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5 décembre 2012 3 05 /12 /décembre /2012 18:06

Rafale assembly line in Merignac

 

05 décembre 2012, Hassan Meddah - Usine Nouvelle

 

Dans les prochains jours, le successeur de Charles Edelstenne à la tête de Dassault Aviation sera connu. Bouclage des négociations pour la vente du Rafale en Inde, stratégie d'alliances dans le casse-tête de défense français... les dossiers difficiles ne manquent pas pour le futur dirigeant.

 

Une nouvelle ère va commencer pour Dassault Aviation. Charles Edelstenne a pour la première fois publiquement évoqué son départ du poste de PDG qu'il occupe depuis 2000. "Mon départ est programmé le 9 janvier. […] Le nom de mon successeur sera officialisé dans les jours qui viennent", a-t-il sobrement précisé aux députés qui l'interrogeaient sur sa succession lors de son audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, mardi 4 décembre. Le dirigeant est rattrapé par la limite d'âge des 75 ans,inscrite dans les statuts de l'entreprise.

 

Pour changer cette règle, il aurait fallu l'autorisation des deux tiers des actionnaires, et donc convaincre l'État et EADS. Serge Dassault, son prédécesseur ne l'avait pas fait en son temps, Charles Edelstenne n'y aurait donc pas tenu non plus. Pourtant des échéances cruciales s'annoncent pour l'avionneur. Les négociations avec l'Inde pour l'achat des 126 Rafale, le contrat du siècle pour la maison Dassault estimé à plus de 10 milliards de dollars, entrent dans la dernière ligne droite avec une conclusion attendue pour mars au plus tard. Et sur le segment des avions civils, il faudra préparer l'industrialisation du futur avion d'affaires du groupe, le fameux SMS dont le premier vol est prévu en 2014.

 

Charles Edelstenne garde son siège à la holding Dassault

 

Qui lui succédera? Pour mener quelle stratégie? Quel influence conservera Charles Edelstenne non plus aux manettes de Dassault Aviation mais depuis son siège au sein de la holding Dassault? Ce faux départ pose de nombreuses questions. Une chose paraît certaine, Charles Edelstenne sera d'une façon ou d'une autre présent dans les grandes décisions. "Je le vois mal jouer au golf toute la journée", indique un cadre du groupe. Si certains craignent une succession improvisée, cette source interne est convaincue du contraire : "Il a préparé cette affaire depuis longtemps. Le tuilage devrait se faire de manière fluide". Le futur ex-PDG siège en effet au comité des sages de la holding Dassault. De là, l'ancien patron du Gifas (groupement des industriels de l’aéronautique et de la défense) devrait donc continuer de garder un œil attentif sur l'évolution des négociations indiennes. Mardi 4 décembre, il donnait d'ailleurs les dernières nouvelles du front aux députés. "Les négociations sont dures […] Il y a une volonté d'aboutir de part et d'autres. Je suis relativement optimiste mais pas définitivement tant qu'on n'a pas reçu le premier chèque", indiquait-il. Le dirigeant a raison d'être prudent tant son groupe joue gros sur ce contrat. En cas d'échec, la chaine d'assemblage des Rafale basée à Mérignac (Gironde) qui tourne déjà au ralenti avec une production d'un exemplaire par mois, pourrait s'arrêter. La dernière livraison aux armées françaises est programmée en 2017.

 

Et maintenant ? Henri Proglio ? Une succession interne ?

 

