10/02/2015 par Alain Establier SECURITY DEFENSE Business Review
SDBR : Général, avez-vous fait l’IHEDN ?
GCA de Courrèges d’Ustou * : Non je n’ai pas suivi de session de l’IHEDN mais, comme la plupart des gens, je connaissais l’IHEDN par sa partie émergée, à savoir les deux sessions nationales: la session «Politique de défense» et la session «Armement et économie de défense». En fait, l’IHEDN ne se réduit pas à cela et il y a derrière beaucoup d’autres choses: une dimension régionale, une dimension internationale, des actions vers la jeunesse, des séminaires thématiques, etc. et un formidable réseau, avec des liens très forts entre anciens auditeurs ou participants de telle ou telle session ou séminaire.
« L’IHEDN sera le lieu de la formation et de la réflexion aux enjeux de défense, celui du renforcement du lien défense-nation, celui de l’élaboration d’une communauté de défense et de sécurité… », me déclarait le vice-amiral d’escadre Richard Laborde le 9 mars 2010. Est-ce que c’est la réalité de l’IHEDN de 2015?
Au-delà des grandes missions de formation et d’information de responsables et d’acteurs de la défense, l’IHEDN s’est en effet vue proposer, dans le Livre Blanc, la promotion de l’esprit de défense. Faire travailler ensemble des personnes qui s’intéressent déjà aux questions de défense et les faire progresser dans le domaine des relations internationales, des questions d’armement et d’économie de défense, et à toutes les questions connexes, est un des savoir-faire de l’IHEDN. En revanche, nous devons probablement progresser pour aller toucher ceux qui ne connaissent pas la Défense et ceux qui ne savent pas ce que sont les enjeux de défense. Donc nous faisons ce que déclarait l’amiral Laborde en 2010, mais la question est de savoir si nous le faisons bien ? L’IHEDN est aujourd’hui très ouvert sur l’international et nous avons des liens étroits avec un certain nombre de pays dans le monde. Concernant le renforcement du lien défense-nation et l’élaboration d’une communauté de défense et de sécurité, je considère que nous sommes à un palier et que nous devons encore progresser.
Quelles sont les pistes de progrès ?
Lorsque je suis arrivé, j’ai été très vite capable de décrire ce que faisait l’IHEDN. J’ai un peu plus de mal à définir ce que nous cherchons réellement à faire et vers quelle finalité nous cherchons à emmener nos auditeurs. Quel que soit le type de formation dispensée, nos auditeurs sont enthousiastes à son issue. Comment par contre matérialiser cet esprit de défense en France? Il n’y a pas de définition de l’esprit de défense mais nous allons, dans les prochains mois, donner des repères pour le caractériser au travers de deux ouvrages, l’un, « Esprits de défense » d’une centaine de pages avec textes de personnes d’horizons divers, tant militaires que civils, l’autre qui est une réédition de «Comprendre la défense» et qui donne la parole à 70 contributeurs. Nous avons besoin de points de repères, pour pouvoir ensuite discuter. Essayer de définir l’esprit de défense passe par un certain nombre de questions. Qu’avons-nous à défendre ? Une population de femmes et d’hommes (qui peuvent être menacés, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du territoire on l’a vu), un territoire (avec la spécificité des départements d’outre-mer qui font de ce territoire l’ensemble du monde), un ensemble de valeurs, des intérêts (qui ne sont pas qu’européens et peuvent donc s’avérer spécifiques, comme le Pacifique et les Caraïbes). La question «qu’avons-nous à défendre» amène, vous le comprenez bien, des questions induites de cohésion nationale et de citoyenneté.
La question « Quoi défendre ?» ne pose t’elle pas la question de la Menace ?
Bien évidemment, nous devons nous interroger sur les menaces, sur les menaces extérieures et sur les menaces intérieures, sur les menaces physiques et sur les menaces numériques entre autres. La question suivante concerne les réponses à apporter à ces menaces. Il y a des acteurs ministériels qui travaillent sur ces questions (quoi ? qui ? comment ?), car tous les ministères sont concernés : Défense, Intérieur, Affaires Etrangères, Culture, Education, Enseignement supérieur et Recherche…). La question que nous devons nous poser est de savoir ce que l’IHEDN, institut de formation sous la tutelle du premier ministre, peut et doit apporter dans ce domaine ? Sa spécificité est justement d’être interdisciplinaire, intersectorielle et donc interministérielle. C’est pourquoi, en liaison avec les acteurs ministériels mais pas seulement, nous devons travailler sur ces différents champs. Pour ne pas nous disperser, sachant que nos moyens sont limités, nous devons nous donner des priorités. Nous avons, depuis 2006, un séminaire «Cohésion nationale et citoyenneté», mais nous ne pouvons pas informer directement tous les citoyens du territoire national. Nous devons donc aussi définir quels sont les acteurs et les responsables que nous devons toucher, pour qu’ils soient eux-mêmes des relais dans cette mission d’information du plus grand nombre. Nous avons aujourd’hui à préciser ces relais et à définir notre mission à leur égard.
Vous avez parlé d’un séminaire « cohésion nationale et citoyenneté ». Pouvez-vous nous en préciser le contenu ?
