Patrouilleur du type MOPV 60 développé par Piriou
27/11/2012 Mer et marine
Créer un leader mondial sur le segment des patrouilleurs. C’est l’objectif de DCNS et Piriou, qui vont constituer une société commune pour pénétrer ce marché en fort développement. Le projet, qui sera présenté ce matin lors des Comités d’Entreprise des deux groupes, porte sur la création d’une filiale chargée de commercialiser et de réaliser des bâtiments de moins de 95 mètres construits aux normes civiles. Piriou détiendrait la majoritaire du capital mais l’entreprise serait codirigée par les deux partenaires, l’accord de chacun étant indispensable pour chaque décision stratégique, qu’elle soit industrielle ou commerciale. Alors que La Tribune a porté hier ce dossier, dont on parle depuis plusieurs mois en coulisses, sur la place publique, le rapprochement de Piriou et DCNS constitue un développement très logique pour les deux industriels français, qui se refusent pour le moment à commenter ce projet, en attendant qu’il soit présenté à leurs CE respectifs.
Le patrouilleur L'Adroit, du type Gowind OPV (© DCNS)
DCNS novice sur les navires aux normes civiles
Alors, pourquoi un tel rapprochement ? Les deux entreprises sont, en fait, très complémentaires. Leader européen du naval militaire, DCNS cherche à se développer sur le segment des patrouilleurs hauturiers, les fameux OPV (Offshore Patrol Vessel). A ce titre, le groupe a développé un design d’OPV au sein de sa ligne Gowind, qui a donné naissance à L’Adroit. Correspondant à l’entrée de gamme (Gowind OPV) de cette famille, ce bâtiment de 87 mètres, conçu aux normes civiles, a été réalisé sur fonds propres par DCNS et mis à la disposition de la Marine nationale pour trois ans (2012 – 2015) afin d’éprouver le concept à la mer, de l’améliorer et, au passage, de s’en servir de vitrine flottante. Car, si l’industriel français n’a plus à faire ses preuves dans le domaine des grands bâtiments de combat, les performances de ses produits, frégates et sous-marins par exemple, étant mondialement reconnues, il en va autrement pour les bateaux peu complexes. C’est un marché nouveau pour DCNS, qui développe des designs intéressants, mais dont les moyens industriels ne sont pas forcement les plus optimisés pour réaliser de telles unités. Ainsi, même si L’Adroit a bénéficié d’un chantier dédié à Lorient, permettant de réduire significativement les coûts sur certains postes, DCNS manque encore de compétitivité sur les bateaux non militaires par rapport aux chantiers civils qui, confrontés à une concurrence exacerbée depuis longtemps, sont allés plus loin dans la compression des coûts et des délais.
Le design de patrouilleur hauturier MOPV 80 (© PIRIOU)
Piriou veut se diversifier sur le marché des bateaux gris
En s’alliant à Piriou, DCNS pourra bénéficier du savoir-faire du constructeur breton, et de son expertise dans le domaine civil. Basé à Concarneau, Piriou s’est remarquablement adapté à l’évolution du marché de la construction navale, adaptant son outil industriel et diversifiantsa clientèle pour compenser la baisse d’activité du secteur de la pêche. Transbordeurs, navires de transport de personnel, offshore, remorqueurs, dragues, thoniers-senneurs et même un très beau navire de voyage, à ranger dans la catégorie des yachts… Piriou réalise aujourd’hui des bateaux très divers et est, en parallèle, parvenu à se développer à l’international. Disposant de chantiers au Vietnam et au Nigéria, l’industriel s’est positionné au plus près des marchés porteurs, en Afrique et en Asie, permettant de conquérir des contrats locaux, tout en poursuivant son activité à Concarneau, les bureaux d’études français bénéficiant au passage des projets engrangés à l’étranger. Récemment, Piriou a également décidé de se lancer sur les bâtiments militaires, un marché sur lequel il débarque après avoir acquis une bonne expérience dans le domaine du maintien en condition opérationnelle (MCO) d’unités de la Marine nationale. Ces contrats lui ont permis de se faire connaître dans ce monde spécifique et d’en appréhender les subtilités. Fort de son expérience dans les navires civils, notamment ceux amenés à durer à la mer, Piriou se positionne désormais sur la construction de patrouilleurs. Fin octobre, à l’occasion d’Euronaval, il a présenté une nouvelle gamme de bateaux gris allant de 25 à 80 mètres, les unités les plus importantes, les MOPV 60 et MOPV 80, s’inspirant des grands navires de services à l’offshore. Dérivé de l’un de ces patrouilleurs, un premier bâtiment de 44 mètres, dédié à la formation maritime (le BFM Almak), est en cours de construction pour une livraison prévue en septembre 2013.
