07/05/2015 Céline Limousin - DICoD
Jeudi 7 mai 2015, Opération Serval, notes de guerre – Mali 2013 sort en librairie. Son auteur, le général Bernard Barrera, commandait les 4 000 hommes de la composante terrestre de la brigade Serval venue libérer le Mali de la menace terroriste. Durant les cent premiers jours de cette opération, il a tenu un journal de guerre, dans lequel il décrit les combats sans merci, les embuscades, les enfants-soldats… Rencontre.
Dans votre livre Opération Serval, notes de guerre*, vous racontez les 100 jours de libération du Mali sous la forme d’un carnet de notes. Pour quelles raisons ?
J’ai voulu écrire cette histoire sous la forme d’un carnet de bord qui collait à la réalité pour expliquer ce qu’il s’est passé sur le terrain. Tous les jours, pendant mes quatre mois d’opération, j’ai tenu à écrire brièvement les événements importants et des histoires d’hommes. Quand l’idée d’écrire ce livre a germé, je me suis dit que la meilleure solution était de l’écrire au présent, en simplifiant les explications pour rendre cette opération accessible à tous et faire découvrir au lecteur le quotidien des soldats, leurs doutes, leurs difficultés, leurs joies, pour expliquer aussi ce que ressent un chef militaire, comment il vit avec ses hommes, comment il raisonne (sans trahir de secret évidemment). Je l’ai écrit pour témoigner, rendre hommage à mes soldats et faire découvrir une extraordinaire aventure humaine et opérationnelle vécue ensemble, loin de notre pays.
Pouvez-vous nous parler de l’opération Serval ?
L’opération Serval a eu lieu en Afrique, au Mali. Elle a été déclenchée en janvier 2013, lorsque les terroristes sont partis du Nord Mali pour foncer vers Bamako. Ils ont été arrêtés, dans un premier temps, par l’armée de l’Air et les forces spéciales à partir du 11 janvier. Très rapidement, les forces terrestres, arrivées de France et des bases africaines, ont protégé Bamako et ont pris l’offensive pour libérer le pays, la boucle du Niger d’abord (Tombouctou, Gao), puis les confins du Nord (Tessalit, Aghelok, Kidal) et de l’Est (Ménaka) jusqu’aux frontières algériennes et nigériennes. Après les premières libérations, nous avons connu une période de recherche de l’ennemi début février, l’heure des harcèlements par roquettes et des premiers kamikazes, l’heure du « brouillard de la guerre » dans un pays grand comme deux fois la France. Nous les avons finalement trouvés dans leurs sanctuaires éloignés, surchauffés et bien préparés pour des combats défensifs, dans le massif minéral de l’Adrar des Ifoghas au Nord, dans les grands oueds d’épineux à l’Est de Gao et autour de Tombouctou. Il s’en est suivi deux mois de combats, de février à début avril, sur trois zones éloignées chacunes de plus de 500 km.
Serval est-elle l’opération la plus importante depuis la guerre d’Algérie ?
Cette opération est intervenue alors que nos armées terminaient le repli d’Afghanistan. Serval a été une opération nationale, déclenchée en quelques jours à peine, une « entrée en premier » aussi appelée « ouverture de théâtre » mettant en œuvre toutes les capacités interarmées et interarmes pour libérer un pays, détruire l’ennemi et permettre le retour à un processus démocratique. L’action des forces terrestres que je commandais a été menée en liaison étroite et permanente avec les forces aériennes, les unités maliennes disponibles, la force d’intervention tchadienne et les contingents africains qui rejoignaient le Mali au fil des semaines. Dans les états-majors, Serval est considérée comme l’opération la plus importante depuis l’Algérie en termes d’effectifs et de capacités engagées.
Comment s’est déclenchée l’opération Serval ?
Début janvier, je commandais la 3e brigade à Clermont-Ferrand, une des 8 brigades interarmes de l’armée de Terre. Composée de 5 000 hommes, elle était d’alerte Guépard pour une durée de six mois. Guépard est un dispositif français unique qui consiste à projeter sur un très court préavis jusqu’à plusieurs milliers d’hommes pour contrer une menace majeure. À ce titre, ma brigade a été projetée pour devenir la composante terrestre de l’opération Serval, avec son poste de commandement (PC), ses bataillons et les nombreux compléments de l’armée de Terre. L’opération était commandée depuis Bamako par le général Grégoire de Saint-Quentin et la composante Air par le général Jean-Jacques Borel depuis son PC de Lyon Mont-Verdun.
De quels moyens disposiez-vous ?
