17/07/2013 Jean Guisnel -Défense ouverte / Le Point.fr
Avant la Loi de programmation militaire attendue le 2 août, la Défense voit une réforme profonde se mettre en place. Une nouvelle source de tensions ?
Alors que le conseil de séfense qui devait entériner la Loi de programmation militaire devait se tenir ce mercredi, une réforme de taille est passée relativement inaperçue. Entérinée les 30 mai et 12 juin derniers lors de deux comités exécutifs dirigés par le ministre de la Défense Jean-Yves le Drian, cette mutation en plusieurs volets va entraîner de profondes modifications dans le fonctionnement du ministère. Elles visent explicitement à réduire les pouvoirs du chef d'état-major des armées (CEMA), actuellement l'amiral Édouard Guillaud, tels qu'ils avaient été notamment définis par le décret du 16 juillet 2009. Initialement réticent, ce dernier a finalement accepté ce rognage de ses compétences.
Grande complexité, nombreuses duplications
De longue date, les socialistes avaient envisagé ces changements, au point de les avoir engagés dès le 5 juin 2012, quelques jours après la prise de fonctions du nouveau gouvernement. Quarante-sept réunions plus tard, auxquelles il a personnellement participé à onze reprises, Jean-Yves Le Drian a adressé le 1er juillet dernier un courrier de 14 pages (référencé 6991/DEF/CAB) à ses grands subordonnés. Le ministre de la Défense y explique pourquoi il a décidé ces changements. Évoquant "l'organisation actuelle du ministère, caractérisée par une grande complexité et de nombreuses duplications", il estime que "l'enjeu est d'abord de mettre un terme aux dysfonctionnements qui pèsent le plus souvent sur le personnel des armées. La désorganisation de la fonction soldes, consécutive au déploiement du logiciel de soldes Louvois, nous en fournit un exemple inacceptable." Dans l'entourage de Le Drian, on fait savoir : "Le système était devenu fou ! On se trouvait dans une forme de gouvernance absurde. Nous n'avons pas engagé une révolution, mais un retour au bon sens..."
Ressources humaines
La plus importante des mesures décidées porte sur la gestion des ressources humaines des armées. Depuis 2009, cette fonction était chapeautée par l'état-major des armées. Elle sera dorénavant confiée à la DRH-MD (Direction des ressources humaines du ministère de la Défense) que dirige Jacques Feytis, qui jouira d'une "autorité fonctionnelle renforcée". Une mission d'audit confiée au Contrôle général des armées analysera l'ensemble de la fonction ressources humaines du ministère, pour proposer une "réduction des effectifs de la fonction" comprise entre 10 % et 20 %. La lettre de Le Drian précise que cet audit sera effectué par un "cabinet extérieur spécialisé en organisation", mais cette disposition n'est plus d'actualité. Une "incompatibilité totale" entre le chef d'état-major des armées l'amiral Édouard Guillaud et le chef du contrôle général des armées (CGA) Christian Piotre, qui aurait dû être chargé de cet audit, a débouché entre-temps sur l'éviction de ce dernier et son remplacement par Jean-Robert Rebmeister. "Il n'y a désormais plus d'obstacle à la réalisation de cet audit par le CGA, c'est ce qui va se faire", corrige-t-on aujourd'hui au cabinet du ministre de la Défense. Où l'on précise également qu'un poste de directeur-adjoint des ressources humaines du ministère a été créé, qui sera confié à l'amiral Jean Casabianca, ci-devant en charge de ces affaires à l'état-major des armées.
Finances et soutiens
Les autres mesures introduites par la réforme portent sur la gestion des finances du ministère de la Défense. Entérinant "la quasi-disparition des marges de manoeuvre en gestion" et la disparition des 24 000 nouveaux emplois annoncés lors de la publication du récent Livre blanc, Jean-Yves Le Drian souhaite "rationaliser la fonction du pilotage financier central", "renforcer l'autorité fonctionnelle de la direction des affaires financières" à compter du 1er janvier 2014. Autre point dur : les soutiens. Ou, en d'autres termes, l'organisation des bases de défense introduites par la RGPP (Révision générale des politiques publiques) de l'ère Sarkozy, qui a certes entraîné des simplifications, mais également des cascades de mécontentement. Chaque unité militaire dépend en effet d'une base de défense (BDD) qui gère l'ensemble de son intendance. Et cela ne marche pas... C'est le ministre qui l'écrit : "L'organisation est inachevée et demeure très complexe pour les organismes soutenus." La réforme consistera notamment à confier au Service du commissariat des armées une "autorité hiérarchique" sur les soutiens. Et l'État-major des armées est chargé de la mise en place d'ici octobre 2013 de "l'élaboration d'un plan de consolidation et de stabilisation du fonctionnement en bases de défense".
Une lettre approbatrice
Initialement très rétif à la remise en cause de certaines de ses prérogatives nées du décret de 2009, le chef d'état-major des armées Édouard Guillaud a finalement fait part au ministre de son accord sur cette réorganisation. Il est vrai qu'il lui aurait été difficilement concevable de conserver son poste s'il avait affiché une opposition franche à cette réorganisation majeure. Elle ne touche certes pas à ses prérogatives opérationnelles, les plus importantes, mais n'en change pas moins la gouvernance du ministère et des armées. D'ailleurs, dans un courrier en date du 19 juin adressé à Jean-Yves Le Drian et que Le Point.fr a pu lire dans son intégralité, il "souscrit globalement" à la réforme, ce que le quotidien L'Opinion, qui a bénéficié d'une fuite de ce courrier, n'a pas relevé.
Relations internationales
En réalité, à ce qui s'entend au cabinet du ministre, le CEMA n'a marqué son désaccord que sur la réforme des relations internationales de la défense. C'est un secteur énorme, et la passion de l'amiral. Mais ce dernier ne déterre pas la hache de guerre quand il écrit qu'il regrette la mise en place aux ordres du ministre de la Défense d'"un nouveau grand subordonné, le directeur de l'action internationale et des affaires stratégiques". L'amiral Guillaud, globalement d'accord avec la réforme à laquelle ses services ont participé, émet une modeste réserve et s'"interroge cependant sur le risque d'une déconnexion entre le niveau de conception et les réalités opérationnelles et capacitaires". On a connu des oppositions plus féroces... Du côté du cabinet ministériel, on estime peu cohérent que "lorsque le ministre demande une note sur la Jordanie, il en reçoive six émanant de six services différents." De même source, on ne comprend pas bien les arguments d'Édouard Guillaud : "Ce à quoi nous voulons arriver, c'est à une organisation administrative marchant aussi bien que l'opérationnel. En revenant aux fondamentaux de l'activité militaire dont le principe de base Un chef, une mission, des moyens demeure excellent !" Un autre cadre du ministère ajoute : "Le retrait d'Afghanistan réussi comme à la parade, l'opération Serval impeccablement conduite, nous savons ce que nous devons à l'amiral Guillaud et au général Didier Castres. Il faut que le reste marche aussi bien !"
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