photo Marine Nationale
8 septembre 2011 Par Le marquis de Seignelay – LE FAUTEUIL DE COLBERT
Il n'est pas courant de chercher des illustrations matérielles de cette notion juridique, un peu trop abstraite, mais essentielle. De façon plus courante, on rechercherait plutôt à montrer, démontrer qu'un Etat décide selon un processus de décision pleinement souverain, n'ayant pas été entravé par une autre puissance -à l'image de ce qui se passe au Liban depuis 2006 où l'on demande à la Syrie de ne plus entraver la souveraineté de cet Etat.
Les Etats ne recourent plus à la même souveraineté, aujourd'hui. Si, c'est toujours la même notion, mais elle ne touche plus les mêmes domaines et a été limitée par bien des intervenants. Une illustration peut être la capacité d'un Etat à battre monnaie. C'était une compétence souveraine. Sauf quand 17 Etats ont signé plusieurs traités européens (de Maastricht, par exemple) afin de décider le contraire. Ce n'était plus qu'une "compétence étatique", pouvant faire l'objet d'un transfer à un organe commun.
Le droit international est une autre servitude, puissante. La parole d'un Etat ne serait pas crédible si, après avoir consacré des années entières à l'élaboration de traités, quelque soit leur objet, elle se trouve contredite par le comportement de ce même Etat, c'est-à-dire, par les faits. Si un traité exige que les coques de navires désarmés ne soient plus coulées en pleine mer mais déconstruit, c'est une limitation de souveraineté. L'Etat s'engage souverainement à changer de comportement, certes. Il s'engage également à réduire son champ d'action. De là, il faut bien observer qu'au fur et à mesure des traités, le champ d'action se réduit quelque peu.
Il est souvent dit que les nations sont en relation d'inter-dépendance. C'est très souvent vrai, plus personne n'est autarcique. Il ne serait peut être même plus possible de l'être sur le plan naval, notamment pour la construction de navire (voir L'Océan globalisé : Géopolitique des mer au XXIe de Hervé Coutau-Bégarie). Pas même la Corée du Nord -à moins d'un miracle économique.
Même la puissance, voir l'ancienne hyperpuissance, qui devrait avoir les moyens d'être pleinement souveraine, n'a jamais pu les avoir complètement. Le chef de file de la communauté internationale, pour faire accepter sa politique, doit avoir des alliés. Les Etats-Unis avaient les moyens financiers, économiques et matériels de faire la Guerre en Irak sans recourir à une coalition de bonne volonté. Pourtant, cet Etat n'aurait pas pu supporter les conséquences de son acte. Les pays rivaux de son action le lui auraient fait payer lourdement.
La souveraineté serait donc la capacité d'un Etat à agir de façon indépendante -bien que pour nos chers anglais, cela se limite au Parlement et non pas aux forces armées. L'action en pure indépendance n'exitant pas, il faut tenir compte des contingences et du besoin d'alliés, surtout à notre époque. Nous semblons, donc, condamnés à agir en coalition et grâce à une acceptation diplomatique aussi large que possible de notre action. Serions-nous contraint à l'extrême dans un système ?
Ce que l'on recherche, c'est la liberté d'action dans un système qui semble cadenassé. Ou plutôt, on recherche la marge de manoeuvre la plus grande possible. Il y avait deux types de pays en Libye cette année :
* Les premiers sont ceux qui possèdent juste une Armée de l'air. Quelque part, ils sont moins souverain que d'autre. Ou plutôt, leur action souveraine va se heurter aux souverains refus d'autres Etats. En effet, ils ont eu à négocier pour trouver un aérodrome pas trop loin des côtes libyennes. Cela prend du temps, beaucoup de temps. Cela engage la diplomatie, donc, il faut se contraindre ou se "corrompre" pour pouvoir agir.
* Les seconds sont les possesseurs de porte-avions.