Toutefois, ce sera à son successeur de dessiner la future stratégie du groupe. Mais de qui s'agit-il ? "Le mystère a été bien gardé", souligne un cadre reconnaissant que lui-même ne connait pas l'identité de son futur patron. Le nom du patron d'EDF, Henri Proglio, a  circulé un temps comme successeur potentiel. Toutefois une solution interne paraît plus probable, les quatre PDG précédents étaient soit issus de la famille soit du groupe. Trois noms ont circulé plus que les autres. Primo, celui du directeur général international Éric Trappier, également vendeur en chef du Rafale à l'export. Il cumule un double handicap : même si la vente avec l'Inde est bien engagée, le Rafale n'a pas encore été vendu à une puissance étrangère et l'homme serait trop marqué du sceau des activités militaires alors que celles-ci ne représentent qu'un quart du chiffre d'affaires de Dassault Aviation (3,3 milliards d'euros en 2011). Autre dirigeant pressenti, le directeur directeur général des affaires économiques et sociales et de fait directeur financier, Loïk Segalen. Il aurait la confiance de Charles Edelstenne... lui-même ancien directeur des services financiers de Dassault au début des années 60. Il a toutefois le défaut de connaître "davantage Dassault Aviation à travers des colonnes de chiffres que par des visites d'ateliers", critique toutefois sur son blog un syndicaliste du groupe. Enfin, il n'est pas exclu qu'un Dassault revienne aux commandes dans une structure plus collégiale. Ainsi l'ainé des enfants de Serge Dassault, Olivier, pourrait diriger les activités aéronautiques, secondé par les deux directeurs promus au rang de vice-président.

 

Héritage d'une figure emblématique

 

Quelque soit le successeur retenu, Charles Edelstenne sera difficile à remplacer tant l'homme a incarné et défendu farouchement le groupe. Sa récente intervention auprès des députés a été encore un exemple. Avec ses analyses froides et directes, il n'hésite pas à prendre le contrepied des idées dominantes. Par exemple sur l'impact sur son groupe de la fusion EADS et BAE : "Je n'étais ni content ni inquiet mais totalement indifférent. Notre seul point de friction portait sur les avions de combats. Or BAE et EADS sont déjà partenaires sur l'Eurofighter, donc ce rapprochement n'aurait rien changé sur les coûts et les performances de l'appareil". Ou encore ses critiques cinglantes vis à vis de la concurrence. Notamment sur le consortium Eurofighter qu'il qualifiait "de fédération des incompétences" car chaque pays membre revendiquait la brique technologique qu’il ne sait pas faire. Mais surtout, Charles Edelstenne s'est toujours imposé comme le premier défenseur de la maison Dassault. Ainsi devant les députés, il a encore tenu à tordre le cou "aux idées reçues" sur son entreprise. "Non, Dassault ne vit pas aux crochets de l'État. 75% de notre activité concernent le civil pour lequel nous ne réclamons ni avances remboursables, ni subventions, ni participations au grand emprunt", a-t-il souligné égratignant au passage son grand voisin Airbus. Quant au "coût exorbitant" du Rafale, il a donné ses chiffres aux députés compilés et sourcés auprès des autorités de comptes publics des différents pays fabricants d'avions de combat: 90 millions de dollars de coût unitaire pour le Rafale, 147 millions pour l'Eurofighter, 98 millions pour le JSF de l'américain Lockheed Martin...

 

Dassault Aviation doit atteindre la taille critique

 

L'avenir du groupe n'en reste pas moins incertain. La question de la taille critique se pose plus que jamais pour Dassault Aviation. Le projet de fusion EADS/BAE a été un révélateur au point que le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian s'était lui même inquiété de la marginalisation possible de son fournisseur d'avion de combat. "Ce projet a soulevé beaucoup de questions et montré que la grande majorité des industriels français et européens n'ont pas la taille critique pour porter les investissements nécessaires dans les prochaines années. Nexter, Dassault Aviation, Rheinmetal... ne font pas le poids dans la nouvelle compétition mondiale. Aujourd'hui la taille critique se situe aux alentours des 30 milliards de dollars de chiffre d'affaires pour prétendre jouer les premiers rôles sur des programmes majeurs dans l'aéronautique" nous confiait alors Philippe Plouvier, directeur des activités aéronautique et défense chez Roland Berger. Et avant même le départ de l'actuel PDG, certains ont affiché la volonté d'accélérer la stratégie d'alliance jusqu'ici développée à travers le groupe Thales (participation dans DCNS, accord avec Nexter...) dont Dassault est actionnaire à 26%. Ainsi , le second fils Dassault, Laurent, militait récemment pour un regroupement de son groupe avec Safran et Thales (ses deux partenaires dans le GIE Rafale) ainsi que Zodiac Aerospace. Clairement, cette succession ne se fera pas sans remous. Le statu quo ne paraît guère possible. Reste à savoir dans quelle direction le futur pilote de Dassault Aviation voudra orienter son groupe dans la zone de turbulences qui s'annonce.

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