10.05.2012 Par Joseph Henrotin - DSI
Si l’attention des médias s’est surtout portée sur la question du retrait d’Afghanistan au cours du récent sommet OTAN de Chicago, d’autres questions y ont également été abordées et ne seront pas sans conséquences pour la défense des Etats-membres. Il y a, évidemment, la question du système antimissile, évoquée depuis une quinzaine d’années et maintenant considérée comme ayant atteint un premier stade opérationnel, par la mise en réseau des capacités nationales et celles mises à la disposition des Etats-Unis. Premier sujet d’inquiétude, l’évolution des systèmes de commandement liés, qui ne devaient coûter que 170 millions de dollars selon le secrétaire général de l’OTAN, son coût étant maintenant estimé à plus d’un milliard. Deuxième sujet d’inquiétude, ce système essentiellement dirigé contre l’Iran, pose la question d’une réflexion stratégique déficitaire. Tout indique pour l’heure que l’Iran a une conception défensive de la dissuasion, exactement au même titre que la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou l’Inde. In fine, l’OTAN s’engage donc dans un système peu efficace (1), qui ne répond pas à la question iranienne (à laquelle seule une dissuasion crédible peut répondre), qui fâche inutilement la Russie, et dont les coûts seront plus importants que prévus.
Les limites du modèle
Revenons à la question de l’adversaire probable pour aborder un autre point peu évoqué par les médias et renvoyant à la « smart defense », soit un processus de mise en commun et de partage des capacités nationales (pooling and sharing), pour l’heure sur 25 projets. Dans un contexte de crise économique, alors que les budgets de défense ne cessent de baisser et que le coût des matériels s’accroît, la mesure pourrait paraître a priori de bon sens. A certains égards, elle l’est, comme lorsque le sommet valide l’achat de cinq grands drones dotés de radars de surveillance terrestres – encore que l’on est loin du projet initial, seuls 13 Etats y participant. Comme les AWACS de l’OTAN, ils seront mis en œuvre par une unité multinationale ad hoc. Le problème de la smart defense se pose à deux niveaux. Premièrement, dans l’interdépendance qu’elle induit face aux réalités du terrain. Pour résumer les choses abruptement, que se passe-t-il lorsque vous avez besoin d’une capacité pour une opération, mais que l’Etat disposant de cette capacité ne veut pas vous la prêter ? Ce n’est pas un cas d’école. En Libye, le binôme franco-britannique puis l’OTAN n’ont pas pu bénéficier de capacités antiradars allemandes pourtant précieuses (Tornado ECR). In fine, les Etats-Unis ont comblé le vide. De ce point de vue, la smart defense avantagerait surtout Washington, qui dispose de tout le nécessaire.
Deuxièmement, la smart defense, si elle permet des annonces politiques mettant en évidence le renforcement de la défense des Etats-membres, manque de prendre en considération l’art délicat de la gestion des coalitions – voie obligée pour des armées trop réduites que pour travailler seules. Leur vrai problème n’est pas celui des capacités, c’est celui de la prise de risque et de son partage. L’Afghanistan l’a parfaitement démontré : certains veulent rester en arrière pour éviter des pertes (caveats) mais que fait-on si ceux-là on des capacités nécessitant qu’ils soient en avant ? Personne n’a, pour l’heure, de véritable solution et, comme à l’habitude, on a essentiellement travaillé sur ce qui faisait consensus (réduire les coûts et chercher une efficacité dans le domaine matériel) plutôt que sur le partage des risques, question autrement plus délicate mais opérationnellement cardinale. De fait, la Belgique a marqué son intérêt pour deux, seulement, des 25 projets – sans s’engager fermement.
Et la Belgique ?