Nouvelle gamme de patrouilleurs de Piriou (© PIRIOU)
Vue du futur BFM Almak (© PIRIOU)
Positionnement en France et à l’international
DCNS et Piriou ont donc tout intérêt à se rapprocher pour faire jouer leurs complémentarités. En s’alliant au Concarnois, le premier va pouvoir élargir sa gamme vers de plus petits bâtiments, tout en s’appuyant sur un constructeur très efficient ayant une grande expérience de la navale civile. L’implantation de Piriou en Afrique et en Asie, avec potentiellement de nouveaux chantiers à créer, par exemple au Moyen-Orient, dans la région Asie-Pacifique et en Afrique équatoriale, est également un atout certain. D’autant que, comme son partenaire, DCNS est un habitué des programmes impliquant des transferts de technologie. Quant à Piriou, il va pouvoir bénéficier du « carnet d’adresses » de DCNS et de la force commerciale du groupe en France et à l’étranger afin de placer ses nouveaux produits, en ayant de plus la possibilité de développer de nouveaux designs communs. Alors que de nombreux projets fleurissent aux quatre coins de la planète, la nouvelle société commune, qui doit être opérationnelle en 2013, convoite également le marché français. Elle va, ainsi, pouvoir se positionner sur différents projets des administrations, à commencer par ceux de la Marine nationale, avec les six à huit Bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH), ainsi que les deux à trois bâtiments multi-missions (BMM), qui seront commandés l’an prochain. DCNS et Piriou seront également alliés dans le cadre du futur programme BATSIMAR (Bâtiments de surveillance et d’intervention maritime), qui pourrait comprendre jusqu’à 18 unités afin de remplacer les avisos et patrouilleurs français actuellement en service.
Corvette du type Gowind Combat (© DCNS)
DCNS partage les OPV mais garde la main sur les corvettes
La nouvelle société commune proposera donc toute une gamme de bâtiments, allant du petit patrouilleur d’intervention pour des services comme les douanes et les forces de police ou de gendarmerie, jusqu’aux grands patrouilleurs destinés aux marines et garde-côtes. En plus des nouveaux designs dévoilés fin octobre par Piriou, la gamme Gowind OPV, s’appuyant également sur une construction aux normes civiles, sera versée par DCNS à la nouvelle société. Le groupe naval conservera en revanche dans son propre catalogue les corvettes de la gamme Gowind Combat, dont quatre exemplaires vont être réalisés pour la Malaisie. Ces bâtiments sont, en effet, fortement armés et, contrairement aux Gowind OPV, sont comme les frégates conçues aux normes militaires. En dehors des constructions neuves, il conviendra également de voir quelle sera la stratégie des deux partenaires dans le domaine du MCO. Dans un premier temps, chacun devrait garder ses propres marchés mais, à terme, la filiale commune signera sans doute, avec certains clients, des contrats comprenant un package pour la construction de patrouilleurs et leur entretien sur plusieurs années.
Le chantier de Lanester (© STX FRANCE - BERNARD BIGER)
Vers une reprise de STX Lorient ?
Pour les programmes français, mais aussi si cela est possible pour l’export, DCNS et Piriou souhaitent mettre en commun leurs outils industriels dans l’Hexagone, à commencer par les chantiers de Concarneau et Lorient. Concernant le port morbihannais, en plus du site de DCNS, on notera que le groupe réfléchit à une éventuelle reprise de STX Lorient. Cette filiale des chantiers nazairiens, implantée à Lanester, est actuellement en difficulté, son dernier navire ayant été livré le mois dernier. Capable de construire des navires jusqu’à 100 mètres de long, STX Lorient, habitué à travailler en sous-traitance pour son voisin DCNS, pourrait permettre à ce dernier d’accroître ses capacités industrielles. L’éventuelle reprise du chantier de Lanester ne fait, toutefois, pas partie à l’heure actuelle du projet de création de la société commune avec Piriou. « C’est un dossier indépendant », assurent certaines sources. Reste que si cette acquisition voit le jour, STX Lorient pourrait être amené à travailler sur les programmes décrochés par la coentreprise. Surtout si DCNS et Piriou remportent les BSAH et BMM, dont la construction dépasserait sans doute les capacités de production des deux partenaires à Concarneau et Lorient.