié de pirates, qui ont, à plusieurs reprises, attaqué des navires de services pétroliers et des plate-formes offshores, kidnappant même leurs équipages. Ces actions ont été régulièrement revendiquées par le Mouvement d'émancipation du delta du Niger, né à la suite de la guerre du Biafra. Si le but politique pouvait être entendu pour les premières actions de piraterie, force est de constater que désormais celles-ci s'étendent à l'ensemble du golfe de Guinée. Des attaques ont désormais lieu devant les côtes camerounaises ou béninoises. Et l'on se trouve sans doute, aujourd'hui, dans un contexte plus crapuleux que politique. Les acteurs locaux, armateurs et pétroliers, sont désormais dans l'obligation de recourir à des sociétés de sûreté à terre, tout en équipant certains de leurs navires (notamment de transport de personnel) de blindages.
Protection de convoi (© : MARINE NATIONALE)
Protection des navires et des installations
Face aux attaques, faut-il armer les navires ? Si les solutions de défense passive embarquées sont désormais rentrées dans les moeurs, celles de l'armement à bord ou de l'embarquement de gardes armés est plus délicate. La question de la légitimité d'une intervention armée pour la défense d'un navire est compliquée, surtout quand elle n'émane pas d'un dépositaire de la force publique, comme, par exemple, un militaire. Si, désormais, la plupart des Etats du pavillon autorisent l'embarquement de gardes privés, il n'y a pas encore assez de recul pour savoir ce qui se passerait juridiquement en cas d'incident.
Faire escorter les navires par des bâtiments militaires ? C'est la solution des opérations Atalante de l'Union Européenne et Ocean Shield de l'OTAN. Mais ce sont des solutions coûteuses. Et, surtout, elles n'ont absolument pas réussi à juguler le phénomène, qui s'est depuis étendu dans une zone de plus d'un million de km2, absolument impossible à surveiller. Renforcer les actions de vive force contre les criminels ? Des textes élargissant les prérogatives des marines militaires en matière de lutte contre la criminalité en mer ont été adoptés, y compris devant les plus hautes instances comme le Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Mais tous les Etats du pavillon ne disposent pas de moyen d'intervention commando. Et ces actions ne peuvent qu'être extrêmement ponctuelles. Alors que la possibilité de mener des actions militaires contre les bases terrestres des pirates somaliens est par exemple évoquée actuellement, de nombreux experts craignent une escalade de la violence, doublée de problématiques juridiques et de potentielles bavures.
Un go-fast rempli de drogue (© : MARINE NATIONALE)
Développement des trafics illicites
La criminalité maritime s'est également développée chez les trafiquants de drogue. Afin d'approvisionner l'Europe en résine de cannabis, des embarcations dotées de moteurs surpuissants, les « go-fast » traversent la Méditerranée à pleine vitesse pour tenter d'échapper aux moyens de surveillance et fournir le « marché » européen. Ainsi, les seules autorités françaises rapportent que, depuis 2006, 21 go-fast ont été interceptés et 18 tonnes de drogue ont été saisies, alors qu'on estime le poids des cargaisons jetées à la mer avant interpellation à 36 tonnes supplémentaires.
Le narcotrafic est également un problème très important dans les Caraïbes, où les Etats riverains sont très fortement mobilisés sur le problème. La drogue, plus particulièrement la cocaïne, provenant notamment de Colombie, est dissimulée dans tous types de navires, qu'il s'agisse de bateaux de commerce ou de voiliers. Elle circule entre le continent sud-américain et les îles caribéennes, avant de traverser l'Atlantique pour gagner l'Europe. Une coopération internationale a été développée afin de lutter contre ce fléau, ce qui passe par un renforcement de la collaboration entre les services concernés, notamment au niveau de la surveillance et du renseignement. De nouveaux moyens ont également été mis en place, comme l'observation par satellite des mouvements suspects de navires dans la zone. Ce renforcement des capacités de détection et de renseignement est d'autant plus important que les trafiquants ne manquent pas d'imagination. Ainsi, pour déjouer les moyens de surveillance aéromaritimes, les passeurs vont jusqu'à construire de petits sous-marins artisanaux chargés de convoyer de grosses quantités de drogue. Plusieurs submersibles de ce type ont été interceptés ces dernières années.