Au vrai, la prudence belge contraste assez largement avec un autre événement assez peu évoqué par les médias, la déclaration d’intention de coopération dans le domaine de la défense au niveau BENELUX. Pratiquement, il s’agit là aussi de pooling and sharing entre les trois Etats, mais cette fois sur des domaines les concernant plus directement (surveillance et interventions dans leurs espaces aériens, formation commune de pilotes d’hélicoptères, etc.). Là aussi, l’initiative est fondamentalement bonne, mais elle pose également question, là aussi à deux égards. D’une part, sur son étendue, qui pourrait comprendre le renouvellement des flottes de F-16, qui, pour P. De Crem, « sera le premier moment de vérité, pour savoir si les partenaires de l’OTAN se mettent d’accord pour faire une trajectoire sur ce point » (2). Or, les Néerlandais sont totalement engagés dans un programme F-35 non seulement en retard mais aussi en surcoût notoire – le Japon va acheter ses appareils 210 millions de dollars pièce, un peu moins du double du coût des appareils européens – et dont les capacités sont largement soumises à caution. Si nous sommes réalistes, outre l’incohérence d’acheter américain – là où la Belgique a sans doute un des discours les plus pro-européen – et à ce prix ne peut qu’aboutir au non remplacement des F-16 belges. Dans les conditions budgétaires actuelles, personne n’accordera son blanc-seing à cet achat. Encore faudrait-il que l’argent soit disponible : la Belgique est, au sein de l’OTAN, avant-dernière en termes de part des investissements dans son budget de défense.
Un autre scénario théorique pourrait être une force aérienne BENELUX, où la Belgique apporterait une contribution financière et humaine, ce qui nous amène au deuxième problème. D’ordre politique, il confère aux choix des partenaires effectués par la Belgique. L’orientation BENELUX répond aux espérances de certains (dont la NVA mais aussi Ward Kennes, CD&V) de voir à terme émerger une « leger van de lage landen », une armée des Pays-Bas – au sens bourguignon – dans le cadre d’une vision géopolitique décentrant la Belgique. Or, cette dernière, a également des accords avec la France (sur la formation des pilotes, par exemple), qui apparaît plus clairement comme une puissance de référence – depuis les réformes britannique, les forces françaises sont les premières d’Europe. Comparativement, les forces néerlandaises sont dans une phase déclinante : mise sous cocon des chars et d’une partie de l’artillerie, réduction de la flotte d’hélicoptères et de F-16, non par choix, mais bien par contrainte budgétaire (3). Si l’on peut s’étonner que pareils choix ne fasse gère l’objet de débats en Belgique – c’est du cœur de la souveraineté nationale du Royaume dont il s’agit – ont peut aussi s’étonner que personne ne prenne en compte le vieil adage suivant lequel deux hommes malades n’ont jamais fait un homme en bonne santé…
1 La probabilité d’atteinte de cible des missiles SM-3 américains est de l’ordre de 60 % en condition de laboratoire. Sur les problèmes stratégiques induits par les antimissiles et les contre-mesures qui peuvent leur être appliqués, voir le dossier consacré à la question dans Défense & Sécurité Internationale, n°75, novembre 2011.
2 Bruxelles 2, 21 mai 2012 – http://www.bruxelles2.eu/defense-ue/defense-ue-droit-doctrine-politique/le-vrai-moment-test-de-la-mutualisation-le-renouvellement-des-f-16-p-de-crem.html
3 Voir l’interview du général van Uhm, chef d’état-major néerlandais, dans Défense & Sécurité Internationale, n°74, octobre 2011.
Sur le même sujet :
- Accord de coopération de défense BENELUX La Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg ont conclu, le...
- Defense Strategy Guidance 2012 : quelles évolutions pour la défense américaine ? C’est sans doute la première « Vision » (au sens américain du...
- La parole est la Défense. La vie complexe des idées stratégiques non institutionnelles Le colonel Michel Goya, auteur du blog « La voie de...
- L’Europe et sa défense Grégory Boutherin et Emmanuel Goffi (Dir.), Choiseul, Paris, 2011, 284...
- Belgique – les conséquences pour la défense du nouvel accord de gouvernement L’une des conséquences propres à la constitution d’un gouvernement issu...