12/03/2015 Armée de l'Air
À l’occasion de la 5econférence annuelle de Défense du Franco-British Council (FBC) organisée à Londres les 11 et 12 mars 2015, le général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air (CEMAA), et son homologue britannique, l’Air Chief Marshal Andrew Pulford, livrent leur vision respective de la coopération entre les deux forces aériennes. Mme Claire Chick, chef du pôle « Defence » au FBC, a recueilli leurs propos.
Claire Chick : Mon général, le partenariat franco-britannique entre les deux armées de l’air est une coopération qui fonctionne bien depuis longtemps. Qu’est-ce que les accords de Lancaster House lui ont apporté?
Général Denis Mercier : La coopération entre la Royal Air Force et l’armée de l’air française repose sur une base historique forte, qui a pris corps dès le début de l’aviation. Le deuxième conflit mondial a contribué à forger un fond de culture commune, où les pilotes français et britanniques ont appris à voler sur les avions de leurs partenaires de guerre. L’aviateur René Mouchotte est une figure emblématique de cette entente pragmatique au-dessus de la Manche. Aujourd’hui, l’excellente qualité de notre relation découle aussi en grande partie de notre expérience commune au sein de l’Otan. Nous opérons ensemble en permanence. L’Otan est un catalyseur d’interopérabilité que nous utilisons dans la relation franco-britannique, qui nous permet de développer les mêmes concepts de réactivité. Cette harmonisation des procédures et concepts d’emploi est une spécificité qui est propre aux aviateurs et qui constitue un socle fort de coopération. Reste que l’apport des accords de Lancaster House est clair : depuis bientôt cinq ans, nous allons plus loin sur l’échelle du rapprochement bilatéral, tant au niveau tactique qu’au niveau stratégique.
Quelle est par exemple la valeur ajoutée de la Combined Vision and Strategy (CVS) établie fin 2013? Permet-elle de progresser sur la voie d’une formulation stratégique commune?
La CVS est justement un produit concret des traités franco-britanniques de 2010. Les axes qui ont été retenus pour avancer sur la voie d’une influence commune ont ouvert cinq domaines de coopération: le C2, les capacités ISR, la projection stratégique, la force de combat et d’appui et enfin, l’éducation et l’entraînement. La mise en place du comité stratégique board to board est une initiative typiquement franco-britannique, que nous ne connaissons avec aucun autre partenaire, et qui nous permet de déterminer ensemble les objectifs de nos deux armées. Dans la pratique, c’est une démarche qui nous rapproche et nous permet de parler d’une seule voix dans les instances internationales. La European Air Chiefs Conference (EURAC) et la Nato Air Chiefs Conference (NACS) sont à cet égard des plateformes où nous avons l’occasion de formuler ensemble des propositions, et d’initier des projets en affirmant notre leadership.
Au plan opérationnel, quand pourra-ton parler d’une force de commandement Air franco-britannique pour intervenir dans la gestion des crises?
La Nato Response Force illustre notre volonté de partager et intégrer nos compétences. Quand l’armée de l’air est leader de la composante aérienne, elle reçoit un très fort soutien de la RAF et vice versa. Bien sûr, de nombreuses autres nations sont impliquées mais les capacités de commandement et contrôle françaises et britanniques constituent une force. Au niveau bilatéral, les exercices mis en place dans le cadre du calendrier soutenu de la CJEF sont très satisfaisants. Mais la prochaine étape doit être l’intégration. Nous devons nous projeter sur la constitution d’un détachement franco-britannique, et le partenariat renforcé par les accords de Lancaster House y contribue.
Dans le sillage de ce rapprochement de défense en évolution, le partage capacitaire entre l’armée de l’air et la RAF représente-t-il une ambition?
Une capacité c’est avant tout un groupe d’hommes qui utilise un équipement avec une doctrine d’emploi et une organisation spécifique. Le partage capacitaire intègre donc avant tout les hommes. Et avec les Britanniques, nous commençons à le faire. La mise en place d’un réseau d’officiers d’échange est un pas décisif dans cette direction, et par exemple, l’expérience de pilotes français et britanniques qui volent alternativement sur Eurofighter et Rafale contribue à confirmer la qualité du partenariat de défense. Plus l’intégration opérationnelle entre nos deux armées est forte et plus le partage capacitaire franco-britannique deviendra réalisable. C’est vrai pour les avions ravitailleurs et les transporteurs, c’est vrai aussi pour les drones. Sur le dossier FCAS, aujourd’hui, c’est l’industrie qui a la main pour préparer les choix technologiques de 2016. Mais les militaires doivent réfléchir de leur côté à un concept capacitaire commun. Le défi est de taille mais je suis optimiste, la volonté commune d’y arriver est réelle.
Le CEMAA et le CAS sont-ils des incitateurs à la mutualisation du soutien des matériels à l’échelle européenne?
Pour préserver la cohérence de nos équipements, nous estimons que la mise en oeuvre de normes européennes communes est un chantier prometteur. Avec L’EMAR (European Military Airworthiness Requirements), la France et le Royaume-Uni contribuent largement à l’effort d’harmonisation des règles de navigabilité militaire en Europe. Pour le soutien, il est vrai que l’externalisation pratiquée par les Britanniques sur les MRTT nous empêche d’envisager une coopération dans le domaine de la formation et de la maintenance. Le partenariat public-privé matérialisé par le mécanisme du PFI (Private Finance Initiative) n’existe pas en France à ce niveau. Mais sur d’autres dossiers, les initiatives franco britanniques sont des catalyseurs comme cela a été le cas pour le développement de l’European Air Group (EAG) né du groupe aérien Franco-Britannique. Enfin, le contrat franco-britannique de maintien en condition opérationnelle (MCO) des A400M marque le début d'une coopération inédite dans le soutien aéronautique. Le défi sera d’étendre, plus tard, cet effort de standardisation aux cinq autres pays partenaires.
Quelle(s) priorité(s) faut-il donner à l’entente bilatérale des aviateurs pour les cinq prochaines années?
Il faut placer le facteur humain au cœur de la relation franco-britannique de défense. Il faut que nos militaires se rencontrent pour que demain ils se déploient ensemble. Il faut que les aviateurs de tous niveaux se connaissent. Aujourd’hui, il existe des rencontres très fréquentes et de bonnes relations entre nos généraux et nos colonels. Il faut que nos jeunes officiers et sous-officiers se rencontrent plus souvent. Nous étions en Afrique récemment avec l’Air ChiefMarshal Pulford pour rendre visite aux aviateurs de la force Barkhane. Les rencontres au poste de commandement interarmées de N’Djamena et aux détachements de chasse et de drones ont permis d’afficher notre entente et d’être à l’écoute de nos unités. Il serait intéressant d’échanger sur nos pratiques en matière de ressources humaines. Et, par exemple, mettre en avant la question du barrage de la langue, même si en France la maîtrise de l’anglais devient un critère d’excellence dans le recrutement de nos militaires. Je suis sûr que bientôt, plus d’aviateurs de la RAF parleront aussi français!
Qu’est-ce qui vous divise ?
Le partage du renseignement reste une difficulté. La confiance mutuelle engrangée entre nous est conséquente. On ne peut bien sûr pas tout partager, mais on peut aller plus loin.
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