Patrouille de la mission Boali en RCA le 4 décembre (crédits: EMA/ECPAD)
6 décembre, 2013 Guillaume Belanb (FOB)
Le feu vert de l’ONU (Résolution 2127) vient d’être donné pour une intervention armée française en République Centrafricaine (RCA). Les effectifs français (mission Boali), déjà présents sur place vont bientôt monter à 1200 en Centrafrique.
Quelle mission ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les choses ne sont pas claires. Oui le mandat de l’ONU l’est : la France soutiendra les forces africaines, la MISCA. Le ministre de la défense qualifie l’opération de « ponctuelle et ciblée », parlant même d’opération « coup de poing », de 6 mois maximum.
Mais est-ce réaliste ?
Un absent étonne : aucun plan de stabilisation du pays à long terme ne semble être prévu. Pour mémoire, tous les derniers engagements militaires dans des états faillis en disposaient. Que l’on pense à l’Afghanistan, où la machine otanienne formait police et militaires tout en finançant nombre de projets de reconstruction. Pour le Mali, le projet EUTM (formation de l’armée malienne) était en préparation bien avant le lancement de l’opération Serval, qui l’a accéléré et viabilisé. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, l’opération Licorne a au final permis une normalisation de la vie politique et du fonctionnement de l’Etat ivoirien. Mais en Côte d’Ivoire, les institutions, même imparfaites, existaient. En RCA, rien de tout cela, tout est à reconstruire. L’État centrafricain est quasi-inexistant. Même une mission de formation des forces de sécurité de RCA serait un coup d’épée dans l’eau tant les attributs et fonctionnements d’un état sont défaillants.
Combien de temps ?
Les 6 mois d’ « opération coup de poing » (« hit and run ») font sourire… Les Français, au sein de la mission Boali sont déjà là depuis 2002, soit plus de 10 ans. Une décennie, c’est également le temps du déploiement français en Afghanistan, 10 ans qu’il aurait fallu multiplier par trois pour donner à Kaboul l’espoir d’un semblant de stabilité. Au Mali, le retrait est systématiquement repoussé. Au final, tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaitre que la présence de 400 soldats français sera insuffisante. Le bilan de Serval c’est aussi ça, l’installation d’une nouvelle force prépositionnée, soit un GTIA (800 soldats minimum et ses soutiens) sur le long terme.
Une décennie, c’est également la durée de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, lancée en 2002. La France y dispose encore d’un état-major et deux unités de combat et leurs soutiens, soit près de 500 soldats. Quant au Tchad, la mission Épervier a été mise en place en… 1986!
Alors que la RCA s’annonce être l’État le plus failli dans lequel la France va intervenir, comment les politiques français peuvent-ils apparaître aussi naïfs sur la durée et la nature de l’engagement ? Le temps politique n’est visiblement pas le même pour tous… Le succès de l’étoffe de chef de guerre, qui va si bien au Président de la République, se définirait-il par la seule fulgurance de l’action militaire ?
La raison pourrait revenir aux Parlementaires, qui doivent êtres consultés, au bout de 4 mois d’engagement.
L’engagement militaire
Bonne nouvelle, le théâtre de la RCA ressemble à celui du Mali, au moins dans ses conditions d’engagement. Sous chapitre 7 (recours à la force), la France est seule aux manettes, libre de ses décisions et de ses mouvements, à la différence d’un scénario afghan proche de l’immobilisme. Bonne nouvelle encore, les soldats français sont surentraînés avec de multiples opex au compteur (Afghanistan, Mali, Côte d’Ivoire…) et décomplexés de l’engagement du feu.
Oui, l’ennemi ne sera pas le même : après le djihadiste illuminé, les militaires vont là lutter contre des bandits de grands chemins très légèrement armés… Ce qui va poser d’autres difficultés : l’identifier pour le combattre. Car, à n’en pas douter, les coupeurs de routes vont vite détaler dès l’arrivée des premiers blindés et perpétrer des actions loin des regards français. Sans parler de l’implication compliquée mais inévitable entre milices pro-régime (Séléka) et anti-balaka.
L’opération Sangaris devrait au final se transformer en mission de police intérieure, bien loin d’un véritable engagement armé.
Et si dans un premier temps, les soldats français vont sécuriser la capitale et les grands axes, il faudra bien venir au secours de la population qui sera, à n’en pas douter, prise à partie dans les endroits plus reculés. C’est là une mission de contrôle de zone dans un pays plus grand que la France. 1200 soldats apparaîtront vite insuffisants. Problème, nos ressources militaires sont maintenant limitées, LPM successives et autre RGPP y ont veillées. La multiplication des opérations risque par ailleurs de faire surchauffer des armées déjà très sollicitées.
Autre constat : il est bien loin le Livre Blanc de 2008 qui remettait en question les forces pré-positionnées françaises en Afrique! Aujourd’hui encore, on se réjouit de la richesse de ce dispositif. Le général français Soriano, qui commande l’opération Sangaris arrive du commandement des forces françaises au Gabon (FFG) avec des parachutistes. Les appuis français en Afrique (Gabon, Tchad…) sont déjà mis à contribution.
Les forces africaines
On ne peut que se réjouir de la prise de conscience des pays africains à vouloir assurer leur propre sécurité. Reste que la force d’Afrique Centrale (FOMAC), qui va devenir la mission africaine pour la sécurisation de la Centrafrique (MISCA) et qui devrait se muer en force de maintien de la paix, est notoirement insuffisante, sous-équipée et sous financée, comme le reconnaît le secrétaire de l’ONU, Ban Ki-moon lui même. On peut tout de même saluer l’implication des forces tchadiennes qui ont montré leur efficacité durant l’opération Serval. Et surtout celle du Maroc, Rabat vient d’annoncer qu’il envoyait un contingent des FAR (Forces armées royales). L’objectif de déployer 6000 casques bleus est plus que louable et nécessaire. On peut cependant douter de son réalisme quand l’on constate que la MISCA n’arrive pas aujourd’hui à remplir son quota de 4000 soldats…
La France seule en Afrique
Côte d’Ivoire, Mali, maintenant RCA, la France se retrouve contrainte d’assumer un rôle qu’elle fuit pourtant, celui de gendarme de l’Afrique. Pire, c’est un rôle que l’ensemble de la communauté internationale, Afrique comprise, ne conteste pas mais conforte.
L’Union Européenne, qui aurait là une nouvelle occasion de manifester sa solidarité, brille une de fois de plus par son absence. Au mieux, une aide financière sera apportée. Même nos alliés les plus solides, à savoir les Britanniques ou les Américains, comptent bien rester à bonne distance de sécurité. Londres a même annoncé qu’elle n’enverrait aucun soldat, tout au mieux un C-17 pour la logistique… A croire que tous considèrent qu’il s’agit d’une affaire franco-française ! Mais où sont les Battle Group (GT1500) que l’Europe salue haut et fort comme une réussite ?
Plus que d’indépendance stratégique, c’est plutôt dans une grande solitude stratégique que la France, aujourd’hui, se retrouve!