nov 19, 2012 Damien Kerlouet (BRUXELLES2)
Format, budget, durée, objectif… B2 a pu en savoir plus sur le contenu de l’opération future de l’Union européenne au Mali et du concept de gestion de crises (CMC) dont les ministres de la Défense et des Affaires étrangères doivent approuver le principe ce lundi (19 novembre). C’est la première étape du processus politico-militaire préalable au lancement d’une opération militaire au Mali, centrée sur la formation de l’armée malienne. Une sorte d’EUTM Mali comme il y a eu une EUTM Somalie. Démarrage prévu : « le plus rapidement possible au début de l’année prochaine » selon un haut responsable européen.
Une équipe de formateurs de haut niveau
L’effectif européen sera de 250 personnes, des formateurs essentiellement avec un petit personnel de soutien. Et il ne devrait pas être difficile à rassembler selon les premiers éléments parvenus à l’Etat-Major européen à Bruxelles. La France – qui pourrait assurer le rôle de nation-cadre et fournir le chef de mission – et l’Espagne – qui devrait aussi faire une contribution importante (jusqu’à 50 personnes) – pourraient être les principaux contributeurs. Mais ce ne seront pas les seuls. L’Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique ainsi que la Suède et la Finlande ont déjà exprimé leur volonté d’envoyer du personnel, selon les informations parvenues à B2. La Pologne « n’a pas encore pris de décision. On réfléchit. » nous a confirmé le ministre de la Défense Tomasz Siemoniak, au sortir d’une réunion avec ses collègues européens à Paris. Personne ne semble donc vraiment inquiet pour la génération de forces qui « ne devrait pas poser de problèmes », selon une source proche du dossier.
Le Canada pourrait être aussi associé à la mission si une telle décision est prise à Ottawa. C’est un des pays avec la France, l’Allemagne, les Etats-Unis et la Libye qui ont eu jusqu’à très récemment une coopération militaire avec le Mali. Il a notamment formé (avec la Libye) les commandos parachutistes du régiment de Djicoroni.
Budget modeste
Le budget sera modeste. Il devrait être compris entre 4,5 et 7,5 millions d’euros (pour le financement commun supporté par le mécanisme Athena, donc au prorata du PIB), selon les options retenues, pour une durée de 15 mois (renouvelable). Ce budget ne comprend pas le salaire des différents personnels fournis par les Etats.
Quelques questions restent en suspens, par exemple en matière de soutien médical et d’autoprotection. Le premier pourrait être sous-traité à une société spécialisée (comme c’est le cas pour EUTM Somalie en Ouganda ou pour EUMM Georgia). Pour le second, il y aurait trois options : l’armée malienne (peu évident), la CEDEAO (pas automatique), des forces privées. Pour les deux aspects, les Etats pourraient préférer fournir du personnel ; ce qui augmenterait alors le nombre de personnes (400 au lieu de 250) mais diminuerait le budget commun.
Le démarrage de l’opération de formation étant prévue vers janvier (si possible).
Objectif : former 2600 hommes
La mission européenne aurait trois objectifs essentiels : 1° assurer la formation de 4 bataillons soit environ 2600 personnes, qui seraient structurés en GTIA à la française (groupement tactique interarmes) ou en battlegroup à l’européenne. 2° assurer le bon fonctionnement de la chaine de commandement et de contrôle (C2). Officiellement il ne s’agit que d’assistance mais en réalité c’est tout un C2 qu’il faut reprendre et réorganiser de façon moderne afin que les opérations et la logistique soient combinés dans un seul effet. 3° soutenir le système de ressources humaines de l’armée : formation des cadres, sélection et recrutement, voire paiement de la solde.
