Claude-France Arnould, la directrice exécutive de l'Agence européenne de défense (AED), estime que l'Union européenne risque de perdre son industrie de défense si elle ne s'engage pas rapidement dans des programmes de coopération militaire concrets.
17-12-2013 par Emmanuel Jarry - nouvelobs.com
PARIS (Reuters) - L'Union européenne risque de perdre son industrie de défense si elle ne s'engage pas rapidement dans des programmes de coopération militaire concrets, déclare la directrice exécutive de l'agence européenne chargée de coordonner ces efforts.
Les dirigeants européens ont prévu de débattre de leur politique de défense jeudi, lors de l'ultime Conseil européen de 2013, ce qui ne s'est plus vraiment produit depuis 2005, explique Claude-France Arnould dans une interview à Reuters.
Les ministres de la Défense des pays membres de l'AED (les Vingt-Huit moins le Danemark) se sont accordés en novembre sur le lancement de quatre programmes de coopération prioritaires pour l'UE : ravitaillement en vol, drones de reconnaissance, communications par satellite et cyberdéfense.
Ils ont invité la Commission européenne à renforcer dans ces domaines les synergies entre les programmes civils et militaires pour s'appuyer sur le développement de technologies duales.
La patronne de l'Agence européenne de défense (AED), un organisme de 120 experts qui fête ses dix années d'existence, attend du Conseil européen "l'impulsion politique" nécessaire.
L'idée d'origine de l'AED est de mutualiser les moyens pour éviter que de nombreux pays lancent les mêmes programmes - de blindés, d'avions de combat ou d'hélicoptères - au moment où les budgets de la défense se réduisent, seuls la France, la Pologne et le Royaume-Uni étant proches, dans l'Union européenne, de l'objectif d'y consacrer environ 2% de leur PIB.
Claude-France Arnould souhaite que l'on se concentre désormais sur les programmes d'avenir dans l'espoir d'enclencher une dynamique vertueuse dans les autres domaines.
"Nous attendons un engagement des chefs d'Etat et de gouvernement sur les quatre programmes", explique-t-elle. "Pour qu'ils deviennent une réalité, des arbitrages nationaux doivent être faits en ce sens et les ressources allouées."
PRÉPARER L'AVENIR
Elle ne cache pas que l'évaluation de leur coût et de leur financement constitueront une difficulté et un enjeu de la discussion mais récuse l'idée, défendue par la Commission européenne, qu'il soit possible de "faire plus avec moins".
"Personne ne peut sérieusement considérer que le contexte stratégique dans lequel nous sommes nous permet de réduire nos moyens de sécurité et de défense" dit-elle.
"Il y a un message très clair du partenaire américain : 'soyez capable de faire votre part en matière de défense et ne comptez plus sur nous pour le faire à votre place, c'est-à-dire pour fournir 80% des capacités de ravitaillement en vol ou de renseignement'", ajoute-t-elle.
Il ne s'agit pas d'ignorer la crise financière et ses conséquences mais de donner une priorité à la "préparation de l'avenir", fait encore valoir la directrice de l'AED.
Elle invite les dirigeants européens à tenir compte de l'apport de l'industrie de défense à l'emploi, la croissance et d'innovation : 750.000 emplois directs et indirects dans l'UE, dont la suppression serait une perte d'"autonomie stratégique".
"Le drame serait de se réveiller de la crise financière guéris mais en ayant perdu entre-temps toute notre capacité industrielle et technologique de défense", explique la directrice de l'AED, selon qui cela ne manquera pas de se produire "si l'on continue sur la tendance actuelle".
"Le cri d'alarme des industriels est vraiment à prendre tout à fait au sérieux. Pour certains d'entre eux, la solution c'est de quitter le secteur de la défense", ajoute-t-elle.
Le président exécutif d'EADS, Thomas Enders, a d'ores et déjà prévenu que le groupe aéronautique européen ne pourrait "faire l'économie (...) de suppressions d'emplois" dans ses filiales de l'industrie de défense.
Pour Claude-France Arnould, une condition du succès des programmes de coopération est qu'ils bénéficient à l'ensemble des Etats membres - une allusion à la Pologne, notamment, très soucieuse de l'avenir de sa propre industrie de défense.
INCITER À LA COOPÉRATION
Mais si la survie d'une industrie de défense européenne - et de l'idée d'Europe de la Défense - passe par cette coopération sur des programme concrets, "on n'y arrivera pas sans incitation financière", ajoute la directrice de l'AED.
Elle attend donc des Vingt-Huit qu'ils se penchent jeudi sur "les éléments financiers et fiscaux qui peuvent inciter à la coopération" et qu'ils donnent mandat au Haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères, à l'AED ou à la Commission européenne d'en étudier les modalités.
Selon Claude-France Arnould, les conclusions du Conseil européen pourraient évoquer un tel mandat.
Elle cite parmi les pistes envisageables des exonérations de TVA pour les programmes de coopération ou la constitution d'un "pool" pour l'acquisition d'équipements de défense.
"Il faut un vrai examen de ce qui est possible avec une clause de rendez-vous devant les chefs d'Etat et de gouvernement à aussi court terme que possible", ajoute Claude-France Arnould, selon qui il faut "faire travailler ensemble les communautés de la défense et des finances" sur ce dossier.
Cette coopération suppose aussi un effort de rationalisation et d'harmonisation des besoins des pays de l'UE qui, jusqu'ici, ne va pas nécessairement de soi - il y aurait ainsi 23 versions différentes de l'hélicoptère de transport NH90.
"Il ne faut pas recommencer ce qu'on a fait pour l'avion de combat, avoir trois rivaux européens (le Rafale français, le Gripen suédois et l'Eurofighter Typhoon) en compétition avec le F16 et le F35 américains", souligne Claude-France Arnould.