22/07 de François Lureau - Les Echos
La réduction des budgets de défense est une réalité durable. Elle n'est pas une opportunité pour la défense, elle est une obligation de penser différemment, sur le long terme. La défense participe à l'effort de redressement budgétaire que tous les pays européens ont entrepris. C'est le sens du budget de 31,4 milliards d'euros fixé par le président de la République. Des réductions supplémentaires d'effectif sont hélas nécessaires pour continuer à améliorer la « productivité » de l'outil de défense, comme cela l'a déjà été fait de façon continue depuis quinze ans. Les cadences de production des matériels de défense devront être réduites. Les nouveaux programmes devraient être strictement placés dans un cadre européen, c'est-à-dire soit un choix d'équipements existant en Europe, soit un codéveloppement pour ce qui n'existe pas (les missiles et les drones), les souhaits des uns et des autres devant être impérativement soumis à cette contrainte. Les matériels peuvent et doivent être utilisés plus longtemps. La compétitivité des actions de maintenance devient une exigence : réexamen du partage des tâches avec l'industrie, contrats de performance systématiques, adaptation des effectifs, maîtrise des coûts d'utilisation. En regard de ces sacrifices douloureux et pour préserver l'avenir, il est impératif d'investir dans la recherche à hauteur de 800 millions d'euros par an.
Penser différemment, à mon sens, porte sur trois points : l'utilisation et la gestion conjointe entre pays volontaires de moyens communs, la recherche de financements européens, la spécialisation industrielle entre pays. Rien dans ces domaines ne peut produire d'effets immédiats. Tout est politique, structurant et doit donc avancer au rythme du temps politique. Mais il y a urgence et c'est la voie de sortie par le haut d'une nouvelle souveraineté française et européenne.
L'idée, de bon sens, de gérer en commun des ressources rares, est défendue par l'Agence européenne de la défense sous le concept de « pooling & sharing ». Comme l'expérience l'a montré dans les opérations récentes, la planification commune et plus tard la gestion des flottes de transport de quatre pays, via le centre de commandement du transport aérien européen (EATC) situé à Eindhoven, offrent une souplesse et une efficacité d'emploi incomparables. Cette bonne pratique doit être transposée à d'autres secteurs et notamment au ravitaillement en vol, dont la faiblesse capacitaire européenne est notoire. Peut-on imaginer que le futur programme français MRTT ne soit pas l'occasion de construire cette capacité européenne et de mettre en place une unité multinationale regroupant une partie des moyens ? Dans un autre registre, tout aussi potentiellement générateur d'économies, la mise en service prochaine de l'A400M, avion performant mais nécessairement coûteux à l'emploi, devrait obliger les partenaires de ce programme à mettre en place un dispositif de formation et de soutien commun à tous. Ce qui manque pour avancer : une réelle volonté politique qui s'impose aux conservatismes de toute nature.
Deuxième piste : l'union européenne. Il ne s'agit nullement de rêver à une hypothétique Europe de la défense à Vingt-Six. Il s'agit d'inscrire dans la réflexion en cours de l'Union européenne sur la défense, la dimension de souveraineté que l'industrie de défense porte en elle. Susciter et financer au plan européen des projets globaux à finalité civile et militaire est une voie possible qui aiderait ce secteur à garder sa compétitivité internationale. Les thèmes possibles : l'espace, les drones légers.
Enfin, la défense ne peut être efficace et souveraine que si son industrie est performante et compétitive. La France ne peut plus être compétitive dans tous les domaines. Pour fixer les priorités entre secteurs, il est instructif de regarder leurs performances à l'exportation. Pour 1 euro investi dans la défense, l'effet de levier peut atteindre 2, avec les mêmes effets sur l'emploi. Une souveraineté partagée de la base technologique et/ou une spécialisation progressive des Etats sont aussi des réponses à considérer dans un cadre politique approprié. La rationalisation de l'offre missiles de MBDA sous les auspices du traité de Lancaster House dépasse le cas du missile (ANL/FASGW) entre 2 pays pour tester la faisabilité d'un portefeuille binational de produits. La spécialisation a commencé dans l'imagerie spatiale. Elle ne pourra se poursuivre et offrir tous les bénéfices escomptés que si les pays concernés décident de réellement mettre en commun une large partie de l'information recueillie.
La situation de la défense en France et en Europe est préoccupante. C'est le moment d'élargir le champ des possibles avec les partenaires les plus proches, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie pour citer ceux avec lesquels nous avons des histoires communes. L'Agence européenne de la défense est un outil pour progresser, si le mandat politique lui en est réellement confié. Mais, au préalable, il faut se convaincre que l'outil de la défense français, aujourd'hui très performant, ne pourra trouver sa pérennité que dans un ensemble plus vaste d'alliances au sein de l'UE.
François Lureau est ancien délégué général pour l'armement
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