09.11.2011 par P. CHAPLEAU Lignes de Défense
Pourquoi s'obstiner à parler de "défense européenne"? Même les opérations conjointes menées en Libye ont révélé les fractures entre Européens, les faiblesses structurelles de leurs armées et leur dépendance aux perfusions américaines.
Plutôt que de bâtir des scénarios boîteux sur cette belle, mais présentement vaine, espérance, Nick Witney de l'European Council on Foreign Relations, vient de publier un réaliste policy brief intitulé How to stop the demilitarisation of Europe (cliquer ici pour accéder au fichier pdf, en anglais).
Nick Witney, militaire et diplomate britannique, a travaillé aussi bien pour l'Otan que pour l'UE; il a ainsi dirigé l'Agence européenne de défense, avant de rejoindre l'European Council on Foreign Relations, un think tank pan-européen créé en 2007.
Witney, à l'instar de Robert Gates, s'inquiète de l'émergence et de la consolidation d'une "culture de la démilitarisation en Europe", au profit d'une posture stratégique molle de la sécurité. Or, comme le dit l'auteur, ce n'est pas en montant la garde aux créneaux que l'on va prévenir les invasions mais bien plutôt en allant frapper les "barbares" dans leur propre camp. Le R2P (responsability to protect) est un devoir que l'on doit respecter aussi bien envers les populations étrangères soumises à l'arbitraire ou menacées qu'envers les peuples d'Europe.
Sa démonstration part d'un avertissement: les opérations en Libye ont été un succès mais elles ont aussi mis en lumière des facteurs inquiétants, comme l'absentéisme de certains grands Européens, le manque de capacités (ravitaillement en vol, drones...), la pénurie en munitions "intelligentes", facteurs auxquels il faut ajouter désormais l'hostilité ouverte des BRICS qui vont bloquer toute nouvelle tentative d'octroi de mandat onusien.
Cette démonstration se poursuit avec un constat chiffré: les budgets sont en chute libre et les coupes se multiplient sans aucune concertation entre les Etats de cette Europe dont le "désordre de marche" est flagrant. Bien sûr, comme le reconnaît l'auteur, en ces temps d'austérité, une dose de "démilitarisation" est acceptable. Ce qui ne l'est pas, c'est le processus incohérent, égoïste et national qui prévaut et qui est mis en oeuvre par ceux-là même qui vantent les vertus de la défense européenne. Et l'auteur détaille à l'envie les autres incohérences européennes en matière de défense...
D'où l'urgence de l'élaboration d'un Livre blanc européen sur la Défense, "a European Defence Review" (mais pas sur la sécurité, prévient l'auteur), si les Européens entendent garder "leur pouvoir et leur influence dans un monde multipolaire". D'où la proposition de Witney d'une "heavyweight European Defence Review Commission" pour réarticuler une stratégie commune, donner de la cohérence capacitaire et s'imposer face à la bureaucratie bruxelloise.
Qui sont les "poids lourds" auxquels pensent Nick Witney? Certainement pas Bruxelles (entendez la Commission et le Parlement européens)! Pas plus que la principale force militaire d'Europe: le Royaume-Uni, trop occupé à torpiller allègrement la défense européenne et à faire miroiter à quelques partenaires (comme la France) une poignée de coopérations bilatérales liliputiennes et inconséquentes! Encore moins la prochaine présidence européenne (danoise)... Alors qui? Pour Witney, il ne reste que le "triangle de Weimar": France, Allemagne et Pologne, dont l'auteur espère des propositions "radicales".
A l'aube d'une campagne présidentielle, l'apport et la volonté français risque de décevoir l'auteur de ce remarquable "policy brief".