Submersible de trafiquants intercepté en 2007 (© : US COAST GUARD)
On notera aussi que le développement du trafic maritime a également entrainé, de manière générale, le développement des trafics illicites. En dehors de la drogue, les organisations criminelles tentent de se servir de la masse considérable de marchandises transitant dans les ports pour y dissimuler différents trafics, par exemple du matériel volé, des produits prohibés ou même des armes dans certains cas. Armateurs, chargeurs, autorités portuaires, douanes et polices doivent donc redoubler de vigilance pour contrôler les marchandises transportées, notamment pour les conteneurs, avec un renforcement de la traçabilité des boites et la démultiplication des contrôles. Mais, face aux énormes flux traités, il demeure très difficile de déployer un système de contrôle totalement efficace.
Le Limburg, attaqué en 2002 (© : DROITS RESERVES)
Le risque terroriste
La menace terroriste est, aussi, sérieusement prise en compte au niveau maritime et portuaire. Pour l'heure, peu d'actions sont heureusement intervenues. Ces dix dernières années, deux attentats retentissants ont fait prendre conscience de cette problématique. Le premier a visé le destroyer américain USS Cole, gravement endommagé par une embarcation piégée dans le port d'Aden, en octobre 2000. La seconde attaque s'est produite en octobre 2002 contre le pétrolier français Limburg, touché par un canot rempli d'explosifs alors qu'il se trouvait au terminal d'Ash Shihr, une bouée de chargement située devant les côtes yéménites. Actuellement, les militaires occidentaux redoutent que de nouveaux attentats soient en cours de préparation contre des navires empruntant le détroit de Bal el-Mandeb, qui sépare la mer Rouge de l'océan Indien. Pétroliers, porte-conteneurs, vraquiers... Il s'agit de l'un des principaux points de passage du commerce maritime mondial, emprunté notamment par les navires reliant l'Asie et la région du Golfe à l'Europe. Comme pour la piraterie, les navires en mer tentent de se prémunir contre d'éventuelles attaques, par exemple au travers de moyens de détection et d'alerte, ainsi que de moyens d'autoprotection (systèmes de défense à ultrasons, canons à eau, gardes armés...) Toutefois, devant un assaillant déterminé, ces moyens paraissent bien limités.
Le difficile contrôle des marchandises (© : MER ET MARINE)
Les ports, eux aussi, ont été amenés à se prémunir contre le risque terroriste, plus particulièrement sur leurs installations les plus sensibles, comme les terminaux pétroliers et gaziers. Né des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, le code International Ship and Ports facility Security (ISPS), mis en application depuis le 1er juillet 2004, vise à renforcer la sûreté du transport maritime et à établir un régime international de coopération entre les gouvernements, le transport maritime et l'industrie portuaire. Autrefois ouverts, les terminaux sont désormais clôturés et font l'objet de procédures de surveillance. Dans certains pays, comme la France avec la Gendarmerie maritime, des unités militaires spécialisées ont été mises en place pour renforcer les moyens de protection des ports. Et les industriels étudient de nouvelles solutions en matière de sûreté et de sécurité, à terre, sur les plans d'eau, mais aussi sous l'eau, par exemple au moyen de sonars à même de détecter des plongeurs.
