27.10.2011 Vincent Lamigeon, journaliste à Challenges – Blog Supersonique
C’est un conflit social dont Safran se serait bien passé. Les salariés de Sagem Défense-Sécurité (photo Daniel Linares / Sagem), filiale de Safran, ont à nouveau débrayé ce matin, multipliant les manifestations sur les différents sites du groupe (Montluçon, Argenteuil, Poitiers, Dijon…) et devant le siège social de Sagem Défense-Sécurité dans le 15ème arrondissement de Paris. L’objectif est clair : tuer dans l’œuf le projet de rapprochement d’activités entre Safran et Thales, poussé par l’Etat, qui affirme vouloir éviter les doublons sur ce secteur stratégique. « On ira jusqu’au bout pour faire capoter ce projet, prévient un syndicaliste. Jean-Paul Herteman doit comprendre que les salariés n’accepteront pas qu’il signe un accord qui est une aberration industrielle et une manipulation clairement destinée à avantager Dassault [actionnaire de Thales à 26%, NDLR]. »
Que prévoit concrètement le projet ? Après avoir envisagé un échange d’actifs pur et simple entre Safran et Thales, la négociation, sous l’impulsion du médiateur Aldo Cardoso, s’est déplacée vers la création de deux joint-ventures : une JV « optronique » (équipements à la fois optiques et électroniques), qui serait contrôlée en majorité par Thales ; et une JV « navigation inertielle » (équipements permettant à un engin de s'orienter de façon autonome), qui serait contrôlée en majorité par Safran. Safran topera-t-il pour un accord de ce type ? Mystère. Une chose est sûre : le nouveau schéma envisagé provoque la colère des salariés de Sagem. Résumé de leurs arguments en trois points.
Une opportunité industrielle contestée.
Les syndicats de Sagem affirment que le projet de JV menacerait les performances de fleurons technologiques français en découpant à la hussarde des activités plus imbriquées qu’il n’y paraît. « Un tel accord supprimerait des synergies technologiques essentielles sur de nombreux produits, qui intègrent à la fois de l’optronique et de la navigation inertielle, assure Gérard Mardiné, coordinateur CFE-CGC chez Safran. Il impliquerait une perte de compétitivité à la fois chez Safran et Thales. » Les syndicats citent notamment des produits exigeant des fonctions de stabilisation, comme les viseurs et autodirecteurs infrarouges, qui pourraient être impactés par un découpage des activités. Les synergies entre activités défense et civiles seraient également menacées par l’accord, assurent les syndicats.
Un accord jugé déséquilibré
Les syndicats soulignent également que les deux JV seraient clairement déséquilibrées : la JV « optronique », estimée à 1 - 1,2 milliards d’euros de ventes annuelles, serait rentable et située sur un marché en forte croissance (60% en trois ans), avec une position de numéro trois mondial ; la JV « navigation inertielle », estimée à 200-250 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, serait « structurellement en pertes pour au moins cinq ans » assure un délégué syndical Safran, notamment du fait d’un contrat sur l’A350 gagné au prix fort face au leader mondial incontesté de la spécialité, l’américain Honeywell. Les syndicats de Sagem dénoncent également une absence d’information sur le business plan et les perspectives des activités apportées par Thales.
Des craintes sur les sites français
Les syndicats de Safran évoquent des risques patents sur les sites Sagem que récupèrerait Thales. Principal sujet d’inquiétude : le site d’Argenteuil (Val d’Oise), qui travaille à la fois sur l’optronique et la navigation inertielle. Les salariés des sites de fabrication de Dijon et Poitiers (Saint-Benoît) s’estiment également menacés, notamment par la culture « fabless » de Thales, qui n’a que peu d’usines en propre, préférant intégrer des sous-ensembles fabriqués par des sous-traitants. Des doublons avec les sites de Thales au Royaume-Uni sont également évoqués, notamment sur les périscopes ou viseurs de chars. « Des économies de quelques millions d’euros pour la DGA valent-ils de menacer l’avenir d’un secteur que la France est un des rares pays à maîtriser, avec les Etats-Unis ou Israël ? », s’interroge Gérard Mardiné. Pas de doute : le bras de fer est bien parti pour durer.