13.06.2013 Le Monde.fr
L'Etat américain veut changer de fournisseur pour son prochain grand projet informatique, et cela ne plaît pas à tout le monde. Le passage des données en "informatique dématérialisée" (cloud) est une priorité du gouvernement américain, qui souhaite réduire ses coûts et améliorer le partage d'informations entre ses agences. Dans ce cadre, l'Agence centrale de renseignement américaine (CIA) souhaite construire de nouvelles infrastructures pour y transférer ses données et applications sur les dix prochaines années, pour un montant de 600 millions de dollars (450 millions d'euros). Pour leur conception, deux entreprises se sont opposées : IBM et un nouveau, Amazon.
Le contrat a finalement été confié à Amazon, au grand dam d'IBM, qui est l'une des entreprises habituées à recevoir les dépenses de hautes technologies de l'Etat américain, comme HP, Raytheon ou Boeing. Avec cette victoire, Amazon met un pied dans ces marchés publics rémunérateurs. La défense américaine – comprenant la NSA – a dépensé 35 milliards de dollars (26 milliards d'euros) pour son système informatique lors de la dernière année fiscale (finie en septembre), contre 38 milliards (28 milliards d'euros) pour l'année 2010. L'administration Obama a augmenté le budget "cybersécurité" du Département de la défense de 800 millions de dollars (618 millions d'euros), à 4,7 milliards de dollars (3,6 milliards d'euros) pour 2014.
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UN CHOIX CONTESTÉ
Cette première incursion d'Amazon dans les grands projets de la défense américaine représente un réel danger pour les acteurs en place, avec en première ligne IBM. La division Amazon Web Services est le premier fournisseur mondial de capacités informatiques à distance, à la demande, dans une infrastructure unique (dit "cloud public") commune à tous ses clients. Le premier magasin en ligne mondial est un expert de l'équilibre entre chasse aux coûts et efficacité de sa plateforme, une indisponibilité de sa boutique pouvant se chiffrer en millions de dollars. En 2011, la société avait lancé un "cloud public" (en libre service) pour l'administration américaine.
En remportant le contrat de la CIA, Amazon met en concurrence son modèle d'une grande plateforme dont chaque élément est polyvalent face au modèle classique d'IBM, dont le cœur de métier est de construire des infrastructures sur mesure avec une recherche d'efficacité moindre. Les revenus annuels d'Amazon dans ce domaine seraient de 800 millions de dollars (600 millions d'euros) par an, devant IBM, selon le site spécialisé The Register. La CIA se placerait donc en tête de ses clients.
Le contrat remporté en janvier par Amazon a été contesté le 26 février par IBM, qui a ajouté par trois fois des éléments à son opposition, dont la dernière, le 11 avril, expliquait le site spécialisé du marché fédéral des technologies FCW fin mai. Cette opposition est jugée habituelle dans ce type de contrat, compte tenu des sommes en jeu. Le Government Accountability Office, une commission parlementaire chargée du contrôle des finances publiques, a recommandé début juin à la CIA de rouvrir les négociations. La CIA a deux mois pour dire s'il suivra cette recommandation, explique le Wall Street Journal. IBM déclare espérer la réouverture des discussions quand Amazon attend une résolution rapide de la question.
"PRISM" EN TOILE DE FOND
Le directeur technique de la CIA, Gus Hunt, aurait déclaré vouloir collecter des quantités massives d'informations et "les conserver pour toujours", rapporte FCW. De son côté, IBM a récemment racheté SoftLayer, un concurrent d'Amazon aux Etats-Unis, dans le but d'accélérer sa transition vers ce marché et améliorer la compétitivité de ses prix, pour une somme estimée à plus de 2 milliards de dollars. Ce marché est chargé d'une forte symbolique pour l'entreprise, qui doit prouver qu'elle peut concurrencer les nouveaux ténors du "cloud" que sont Amazon, Google et Microsoft.
Ce conflit commercial intervient alors que des révélations sur le programme d'espionnage des puissances étrangères "Prism" ébranlent l'administration américaine et des géants de l'Internet américains. Ces entreprises auraient passé un accord avec la NSA pour leur fournir plus aisément les données requises légalement sur des ressortissants étrangers. Les documents ont été transmis par un ancien employé de la CIA, Edward Snowden. A mesure que le renseignement par Internet, voire le piratage des puissances étrangères, devient central dans les besoins affichés de sécurité des pays, la puissance requise grandit constamment. La NSA (National Security Agency) est d'ailleurs aussi en pleine construction de son futur "centre d'espionnage", censé ouvrir ses portes en septembre, pour un montant de 2 milliards de dollars.
Voire l'infographie : Comprendre le programme "Prism"
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