Au plus fort de l’engagement en février, je disposais d’environ 4 000 hommes, de deux PC de brigade, de cinq bataillons, de plusieurs centaines de véhicules blindés, des camions, des pièces d’artillerie, d’une trentaine d’hélicoptères. Cet ensemble aéroterrestre était appuyé en permanence par des chasseurs bombardiers, des drones de l’armée de l’Air, des patrouilleurs de la Marine nationale. Je travaillais également en liaison avec les forces spéciales, et quotidiennement avec nos amis africains, principalement les forces maliennes qui ont libéré le pays avec nous, et les forces tchadiennes durement engagées dans le Nord du Mali. Articulée autour de la Brigade Monsabert (la 3ebrigade légère blindée), la brigade Serval était en fait un concentré d’armée de Terre, comprenant en plus de son PC et de ses Africains le PC allégé de la 11e brigade parachutiste, de son 2e régiment étranger de parachutistes (REP) renforcé de rapaces du 1e régiment de chasseurs parachutistes (RCP) et d’autres paras, mais aussi d’unités colos et légionnaires des 6e et 9e brigades, des pilotes d’hélicoptères et des combattants des brigades spécialisées, du renseignement, de la logistique, des transmissions, sans parler des soutiens extérieurs et indispensables : services de santé, des essences, d’infrastructure, du commissariat pour ne citer qu’eux. À l’exception des chars Leclerc, pratiquement toutes les capacités de nos forces terrestres étaient représentées et utilisées, tous unis sans guerre de clochers. Dans l’adversité, celle de l’ennemi, de la chaleur, des conditions de vie difficiles, nous étions terriblement soudés, décidés et fiers de mener cette campagne exceptionnelle.
Un fait vous a-t-il particulièrement marqué ?
La libération de Tombouctou est un des faits marquants de cette campagne, car elle s’est traduite par une explosion de joie. Enfant, j’avais lu les aventures de René Caillé jusqu’à Tombouctou. Je m’étais promis d’y aller un jour, mais jamais je n’aurais imaginé libérer cette ville à la tête d’une brigade après un raid de 1 000 km. Jamais, je n’aurais pensé y entrer de nuit entouré de commandos parachutistes pour découvrir la maison de l’explorateur, applaudis par des femmes et des enfants terriblement reconnaissants. Ces petites histoires, que j’ai vécues pendant 4 mois avec mes hommes, méritaient d’être racontées, d’être connues du grand public. Des histoires heureuses, des histoires malheureuses aussi comme la perte de nos camarades, la découverte des enfants-soldats, des combats très durs pour libérer le pays, mais aussi des histoires plus anciennes qui permettent de bien comprendre notre Armée et ses hommes à travers les opérations qu’elles mènent depuis un siècle.
Que retiendrez-vous de cette opération ?
Nous avons une armée qui sait se battre, des hommes courageux et généreux, des chefs qui commandent, des unités unies derrière leurs colonels, leurs capitaines, aguerries par les dernières opérations, notamment en Afghanistan. Nos matériels sont vieillissants, mais certains récents nous ont permis de faire la différence (VBCI, Caesar, Tigre, réseaux numérisés), malgré une logistique tendue à l’extrême. Cette campagne n’avait rien à voir avec la Guerre Froide de mes premières années d’officier en Allemagne. Notre armée s’est sans cesse adaptée pour battre « ceux d’en face », des blindés du pacte de Varsovie aux Djihadistes du Sahel, et pourtant nos valeurs sont les mêmes. Pour ma part, cette opération a été l’occasion de restituer 30 ans d’études, de commandement, d’expériences et de convictions sur le combat interarmées et interarmes. Elle a renforcé ma certitude dans la primauté de l’approche capacitaire dénuée de tout dogmatisme et de tout corporatisme, l’importance du feu, de la manœuvre, de la surprise et de l’imagination. Elle m’a confirmé la puissance des forces morales, le rôle des chefs, la cohésion, lorsque loin de tout, il faut poursuivre les attaques et les assauts malgré les pertes humaines.
Je retiendrai la joie des Maliens libérés, le courage des Tchadiens, la fraternité d’armes avec nos camarades africains, la capacité d’adaptation et le professionnalisme de nos unités et de nos PC tactiques, les appuis (Artillerie, Génie) qui écrasent l’ennemi et qui sauvent la vie des fantassins, la précision de nos « anges gardiens » les pilotes de l’armée de l’Air et de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT), le dévouement de nos tringlots, maintenanciers, transmetteurs, l’esprit de corps, l’esprit de famille de nos régiments, la dignité des familles face à la mort. Comme mes capitaines, je retiendrai tout cela et surtout cette lueur de Victoire qui brillait au fond des yeux de leurs hommes fatigués, déshydratés mais vainqueurs, la Victoire, symbole des Africains depuis la libération de 1944, symbole de la brigade Serval et de nos forces armées.
*Opération Serval, notes de guerre – Mali 2013, Editions du Seuil, préface du général Henri Bentégeat, ancien chef d’État-Major des armées, 448 pages