La formation pourrait se dérouler essentiellement à l’école interarmes de formation des officiers de Koulikoro, près du fleuve, face à la forêt de Kaya et Markala au nord de Segou (200 km au nord de Bamako). Cette localisation est essentielle – selon des officiers qui connaissent le terrain – car pour mener des opérations dans le nord, il faut savoir bien gérer le franchissement du fleuve. Certaines villes, notamment Tombouctou, au nord, sont situées de l’autre coté du fleuve, et à moins de les atteindre par le désert et la Mauritanie, elle est à l’abri de toute incursion. Dans d’autres villes existent des ponts mais qui ne permettent pas vraiment d’incursion rapide et importante. Le Mali dispose d’éléments de franchissement de fleuves fournis par la coopération allemande.
La mission ne disposera normalement pas d’un OHQ (quartier général opérationnel). Pour 250 personnes il n’y en a pas besoin. C’est au sein du FHQ (quartier général de forces), établi à Bamako que sera fait ce travail directement en liaison avec l’Etat-Major de Bruxelles. Cela a l’avantage de la simplicité des structures
Le problème de l’armée malienne
L’armée malienne dispose de « bons éléments » selon une source de B2. Elle a toujours été dans la région une force certes petite mais « vaillante » qui n’a pas hésité à se défendre bec et ongles face à des voisins, un peu envahissants. Chacun a encore en mémoire la défaite infligée aux Burkinabais en 1984. On a tendance à l’oublier un peu dans certaines capitales européens où on considère avec beaucoup de condescendance certaines armées.
Mais aujourd’hui cette armée pêche par manque d’organisation, de confiance en soi et d’équipements. Une partie des équipements disponibles ont été abandonnés au nord lors de sa retraite (débandade). On a pu voir ainsi des forces de Ansar Dine à bord de pick up neufs… fournis par la coopération canadienne. Quant au commandement, il reste souvent lié à des nominations « plus politiques » qu’opérationnelles, précise-t-on côté européen. « Nous avons une nouvelle génération d’officiers, formés aux écoles de guerre du Cameroun, de France, d’Allemagne, parfaitement à même de prendre le commandement » m’a précisé un militaire. Un constat fait également dans le pays et relaté par la presse locale (lire ici notamment).
Une armée en cours de rééquipement
L’armée malienne est cependant en passe de se rééquiper. Elle a commandé certains matériels. Mais ceux-ci ont été bloqués, en juillet, à Conakry (Guinée) ; la CEDEAO ayant décidé de bloquer toute livraison après le coup d’Etat des militaires. Le principe du déblocage est acquis désormais par la CEDEAO, qui s’en est servie un peu comme un moyen de pression à l’acceptation par le gouvernement malien, mais c’est lent. Il « manque toujours un papier » pour les débloquer.
L’armée locale dispose encore de quelques matériels par la coopération française, allemande et canadienne. Et en acquiert d’autres. Certains anciens stocks d’armes restent « zone protégée » et les « yeux étrangers » en restent suffisamment éloignés, pour ne pas attester de cette (re)montée en puissance. Le Qatar notamment pourrait être un de ces financeurs et fournisseurs d’armes. Il y a toujours un « manque de munitions et de carburant ». Le Mali ne dispose ou plus également de forces aériennes : les quelque Mig21 qu’il avait dans les années 1980 sont obsolètes et depuis longtemps cloués au sol.
L’exemple d’EUTM Somalie et de l’AMISOM
L’opération de formation des soldats somaliens (EUTM Somalia) – menée en Ouganda – sert sinon de « modèle » au moins d’exemple à l’opération menée au Mali. Si aujourd’hui, elle révèle un succès, les réticences étaient nombreuses au départ (pour ne pas dire plus). Il faut dire que la mise en place d’une telle opération n’est pas inopinée. Cela fait 4 ans environ que certains Etats (la France et l’Espagne particulièrement) poussent à une action importante dans la zone du Sahel, pour renforcer la capacité des Etats de la région en matière de sécurité et d’Etat de droit. La mission n’avait, jusqu’à présent, débouché que dans un pays au Niger (avec Eucap Niger).
(Nb : cet article est paru en primeur pour les adhérents du Club de B2)
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