Nous faisons une ou deux sessions par an avec des responsables et des élus locaux, et je regrette que peu de responsables d’associations de terrain ne s’y soient pas intéressés jusqu’à maintenant. Participer à ce séminaire est louable, mais reste ensuite à définir jusqu’où l’IHEDN peut s’impliquer dans ce domaine, sachant que nous ne sommes pas les principaux acteurs en matière de cohésion nationale et de citoyenneté. Que ce soit sur ce sujet ou sur le thème des réponses aux menaces, il me semble que la communauté IHEDN, au centre de laquelle se trouve l’institut, prend tout son sens. En effet nous ne sommes pas seuls et il nous faut travailler de façon collective avec les responsables des ministères concernés et avec les élus. Nous touchons 10.000 personnes environ par an au travers des sessions et des diverses conférences, et en formation d’au moins une semaine nous touchons plus de mille personnes par an. A titre d’exemple, nous organisons 4 sessions en région par an sur le territoire national, y compris l’outre-mer. Elles se déroulent sur 18 jours, selon le triptyque pédagogique propre à l’Institut qui est conférences/débats, travaux en comité et visites sur le terrain. Les auditeurs de ces sessions trouvent un prolongement à leur formation au sein des 32 associations régionales de l’Union-IHEDN. Les sessions en région ont commencé en 1954 et nous allons fêter la 200ème en mai à Bordeaux. Vous voyez, au travers de quelques exemples, qu’il y a beaucoup d’activités et de bonnes volontés au sein de la communauté IHEDN. Il nous reste à donner plus de cohérence, en fonction des buts à atteindre, à ce formidable bouillonnement de défense. Pour cela nous devons jouer collectif et faire circuler l’information, à l’intérieur et à l’extérieur de l’institut, pour pouvoir définir l’esprit de défense avant même de déterminer quel doit être le rôle de l’institut dans cet environnement.
Quels indicateurs avez-vous de la progression ou de la régression de l’esprit de défense dans la nation ?
Je n’ai pas d’indicateurs, mais j’ai des observations liées à mes postes précédents. Tout d’abord, j’ai des observations concernant les responsables politiques ou de la haute administration et les élus; ce ne sera pas une surprise si je vous dis que la plupart ne connaissent pas bien la Défense en général et les Armées en particulier. Pourquoi? Parce qu’on peut arriver à haut niveau sans rien connaitre à la Défense, ce qui est moins vrai pour l’Education, le Social ou l’Economie, et sans avoir jamais eu d’information particulière sur les sujets de défense. Ainsi, j’ai travaillé avec des hauts fonctionnaires en charge des budgets qui ne comprenaient pas que les dépenses de défense, plus que dans d’autres secteurs, s’inscrivaient dans le temps long! C’est vrai pour les équipements, mais c’est vrai aussi pour la formation capacitaire des personnels. Donc il me semble que l’information et la formation des responsables à ces sujets sont essentielles.
Vous me parlez des responsables et je vois bien le souci, mais je vous posais la question sur la Nation au sens large. Comment toucher le plus grand nombre? Par les écoles?
Je suis d’accord mais il faut déjà convaincre les responsables. Pour la suite, les partenariats régionaux avec des écoles permettent de toucher le plus grand nombre et d’essaimer les messages. Il y a des actions à envisager auprès du corps professoral des écoles après bac pour les sensibiliser aux sujets de défense. Sur ces sujets, nous devons être force de proposition face à nos autorités de tutelle.
* Le général de corps d’armée Bernard de Courrèges d’Ustou choisit l’arme blindée cavalerie à sa sortie de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1981. Affecté, en 1982, au 3e régiment de hussards à Pforzheim (RFA), il y sert successivement comme chef de peloton AMX10RC, comme chef de peloton Boeselager (Challenge interallié des unités de reconnaissance) et enfin, comme officier traitant au bureau opérations instruction. Affecté, en 1988, au 12e régiment de cuirassiers de Müllheim (RFA), il commande le 1er escadron de chars AMX30B2, pendant trois ans. Reçu, en 1993, au concours de l’Enseignement militaire supérieur scientifique et technique (EMSST), il suit une scolarité de deux ans à l’École nationale supérieure des techniques avancées (Ensta) et obtient le titre d’ingénieur en recherche opérationnelle. Promu colonel en 2001, il reçoit le commandement du 1er/11e régiment de cuirassiers à Carpiagne (13), régiment de 80 chars de la 3e brigade mécanisée. De septembre 2002 à janvier 2003, il exerce les fonctions de RepFrance Pamir, commandant les forces françaises en Afghanistan, comprenant, notamment, le bataillon français de la Force internationale d’assistance à la sécurité (Fias) à Kaboul et le détachement "Epidote" de formation de l’armée nationale afghane. En 2007, chargé de mission auprès du secrétaire général au Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), il participe, notamment, aux travaux d’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, puis aux travaux d’élaboration du projet de loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014. Le 11 mars 2010, il est nommé chef du cabinet militaire du Premier ministre. Il est nommé directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale et de l’Enseignement militaire supérieur à compter du 14 août 2014.
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