La Suisse a préféré le Gripen suédois au Rafale français tout en reconnaissant
que l'avion de Dassault était "le meilleur". © Ibo/Sipa
01/12/2011 De notre correspondant à Genève, Ian Hamel - Le Point.fr
Le gouvernement helvétique a finalement préféré l'avion suédois au français. Paris paye-t-elle ses attaques contre le secret bancaire ?
En accusant la Suisse d'être toujours un paradis fiscal, lors du G20 à Nice en novembre dernier, Nicolas Sarkozy a-t-il définitivement torpillé le Rafale de Dassault ? Depuis quatre ans, l'avion français était en concurrence avec le Gripen du suédois Saab et l'Eurofighter d'EADS pour remplacer les vieux chasseurs Tiger datant des années soixante-dix. Un marché estimé entre 2,5 et 3,3 milliards d'euros pour livrer à la Confédération, d'ici 2015, 22 avions de combat. Mercredi 30 novembre, le Conseil fédéral (gouvernement) a tranché en faveur du Gripen, tout en reconnaissant qu'à défaut d'être l'avion le plus performant, il avait essentiellement pour avantage d'être le moins cher.
Ueli Maurer, le ministre suisse de la Défense, n'est peut-être pas un fin stratège, mais il est au moins sincère. Il a reconnu que le gouvernement a "sciemment décidé de ne pas positionner la Suisse au plus haut niveau européen s'agissant des performances des nouveaux avions de combat". En clair, Ueli Maurer, dirigeant de l'Union démocratique du centre (UDC), la formation la plus à droite de l'échiquier politique, reconnaît que son pays se contente d'un second choix...
Vengeance contre Paris
En effet, de l'avis des évaluations menées par des pilotes, le Gripen était l'appareil le moins performant. Il n'aurait obtenu que 6,2 sur 10, contre 8,2 pour le Rafale (et 6,2 pour l'Eurofighter). Dès l'annonce du choix gouvernemental, Fernand Carrel, le commandant des forces aériennes, s'est précipité au micro de la radio suisse romande pour lancer que "tous les spécialistes savent que le Rafale de Dassault est le meilleur". En revanche, il était le plus cher et aurait coûté un milliard de francs suisses (800 millions d'euros) supplémentaires au budget de la Défense.
La presse n'est pas dupe. Dans son éditorial daté du 1er décembre, le quotidien Le Temps explique l'échec du Rafale "en raison des agressions verbales et de l'attitude arrogante des dirigeants français envers la Suisse". Berne n'a jamais pardonné à Éric Woerth, l'ancien ministre du Budget, d'avoir brandi des données volées dans une banque genevoise. Encore moins à Nicolas Sarkozy d'avoir montré du doigt la Suisse lors du dernier G20, coupable de refuser de procéder à l'échange automatique d'informations avec les autres autorités fiscales européennes.
Projet de référendum
La Tribune de Genève va plus loin encore en écrivant : "La France et son Rafale ont-ils payé le fait qu'il y a un contentieux fiscal avec la Suisse ? Ueli Maurer n'a pas caché hors conférence de presse qu'il avait tenté de lier les deux dossiers." Dassault, qui essuie un nouvel échec après celui infligé il y a quelques jours par les Émirats arabes unis, n'avait pourtant pas lésiné pour emporter la décision. En sponsorisant notamment le Solar Impulse, l'avion solaire du Suisse Bertrand Piccard, et en finançant le musée de l'aviation militaire de Payerne.
Le remplacement des F5 Tiger obsolètes, qui divise la classe politique suisse depuis déjà des années, risque de connaître d'autres soubresauts. La gauche et les écologistes ne sont guère convaincus de l'utilité, pour un si petit pays, de se doter d'avions de chasse qui quittent l'espace aérien helvétique en un quart d'heure ! Cet achat à 3 milliards de francs suisses (2,5 milliards d'euros) risque donc d'être soumis à un prochain référendum.