Pas moins de vingt-cinq des quarante plus importants responsables d'al-Qaida ont ainsi été mis hors d'état de nuire. Parmi eux: l'Américain d'ascendance yéménite Anwar al-Awlaqi, qui était retourné sur ses terres pour organiser le recrutement de musulmans en Europe et aux États-Unis, mais aussi le Saoudien Said al-Shiri, son adjoint à la direction d'al-Qaida dans la péninsule Arabique (Aqpa), qui constitue la principale menace pour les intérêts américains. Avec les zones tribales afghano-pakistanaises, c'est au Yémen que les forces spéciales américaines ont concentré leur lutte. Et s'il est vrai que les attaques de drones au Yémen - pas moins de 79 sous l'Administration Obama - ont décapité Aqpa, l'efficacité tactique de ces tirs ciblés n'a pas empêché la mouvance locale de prospérer.
Des tirs répétés de drones, même renforcés par des captures régulières de cadres d'al-Qaida, ne suffisent pas à affaiblir durablement une mouvance terroriste transformée en label, avec des filiales de plus en plus autonomes dans les territoires où elles se sont implantées. «Les succursales d'al-Qaida disposent d'une redoutable capacité d'adaptation au terrain sur lequel elles évoluent», analyse un expert d'al-Qaida en Irak et en Syrie. «Et ces filiales affichent une facilité déconcertante à renouveler leurs dirigeants», ajoute l'expert, qui rappelle que la disparition d'un djihadiste est inscrite dans la logique du combat de «ces fous de Dieu». Lorsqu'al-Awlaqi ou al-Shiri viennent à disparaître, il reste encore Nasser al-Wahaishi, l'ancien secrétaire d'Oussama Ben Laden, pour prendre les rênes d'Apqa. Et accessoirement répondre au téléphone d'Ayman Zawahiri, le patron «d'al-Qaida central», caché entre l'Afghanistan et le Pakistan. Au-delà des individus, tous partagent la même idéologie forgée à la guerre contre «l'Occident impie».
D'autre part, les dégâts collatéraux provoqués par les tirs de drones sur les populations civiles aboutissent souvent à rapprocher ces populations des cibles visées. Même si al-Qaida au Yémen ou sa vitrine Ansar al-Charia ont dû abandonner certaines zones sous le coup des attaques conjuguées de l'armée et des forces spéciales américaines, leurs membres ont pu se réfugier dans des régions où les chefs de tribu sont faibles et l'autorité de l'État défaillante, pour continuer à y assembler leurs explosifs. Et lorsque certaines branches locales d'al-Qaida ont été affaiblies par des défections répétées, comme les Chebab en Somalie, celles-ci sont davantage le résultat de divergences entre leaders locaux que des coups de boutoir assénés par les Occidentaux, qui ont toutes les peines du monde pour infiltrer une organisation cloisonnée.
Le chaos né des révoltes arabes a également favorisé la circulation de certains dignitaires d'al-Qaida, revenus en Égypte ou en Libye comme Abou Anas al-Libi. Abou Moussab al-Souri est un autre cadre militaire d'al-Qaida, qui a recouvré la liberté à la faveur de la grâce accordée aux djihadistes par le président syrien Bachar el-Assad au début du soulèvement. Où est-il aujourd'hui? Probablement chez lui en Syrie, ou en Irak voisin, où la mouvance al-Qaida, AQI, profite du conflit syrien pour rebondir. Et là encore, malgré les éliminations de ses différents chefs successifs depuis le sanguinaire Abou Moussab al-Zarqaoui, AQI n'a jamais rendu gorge. Au contraire, son actuel leader Abou Omar al-Bagdadi va et vient entre l'Irak et la Syrie.
La capacité de résilience d'AQI a été récemment renforcée par les prisonniers qui se sont fait la belle lors d'une attaque contre des centres de détention au nord de Bagdad. Des laboratoires chimiques clandestins aux mains d'al-Qaida ont également été repérés au nord de l'Irak par les services de renseignements occidentaux. Bref, l'instabilité qui parcourt le monde arabe de la Libye à l'ancienne Mésopotamie offre un terreau favorable à l'essor de la mouvance terroriste, malgré les coups sévères qui lui sont infligés.