17.07.2012 Nathalie Guibert - LeMonde.fr
Les routes de sortie d'Afghanistan sont prêtes pour l'armée française. Le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, qui effectue depuis dimanche 15 juillet une visite au Kazakhstan et en Ouzbékistan, en a arrêté les modalités avec les autorités politiques de ces pays. Les logisticiens des états-majors vont pouvoir dérouler leurs plans.
Les voies de passage du Nord sont privilégiées par la France. Paris juge la route du sud jusqu'au port de Karachi, au Pakistan, trop incertaine, bien que trois fois moins chère. Ne pas se précipiter pour éviter les risques financiers et sécuritaires, tel est le mot d'ordre. Il signifie que tout ne sera pas évacué au 31 décembre, pour épouser le calendrier du retrait de tous les combattants fin 2012, fixé par le président de la République.
L'objectif est de diversifier les chemins : outre l'Ouzbékistan et le Kazakhstan, une alternative en cas de besoin pourrait être de passer par le Tadjikistan (où la France dispose d'un point d'appui sur la base de Douchanbé) et le Kirghizistan. Il s'agit d'évacuer quelque 1 500 containers de 20 pieds (à titre de comparaison, l'armée américaine en a 175 000). Les voies aériennes par lesquelles on a déjà commencé à emporter certains matériels, directement en France ou via la base d'Abou Dhabi aux Emirats arabes unis, serviront aux matériels sensibles.
La négociation bilatérale, parallèle à celle que conduit l'OTAN au nom de la coalition, est une affaire délicate, que Paris a préparée en nommant en juin un ambassadeur spécial, Stanislas de Laboulaye. Des missions techniques de l'état-major ont également préparé le terrain en Ouzbékistan et au Kazakhstan. Les deux voisins de l'Afghanistan ont posé la même condition : les convois qui transiteront sur leur sol ne devront pas contenir d'armement et ils devront être discrets.
COOPÉRATION MILITAIRE PLUS LARGE
Ces pays s'inquiètent pour l'après-2014, date fixée par l'OTAN pour l'arrêt des opérations de combat, craignant des incursions islamistes ou talibanes déstabilisantes. La France s'est engagée avec les pays de la région dans une coopération militaire plus large. Au Kazakhstan, où M. Le Drian a rencontré le premier ministre Karim Massimov, un accord de principe est acquis, qui doit cependant être validé à la fin de l'année. Les matériels arriveront d'Afghanistan par avion, sur la base de Chymkent. Le passage des Antonov ukrainiens que va louer l'armée française a été rendu possible par le vote, en juin, d'une loi autorisant le transit des avions affrétés sur le sol kazakh.
Avec ce pays, considéré comme un partenaire stratégique, Paris entend approfondir sa coopération militaire scellée par un traité en 2009. Le Kazakhstan, puissance minière et spatiale, est un allié et un client. Eurocopter a inauguré en juin une usine en joint-venture. Astrium a vendu deux satellites d'observation qui vont être lancés à partir de 2013. Thalès est positionné sur les radars.
En Ouzbékistan, le ministre a obtenu l'accord formel du président Islam Karimov pour débuter le transit des containers, arrivant par la route depuis Kaboul jusqu'à la base allemande de Termez, de l'autre côté de la frontière, avant d'emprunter surtout le rail en Russie. Paris a installé un attaché de défense à Tachkent et signé un plan de coopération en 2012, mais affiche une relation plus prudente avec ce pays. L'armée française va y former des troupes de montagne ; des experts sont envoyés dans l'académie militaire du pays ; du petit matériel sera fourni.
CRAINTE D'ATTENTATS-SUICIDES
Le désengagement français d'Afghanistan est déjà effectué à hauteur de 20 %. Depuis le 1er janvier, 650 soldats sont rentrés, dont le détachement de l'armée de l'air présent à Kandahar avec ses trois Mirage 2000 (partis début juillet), le détachement des drones, les unités présentes sur les postes de Surobi et Kapisa cédés aux forces afghanes (dont l'emprise d'Uzbin) et des formateurs de la mission d'entraînement de l'OTAN à Kaboul. Les plus gros transits ont eu lieu par avion en mars et en mai. Restent 2 900 soldats sur place. Pour l'heure, les matériels s'accumulent sur la base de Warehouse à Kaboul. L'été marquera une pause, en raison des risques de combat, mais aussi des capacités techniques des avions, qui ne peuvent pas emporter des charges aussi lourdes qu'en hiver. La manœuvre reprendra donc à l'automne.
Les craintes d'attentats-suicides ou d'attaques importantes sont vives. "Le retrait constitue un défi, sur le plan technique comme sur le plan tactique, car on est toujours plus vulnérable quand on se désengage, explique le général Bertrand Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre. Nous serons très attentifs à le faire dans les meilleures conditions de sécurité." Le général admet : "Oui, je crains des mauvaises nouvelles." La ratification du traité d'amitié signé par la France avec l'Afghanistan devait être soumise au Sénat le 18 juillet.
Les forces françaises déployées sur le sol d'Afghanistan
2001 En décembre, déploiement d'une première compagnie de combat (220 hommes) à Mazar-e-Sharif. En janvier 2002, le bataillon français compte 530 militaires à Kaboul. Des forces spéciales sont déployées dans le sud-est du pays en 2003.
2008 La France prend la responsabilité de la province de Kapisa. 3 400 militaires sont alors engagés. Ils seront près de 4 000 à la fin 2010.
2011 Octobre : début du retrait (200 soldats). De janvier à juin 2012, départ de 650 militaires (2 950 restent déployés). Décembre 2012 : départ des dernières forces de combat. Resteront, en mai 2013, 700 instructeurs et leur protection. Ils ne seront plus que 400 en 2014.