10/10/2013 Michel Cabirol – LaTribune.fr
Le constructeur allemand OHB boit la tasse. Et Galileo prend à nouveau du retard. La PME allemande est incapable d'assurer seule la livraison des satellites. Astrium et Thales Alenia Space ont été appelés en renfort à la demande de l'Agence spatiale européenne.
C'est chaud bouillant en ce moment dans la communauté spatiale. La raison ? Les difficultés d'OHB sur le programme Galileo, dont seuls quatre satellites IOV (In-Orbit Validation) de la constellation sont déjà en orbite au lieu de 18 depuis la fin de 2012. "Le programme ne va pas bien", assure un bon connaisseur du dossier. La PME allemande, à qui l'Union européenne a confié la fabrication de 22 satellites FOC (Full Operational Capability) de la constellation du futur GPS européen, est aujourd'hui incapable de s'en sortir toute seule sans aide, estiment plusieurs sources concordantes interrogées par La Tribune.
Arrivé en juin au centre d'essai de l'Agence spatiale européenne (ESA) l'Estec à Noordwijk (Pays-bas), le premier satellite n'est toujours pas qualifié alors qu'il aurait dû l'être dès le mois d'août. Pourquoi ? L'Estec n'avait pas les capacités pour le faire, explique-t-on à La Tribune. Le satellite devrait être finalement qualifié en novembre à l'issue des essais sous vide. L'union européenne (UE), l'ESA et l'agence spatiale allemande (DLR) sont donc mobilisés pour aider le soldat OHB mais la situation, selon plusieurs sources concordantes, semble compliquée.
Deux audits sur OHB
Deux audits - l'un de l'ESA, l'autre de Roland Berger Allemagne pour le compte de l'UE - ont été diligentés pour connaître l'étendue des déboires chez OHB... que cherchent absolument à minimiser aussi bien l'Union européenne que l'ESA, l'Allemagne et bien sûr l'industriel. "Nous avons notre part de responsabilité sur les retards mais pour seulement un tiers, confie-t-on au sein d'OHB. On avait sous-estimé certains risques et certains défis".
Grand artisan du programme Galileo, le commissaire européen en charge de l'espace, Antonio Tajani, souhaiterait partir sur un succès de Galileo avant les élections de mai 2014. D'où sa discrétion sur un sujet qui fâche. Tout comme le directeur général adjoint de la direction générale Entreprise et Industrie, le Dr Paul Weissenberg. Pour autant, la commission n'avait semble-t-il pas encore toute l'expérience pour gérer un programme de cette envergure, estime un industriel concerné par le programme Galileo.
Astrium et Thales appelés au secours
Pourtant, l'audit de Roland Berger aurait pointé la gestion défaillante du programme Galileo par OHB, qui aurait cumulé de nombreuses erreurs en terme de choix de technologies (des composants non adaptés) et de management. Aussi, selon ces mêmes sources, Astrium (EADS), le rival malheureux dans les deux compétitions organisées par l'Union européenne en janvier 2010 (14 satellites) puis en février 2012 (8), ainsi que Thales Alenia Space (TAS), ont été appelés au début de l'été pour jouer les pompiers de service à la demande de l'ESA et de l'UE pour aider OHB à remettre le programme sur les rails. Ce qu'on dément chez OHB, qui assure que c'est l'entreprise, qui a fait appel aux deux industriels.
La filiale spatiale d'EADS a une mission d'assistance à maîtrise d'œuvre pour aider OHB à gérer un programme de cette envergure. Un comble... quand on connait les rapports difficiles entre les deux groupes. Pour sa part, TAS, qui avait interdit de concourir en 2010 pour de sombres raisons de retour géographique, a été lui aussi appelé au secours pour aider les équipes d'OHB dans l'intégration des satellites de la constellation dans les deux chaînes de production sur deux sites de l'entreprise allemande. Une expertise reconnue de TAS Italie, qui a déjà travaillé notamment sur les constellations O3b, Globalstar et Iridium. Dans ce cadre, TAS a donné son accord pour envoyer une grosse équipe d'experts expérimentés en Allemagne. Pas question en revanche pour l'industriel tricolore d'avoir une quelconque responsabilité sur les satellites en orbite.
La constellation aurait dû être lancée fin 2012
Pour le calendrier de mise en service des satellites, c'est le flou qui règne. D'autant que l'ESA aurait dû publier début octobre un nouveau calendrier. Ce qui n'a pas été le cas. Car l'ESA attend la fin des essais sous vide, qui pourraient faire apparaître de nouveaux risques pour "solidifier" un calendrier. Une bonne fois pour toute. Petite piqûre de rappel. Les 14 satellites devaient être normalement en orbite fin 2012 pour la mise en service du service Galileo. Avec seulement 18 satellites sur les 27 au total, l'Europe aurait pu ouvrir un service à hauteur de 95 % du temps, notamment le service public réglementé, le service recherche et sauvetage mais pas le service commercial, qui devait être seulement à l'essai.
