02.06.2013 Par Sylvie Kauffmann , envoyée spéciale - Le Monde.fr
Singapour - La France, puissance de l'Asie-Pacifique ? Le concept, exposé avec conviction dimanche 2 juin par le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, devant le forum annuel sur la sécurité régionale du Shangri-La Dialogue, à Singapour, a suscité une certaine curiosité, mêlée de scepticisme, parmi les participants.
Tout le monde, ces temps-ci, se trouve des affinités avec l'Asie, une région qui a servi de moteur à l'économie mondiale pendant que la crise paralysait les Etats-Unis puis l'Europe. Cette croissance économique, a souligné le ministre singapourien de la défense, Ng Eng Hen, s'est inévitablement accompagnée d'une croissance des dépenses militaires : l'Asie a dépensé plus que l'Europe dans le domaine de la défense en 2012. De nouveaux enjeux de sécurité ont émergé qui, avec l'ascension de la Chine et les effets de la mondialisation, ne laissent plus personne indifférent.
Les Etats-Unis ont amorcé leur "rééquilibrage" vers l'Asie-Pacifique en 2011, assez naturellement, puisqu'ils ont une côte sur le Pacifique. Un représentant russe à la conférence de Singapour s'est offusqué, samedi, que le secrétaire américain à la défense, Chuck Hagel, ne mentionne pas la Russie dans son discours, un pays "qui a pourtant les deux tiers de son territoire en Asie". Le Canada, qui avait délégué à Singapour son ministre de la défense, Peter MacKay, s'est décrété à son tour puissance du Pacifique : Ottawa, a souligné M. MacKay, a "plus de diplomates dans cette région que nulle part ailleurs dans le monde".
LES HAUTS DIPLOMATES SE BOUSCULENT À SINGAPOUR
Catherine Ashton, la haute représentante de l'UE pour les affaires extérieures, a elle aussi fait le voyage pour participer pour la première fois au Shangri-La Dialogue, inspirant à l'IISS (International Institute for Strategic Studies), organisateur de l'événement depuis 12 ans, la question de savoir si "l'Europe à son tour pivotait vers l'Asie", puisqu'étaient annoncés aussi les ministres de la défense français, britannique et allemand. Ce dernier, Thomas de Maizière, a annulé au dernier moment, retenu par de pressantes controverses intérieures, mais Philip Hammond, le Britannique, et Jean-Yves Le Drian ont occupé le terrain.
Auréolé de l'opération Serval, le ministre français était en effet très attendu, comme en ont témoigné les nombreuses questions qui lui ont été posées. Selon son entourage, ses collègues de Malaisie, d'Indonésie et de Singapour ont manifesté un grand intérêt, au cours d'entretiens bilatéraux, pour l'expertise française en matière de lutte contre le terrorisme islamique. M. Le Drian, qui avait déjà participé à ce forum en 2012 quelques jours à peine après sa nomination, a exposé la vision stratégique française des enjeux de sécurité dans la région Asie-Pacifique, et surtout les raisons pour lesquelles son pays a, selon lui, un rôle à y jouer. "La France, a-t-il dit, se considère comme une puissance de cette région, car elle y a des territoires et une population", qu'elle se doit de protéger. En toute logique, elle propose donc sa contribution dans les quatre domaines prioritaires de la sécurité maritime, de la lutte contre le terrorisme, de la non-prolifération nucléaire et de la menace cybernétique.
Combien de divisions, ont demandé certains, connaissant les difficultés budgétaires des pays européens. M. Le Drian sort alors son arme secrète : le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, validé par M. Hollande, qui a maintenu le budget de la défense.
LE DRIAN PARLE DE LA FRANCE, PAS DE L'EUROPE
Cela n'a pas suffi à impressionner les Chinois présents, dont l'amiral Li Ji, qui a réagi à l'idée d'une France "puissance de l'Asie-Pacifique" par une moue plus que dubitative. "Pour nous, la France c'est en Europe", a-t-il expliqué, avec la ferme intention de la voir y rester.
L'Europe était d'ailleurs absente du discours de M. Le Drian, qui a émis le souhait que la France – et non l'Union européenne – puisse rejoindre le groupe des ministres de la défense des pays d'Asie du Sud-Est (l'ADMM+, Asean Defense Ministers' Meeting+), un forum né en 2010 pour examiner les questions de sécurité régionale, auquel plusieurs pays extérieurs, comme la Chine et les Etats-Unis, ont été associés comme observateurs. Ce souhait a cependant été accueilli plus que fraîchement par le ministre singapourien, qui a répondu publiquement qu'il était opposé à une dilution de l'ADMM+. Le Canada a également été éconduit.
Le ministre français a mis un accent particulier sur la cyber-sécurité, un domaine qui a occupé une bonne partie des débats du Shangri-La et sur lequel il devrait annoncer lundi à Rennes une nouvelle initiative. Il y a un secteur, enfin, dont il a moins parlé, sauf sans doute dans ses entretiens bilatéraux, mais qui explique en partie le vif intérêt de la France pour l'Asie-Pacifique : les ventes d'armes et d'équipements militaires, dont 40 % des ventes françaises se font dans la région.
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