Le classement semble un peu simpliste. Mais, dans les faits, ceux qui ont eu la plus grande marge de manoeuvre sont les Etats-Unis et la France. Les premiers ont choisit d'avoir une participation discrète qui s'est réduit à la "logistique" -même si les ravitailleurs et les avions de guerre électronique (notons que le porte-avions français semble démuni en ce domaine) américains étaient indispensables ! Le second pays, le nôtre, la France a pu engager le Charles de Gaulle.
Alors, certes, il y a eu les premiers raids lancés depuis les côtes européennes de la France grâce à l'Armée de l'air. Cette action fut bénéfique puisque les marins de notre seul porte-avions ont pu se reposer après la mission Agapanthe. Mais, même l'Armée de l'air française, comme les autres, a du composer avec les réticence italienne et, peut être, grecque. Il y a une chose que l'on ne reconnaîtra jamais à l'Armée de l'air, c'est que son dispositif dans la Guerre de Libye était excessivement coûteux. La France souffre d'un manque d'avions de transports et ravitailleurs. Pourtant, notre force aérienne a réussi à construire un dispositif qui s'appuyait sur deux bases, au moins, dont une en Sicile et une autre en Crète. Alors que les ravitailleurs sont à bout de souffle, il a fallu y avoir recours. Sur ce point, notons qu'ils semblent avoir été utilisé le moins possible. La Marine nationale engageait peut être moins de Rafale. Mais quand un Rafale M décollait du Charles de Gaulle et était au-dessus de la Libye en 10 à 40 minutes, n'est-il pas plus "rentable", "productif" qu'un Rafale B (biplace dont est privée, à tord, la Marine) ou C devant parcourir une heure, peut être deux de vol pour arriver sur objectif ? Il y a des camions de bombe plus coûteux que d'autre.
Le porte-avions s'affranchit de la diplomatie, de la distance et des conditions météorologiques.
Il faut donc remarquer que pour un pays comme la France, qui était engagé dans une coalition, la plus grande marge de manoeuvre pour décider ou agir était offert par le porte-avions. Ce navire propose de s'affranchir de la diplomatie (pas toute la diplomatie, il faut bien que le navire puisse faire escale, ainsi que ses ravitailleurs). Ainsi, les Rafale français pouvaient être librement engagés (contrairement aux Gripen, vraisemblablement abandonnés aux décisions américaines, et aux Eurofighter).
Le porte-avions a offert au souverain la pleine décision d'engagement et sa modulation. De là, il a été possible d'engranger des dividendes politiques, grâce à la diplomatie navale du navire, sans se mouiller, ou plutôt se noyer, dans une coalition. Notons, par ailleurs, que l'Italie avait engagé un porte-aéronefs. Qui le sait aujourd'hui ? Très peu de monde, surtout à Tripoli. On n'oubliera pas "l'enthousiasme" français, on aura souvenir des réticences (et des incapaités) de bien des acteurs
De même, ce navire permet de s'affranchir de (nombreux) points d'appui et de bombardiers (soumis aux aléas de la diplomatie, comme l'action dispensable des F-111 américain contre la Libye en 1986). .
Il est plus qu'urgent que la France puisse disposer d'un second navire. Sans la permanence aéronavale, notre pays perdra son rang et devra se contenter de fournir des moyens dans une coalition. Nous serons alors vraiment réduit à n'être que des supplétifs. Les anglais semblent en avoir conscience, et ce n'est pas pour rien si une bataille s'engage outre-Manche pour tenter d'obtenir la livraison de deux navires CATOBAR de la classe Queen Elyzabeth, et non plus un seul.
Il incombe également à la Marine nationale de faire fructifier les dividendes de son action. Si la France a pu agir aussi longtemps et efficacement, c'est grâce à la posession du porte-avions, et surtout, aux compétences des marins qui arment les navires du groupe aéronaval. L'action du porte-avions Charles de Gaulle a été synonyme de souveraineté, d'indépendance et de dividendes politiques de la Guerre, bien réel, eux.