11 octobre 2012 Par Hassan Meddah – USINE NOUVELLE
ANALYSE Le projet de rapprochement des deux groupes a pâti du manque de soutien des gouvernement allemand, britannique et français.
Qui auront été les premiers obstacles à cette fusion ? Les actionnaires privés des groupes EADS et BAE Systems? En aucun cas. De l'aveu même des négociateurs, les positions et commentaires critiques des groupes Daimler et Lagardère ont eu peu d'effet sur les discussions et les cours de bourse des sociétés.
Dans cet échec de fusion, les gouvernements allemand, britannique et français sont les premiers responsables. A force de tergivisatoins, d'exigences et d'inquiétudes, ils ont fait perdre un temps précieux aux discussions. L'Allemagne a réclamé d'abriter le siège de la nouvelle entreprise, l'Angleterre a voulu imposer aux autres Etats des seuils de participation au capital de la nouvelle entreprise et la France s'inquiétait du sort de ses champions industriels laissés sur le bord de la route (Dassault, DCNS, Safran, Thalès...). Des exigences multiples et contradictoires qui ont contraint les patrons des deux groupes, Tom Enders pour EADS et Ian King de BAE, à annoncer l’échec de l’opération.
Le paradoxe, c'est que ces mêmes Etats réclament à cor et à cri une Europe de la défense. François Hollande, pendant la campagne pour l’élection présidentielle, militait pour des rapprochements avec l'Allemagne et l'Angleterre, même si cela pouvait occasionner une restructuration de l'outil industriel.
D’ores et déjà, le chef de l’Etat dénie toute responsabilité dans l’échec de la fusion. Il estimait, mercredi en début d’après-midi, à Paris, que l'échec de la fusion d’EADS et BAE Systems était une "décision des entreprises", réaffirmant toutefois sa "confiance" dans EADS. Il a affirmé que "l'Etat français, à sa place, fera tout pour que cette entreprise (EADS) ait tous les soutiens nécessaires" à l'avenir.
Les Etats européens savent qu’ils n’ont plus les moyens de dépenser chacun de leur côté des milliards d'euros pour maintenir leur outil de défense et développer des technologies et des armements de plus en plus couteux : ils doivent mutualiser. A coup sûr, la France ne pourra dépenser à nouveau une quarantaine de milliards d'euros pour concevoir et développer le successeur du Rafale. Le prochain avion de combat français sera le fruit d'un programme de coopération européenne.
La fusion n'était pas celle des Etats
Le risque de ne pas s'unir pour l'Europe est clair : avec des budgets de défense nationaux en baisse et fragmentés, elle risque le déclassement par rapport aux autres grandes puissances militaires établies ou émergentes. Dans son dernier rapport sur la loi de programmation militaire 2009-2014, la cour des Comptes notait une augmentation des dépenses militaires de plus de 50 % dans le monde depuis 2001... Essentiellement hors d'Europe .
"Il s’ensuit des risques de rupture technologique et d’évolution des rapports de force stratégique. Cette croissance concerne en premier lieu les Etats-Unis, dont le budget a augmenté de plus de 80 % depuis 2001, soit une enveloppe de plus de dix fois supérieure aux budgets britanniques ou français et qui permet le développement d’un effort de recherche très important. Elle concerne également la Chine, la Russie, l’Inde et le Brésil et, de manière générale, l’ensemble des zones du monde à l’exception de l’Europe occidentale ", poursuivait le rapport des sages de la rue Cambon, à Paris.
Alors pourquoi ne pas encourager à 200% l'initiative prise par le président d'EADS Tom Enders ? Sûrement parce que cette fusion n'était pas la leur. A la création d'EADS en 1999, les gouvernements allemand et français donnaient le tempo et pilotaient l'opération. Tout était sous contrôle. Dans le cadre de la fusion EADS/BAE Systems, ils étaient quasiment mis devant le fait accompli.
Tom Enders a-t-il voulu aller trop vite ? Peut être. Son prédécesseur, Louis Gallois, plus diplomate et soucieux des intérêts étatiques, n'envisageait qu'à l'horizon 2020 un rééquilibrage des activités civile et de défense du groupe EADS.
Les Etats privilégient les accords bilatéraux sur des grands domaines de coopération technologique. La France et l'Angleterre commencent ainsi à entrer dans le vif du sujet suite à l'accord de Lancaster House signé en novembre 2010 par le président Nicolas Sarkozy et le premier ministre britannique David Cameron. Cet accord prévoit une double coopération, sur le nucléaire d'une part, et sur la sécurité et la défense d'autre part.
L'Europe de la défense peut attendre. Jusqu'à quand ?