Le programme a été recalé une première fois depuis. Le lancement des deux premiers Galileo de la série des 14 était prévu en avril 2013. Arianespace a gardé des slots en avril, mai et juin pour Galileo, qui doit être lancé par Soyuz en principe. Chez OHB, on maintient que les deux premiers satellites pourront être lancés fin mai, début juin. Ce qui semble aujourd'hui optimiste. Car certains estiment que les 14 satellites ne seront pas lancés d'ici à la 2014. "Huit, ce serait miraculeux, quatre ce serait déjà bien", explique-t-on à la Tribune. Les services et donc les emplois générés par Galileo attendront... 2015. D'autant que les pays n'ont pas l'argent dans la mise en œuvre des services.
Un peu de retard, selon Geneviève Fioraso
Interrogée par "La Tribune", la ministre en charge de l'espace, Geneviève Fioraso, a reconnu début septembre dans une interview que le programme a "effectivement un peu de retard dans la livraison des satellites", mais, avait minimisé son impact en estimant que "pour un tel programme, c'est assez fréquent et cela ne remet pas en cause son intérêt".
Toutefois, il est notamment reproché à OHB, qui n'était jusqu'alors qu'un simple assemblier de satellites, d'avoir assuré à l'ESA lors des deux appels d'offre qu'il disposait de toutes les compétences pour maîtriser un programme de cette envergure, explique-t-on à La Tribune. Or, ce ne semble pas être le cas. "Ces retards étaient courus d'avance, il en fallait pas confier ce programme à une PME", note une autre source contactée. D'autant que le choix de la Commission en faveur des industriels allemands était fléché pour des questions de retours géographiques.
Rivalité entre l'ESA et l'UE
A qui la faute ? A l'UE et à l'ESA, qui sont comme chien et chat depuis la montée en puissance de la Commission en matière d'espace, se renvoient aujourd'hui mutuellement la responsabilité des déboires d'OHB, qui en 2010 avait été surpris d'être sélectionné pour l'ensemble des 14 satellites. "Nous nous attendions à être une double source d'approvisionnement et avoir quatre satellites, au mieux huit. Nous n'avions pas anticipé", rappelle-t-on chez OHB. Cette nouvelle crise intervient alors que l'UE et l'ESA sont en train de négocier une nouvelle gouvernance en matière de politique spatiale européenne.
Lors de la sélection d'OHB en janvier 2010, ce choix était une victoire passée un peu inaperçu de l'UE face à l'ESA. Car, au plus haut niveau de l'ESA, ce n'est pas tout à fait le choix qui aurait été fait. "L'ESA aurait pris en compte la dimension industrielle du projet", expliquait-on à la Tribune à cette époque. Sous-entendu, la réalisation des quatorze satellites (566 millions d'euros) aurait sans doute été partagée entre les deux rivaux, avec une prime à l'offre mieux-disante d'OHB.
Le commissaire européen aux Transports, Antonio Tajani, en a décidé autrement en choisissant OHB, bien aidé par Astrium qui avait présenté alors une offre commerciale très médiocre. La PME allemande avait du coup la meilleure offre technique et financière, selon les conclusions techniques d'une commission mixte ESA-UE. Mais aujourd'hui, on reproche aujourd'hui à l'ESA, selon des sources concordantes, son manque d'expertise et d'analyse sur les capacités d'OHB à maîtriser le programme Galileo.
Y avait-il la place pour un troisième champion européen ?
Avec OHB, l'UE et l'ESA a créé un troisième champion européen alors qu'Astrium et TAS ont déjà dû mal à vivre à deux. Résultat, en France, on commence à reparler d'un rapprochement entre les deux constructeurs de satellites. Ce qui serait un bain de sang au niveau social...Et tout "bénéf" pour l'Allemagne, qui est en train de gagner des compétences grâce aux redondances organisées par l'UE et l'ESA. C'est toute la morale de cette histoire. Et dire que Berlin avait voté contre le financement de Galileo en 2007.
Le coût d'un satellite et de son lancement s'élève entre 70 et 80 millions d'euros. Le double quand on intègre dans la facture le système sol, la gestion de la constellation et les tests. Au total, un satellite Galileo coûte aux contribuables européens 160 millions d'euros.