novembre 22, 2012 by Stephane Mantoux - alliancegeostrategique.org
Le mardi 20 novembre, il ne faut que quelques heures aux hommes du mouvement rebelle congolais M23 pour s’emparer de la ville de Goma, capitale du Nord-Kivu, sous les yeux des 6700 casques bleus de la MONUSCO1, qui restent de plus en plus étrangement l’arme au pied. Les FARDC2 se sont repliées hors de la ville, bien que certains militaires aient tenté de défendre la cité, comme en témoignent les corps visibles sur des photos prises sur place. Goma n’avait pas été investie par un mouvement rebelle depuis 1998. Au passage, le M23 a également mis la main sur deux postes frontières avec la ville rwandaise de Gisenyi. Aujourd’hui, jeudi 22 novembre, le M23 a pris Sake, à une vingtaine de kilomètres de Goma, et proclame son intention de s’emparer de Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, à 200 km plus au sud.
Le M23 est composé de soldats mutins des FARDC, des fidèles du général Bosco Ntaganda3 : ce mouvement tire son nom des accords du 23 mars 2009, signés justement à Goma dans le Nord-Kivu, et qui ont permis aux anciens membres de la rébellion du CNDP4 de Laurent Nkunda d’intégrer les FARDC. Ntaganda a probablement créé ce mouvement pour montrer qu’il reste un acteur incontournable dans la province du Nord-Kivu, à l’est de la RDC. Cela lui permet aussi d’échapper aux poursuites de la cour pénale internationale (CPI), d’autant plus qu’il a partie lié avec de nombreux responsables politiques et militaires5 congolais ainsi qu’avec les trafiquants de minerais et d’armes opérant dans cette région.
C’est donc bien le déclenchement de la traque de Bosco Ntaganda par le gouvernement congolais qui a mis en route la « mécanique » du M23, les anciens membres du CNDP intégrés dans les FARDC rejoignant rapidement le nouveau mouvement rebelle. Il faut dire que le CNDP a maintenu, de fait, une véritable hiérarchie parallèle au sein des FARDC, une « armée dans l’armée » . Ntaganda s’est senti menacé alors même que les accords du 23 mars 2009 prévoyaient, en théorie, une amnistie générale. D’autres membres du CNDP ont sans doute craint aussi pour leur situation. Si c’est Sultani Makenga6 qui dirige la branche militaire du M23, il ne fait aucun doute que Bosco Ntaganda est derrière le mouvement rebelle. En outre, fin avril 2012, le gouvernement de Kabila a commencé à déplacer les anciennes unités du CNDP en dehors des Kivus, hors de leur zone traditionnelle d’influence et d’action, ce qui a été vu pour leurs membres comme un casus belli.
Lancé en avril 2012, la rébellion du M23 se dote dès le mois de juillet d’une branche politique, chapeautée par le pasteur Jean-Marie Runiga Rugerero, qui avait déjà fait partie, lui aussi, du CNDP. Derrière le M23 se profile l’ombre du Rwanda, qui fournit armes, équipements militaires et jeunes recrues au mouvement, toujours dans la même perspective : maintenir une tête de pont dans l’est de la RDC pour faire « bouclier » contre les FDLR7 et leurs raids menés au Rwanda. Les forces spéciales rwandaises interviendraient même ponctuellement aux côtés du M23. L’armement, de plus en plus lourd, longtemps perçu comme issu de captures réalisées sur les FARDC, est probablement fourni en grande partie par le Rwanda. L’Ouganda est également accusé de soutenir le M23, notamment par le déploiement de 600 soldats. Le président Museveni, en réponse à ces accusations, à menacer de retirer ses troupes qui servent dans des missions de maintien de la paix ou d’interposition -et en particulier les 6 000 hommes de l’AMISOM, déployés en Somalie, et ceux qui traquent l’Armée de Résistance du Seigneur, un mouvement particulièrement féroce né dans le nord de l’Ouganda et qui s’est déplacé ensuite en RDC, au Sud-Soudan et en République centrafricaine.
Le M23 opère essentiellement au Nord-Kivu et contrôle une partie du Rutshuru, près des frontières du Rwanda et de l’Ouganda. L’enjeu est entre autres la possession des riches ressources minières, or, coltan, tungstène, etc. La frange la plus radicale du mouvement vise ni plus ni moins que le renversement du président Kabila, réélu tant bien que mal fin 2011. Mais le M23 en a-t-il les moyens ? Probablement pas, étant moins puissant que ne l’était le CNDP de Laurent Nkunda, mouvement qui n’a jamais réussi à mettre en péril le président Kabila. Le M23 n’a pas réussi, contrairement à d’autres mouvements rebelles antérieurs, à s’assurer le soutien massif des Tutsis du Kivu, encore moins de certains Hutus, comme cela avait été le cas du CNDP.
On peut supposer que l’objectif principal du M23 reste, en fait, d’obtenir de meilleures places dans l’armée et le gouvernement de la RDC. La prise de Goma n’était peut-être tout simplement pas envisagée : Laurent Nkunda et le CNDP s’en étaient seulement approchés en 2008, sans l’emporter. Avec 2 à 3000 combattants au maximum déjà bien sollicités pour garder les zones d’influence antérieures du mouvement, le M23 va devoir s’étioler encore davantage pour tenir Goma. Le M23 a probablement voulu se placer en position de force pour négocier avec Kinshasa. Car malgré les efforts de la communauté internationale, les FARDC, qui intègrent de manière tronquée les mouvements rebelles successifs, restent plus une partie du problème que la solution. Si la négociation avc Kinshasa est pour l’instant exclue et si le M23 n’a pas les moyens, comme on peut le penser, de pousser plus loin son avantage dans les Kivus, la situation va sans doute se stabiliser. Le mouvement va conforter sa mainmise sur le Nord-Kivu et en faire une tête de pont du Rwanda, en profitant de sa supériorité militaire face aux FARDC.
Le Kivu n’a pas fini d’être victime d’une guerre lancinante qui dure en fait depuis la conclusion du génocide rwandais et la victoire de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) de Paul Kagame sur les FAR (Forces Armées Rwandaises) en 1994 : aucune des causes multidimensionnelles de ce qui est devenu un véritable conflit régional n’a disparu…
1Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, créée à la suite de la MONUC initialement bâtie en 1999. Elle comprend plus de 19 000 hommes.
2Forces Armées de la République Démocratique du Congo.
3J’avais présenté le personnage ici : historicoblog3.blogspot.com/2012/06/terminator-le-jugement-dernier-la.html
4Congrès national pour la défense du peuple.
5Un rapport de l’ONU publié le 21 novembre 2012, fort à propos après la prise de Goma par le M23, pointe le chef d’état-major des forces terrestres des FARDC, soit le n°2 de l’armée congolaise, le général Gabriel Amisi, qui serait compromis dans des ventes d’armes aux mouvements rebelles de l’est de la RDC. Les armes sont achetées au Congo-Brazzaville, transportées jusqu’à Kinshasa puis dans l’est de la RDC.
6Placé depuis le 13 novembre dernier sur la « liste noire » des Etats-Unis, en raison de crimes supposés contre les civils.
7Forces Démocratiques de Libération du Rwanda : anciens participants hutus au génocide rwandais de 1994 et leurs descendants, installés depuis dans l’est de la RDC (les FDLR ont été fondées en 2000), utilisés par Kinshasa puis menant leur propre combat contre Kigali.