Immigrés en Méditerranée (© : MARINE NATIONALE)
La pression migratoire
De nombreux Etats sont, aussi, confrontés au développement considérable de l'immigration clandestine, maîtrisée par des réseaux criminels très organisés, qui profitent abondamment de la détresse humaine. Ces dernières années, les passeurs ont connu une activité record, les candidats à l'exil étant de plus en plus nombreux. Famines, guerres civiles ou simplement espoir d'une vie meilleure. Des dizaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants abandonnent chaque année le peu de biens qu'ils possèdent pour tenter de gagner ce qu'ils considèrent comme un Eldorado. Entassés dans des embarcations de fortune, ils tentent de traverser la mer pour atteindre de nouvelles terres dans l'espoir de vivre décemment, ou tout simplement de survivre. Mais le voyage se termine souvent en drame et, alors que les centres de rétention, comme sur l'île italienne de Lampedusa, sont surchargés, on ne compte plus les drames en mer. Les autorités estiment que des centaines de personnes trouvent la mort chaque année après le naufrage de leurs bateaux, sans compter les passeurs qui n'hésitent pas, s'ils sont détectés, à pousser leur chargement humain par-dessus bord.
Migrants en océan Indien (© : US NAVY)
Les grands flux d'immigration clandestine se situent en Méditerranée, mais aussi en Atlantique, où les clandestins tentent de gagner l'Europe via les Canaries. Sans oublier la mer Rouge et l'océan Indien, avec de nombreuses tentatives de traversées vers les riches pays pétroliers. La France est également confrontée à ce problème à Mayotte, que de nombreux immigrés comoriens tentent d'atteindre. Face à cette situation, qui prend des proportions inquiétantes, les Etats renforcent leurs moyens de lutte contre l'immigration clandestine, au niveau national, mais également en coopération, par exemple au travers de l'agence européenne FRONTEX, qui coordonne les actions des différents Etats de l'UE. Reste que ces moyens ne peuvent qu'endiguer partiellement un phénomène qui trouve ses racines dans la misère de certaines régions, où les habitants n'ont d'autre choix que de se jeter à la mer pour espérer une vie meilleure. Dans ces conditions, le développement des pays pauvres est crucial, afin d'éviter que la pression migratoire continue de s'accentuer.
Veille dans le golfe d'Aden (© : MARINE NATIONALE)
Des solutions terrestres et des réponses internationales
Quelque soit le visage de la criminalité maritime, tous les experts, civils et militaires, s'accordent pour le dire : la solution n'est pas en mer, mais à terre. Piraterie en Somalie et au Nigeria, narcotrafic dans l'arc antillais ou en Méditerranée, immigration clandestine, lutte contre le terrorisme... la lutte contre ces phénomènes ne peut se faire qu'en collaboration avec les pays concernés. Les premiers accords internationaux dans ce sens ont déjà vu le jour : code de Djibouti dans le golfe d'Aden, dispositif d'aide de l'Union européenne pour la stabilisation de la Somalie, accords régionaux de lutte contre le narco-trafic, coopération militaire via une Joint Task Force au Nigeria... mais le crime va vite et son terrain d'action est immense. L'urgence est cependant là. Les menaces criminelles qui pèsent sur les navires ont, en renchérissant le coût du transport maritime, des conséquences économiques désormais nettement palpables, y compris pour le consommateur final, dont le pouvoir d'achat est impacté par les surcoûts. Or, sans un contexte de crise mondiale, le transport maritime ne pourra bientôt plus se permettre de lutter contre ces menaces.
Des questions au programme du forum MARISK
Toutes ces questions seront au coeur des conférences et débats organisés à l'occasion de MARISK. Organisé par le Grand Port Maritime de Nantes Saint-Nazaire et l'Ecole Nationale Supérieure Maritime (ENSM), ce quatrième forum international sur la prévention des risques maritimes et portuaires, dont Mer et Marine est partenaire, se déroulera à Nantes les 26 et 27 janvier prochains. Regroupant plus de 400 participants (chercheurs, universitaires, professionnels et institutionnels) venant d'une vingtaine de pays, MARISK, devenu une référence sur le plan international, sera structuré autour de trois grandes thématiques : la lutte contre la criminalité maritime, la définition et la gestion du risque maritime et portuaire, ainsi que le navire du futur.
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- VOIR LE PROGRAMME PROVISOIRE DE MARISK 2012
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