07/11/2014 Par Alexandre Khrolenko, RIA Novosti
La Russie a réussi plusieurs lancements de missiles intercontinentaux mer-sol ces dernières semaines. Ces succès témoignent du grand potentiel technologique et de l'aspiration de l’État à développer son complexe militaro-industriel.
En une semaine, la marine russe a réussi deux lancements de missiles balistiques intercontinentaux. Le sous-marin nucléaire lanceur d'engin (SNLE) de la flotte du Nord Iouri Dolgorouki a "fait mouche" le 29 octobre puis, le 5 novembre, le SNLE Toula a tiré un missile intercontinental Sineva. Les deux tirs ont été effectués depuis une position sous-marine. Boulava et Sineva ont suivi la trajectoire prévue de la mer de Barents jusqu'au polygone Koura dans la péninsule du Kamtchatka.
Un peu plus tôt, le 10 septembre, le SNLE de la flotte du Nord Vladimir Monomakh avait tiré avec succès un missile Boulava.
Ces faits font ressortir la vulnérabilité des adversaires géopolitiques de la Russie: les missiles atteignent leur cible et reflètent le niveau technologique élevé de l'industrie russe. Autrement dit, ces succès mettent en lumière l'inconsistance totale du langage des sanctions et de la force dans les relations avec la Fédération de Russie. Les missiles partent à l'est, certes, mais la Terre est ronde.
La ligne de l’État
Pour répondre aux défis modernes, l’État opte systématiquement et fermement pour le développement de l'industrie des hautes technologies.
Au cours de la réunion de la Commission pour la coopération militaro-technique du 5 novembre, le président russe Vladimir Poutine a noté l'aggravation de la situation géopolitique générale, en déclarant notamment: "La Russie dispose de tous les moyens nécessaires pour non seulement parer ces défis, mais aussi renforcer ses positions. Des programmes d'envergure de substitution des importations dans le secteur militaro-industriel sont déjà prévus et des contacts alternatifs se mettent en place dans le domaine de la production et de la coopération technologiques".
La Russie n'a pas l'intention de devenir un marginal technologique, exclu de la civilisation. La stabilité du développement économique du pays dépend toujours des forces nucléaires de dissuasion – la triade nucléaire (les Troupes balistiques stratégiques russes (RVSN), l'armée de l'air et la marine). L'armement stratégique naval est le plus vulnérable et un SNLE est techniquement plus complexe qu'un vaisseau spatial. Objectivement, le milieu maritime réduit significativement les possibilités de détecter les sous-marins avec des radars, des sonars et des satellites de renseignement.
Une grande partie des ogives nucléaires russes est déployée sur les SNLE, qui peuvent se cacher pendant des mois dans les océans et anéantir, si nécessaire, des objectifs se trouvant à des milliers de kilomètres avec une grande marge de sécurité.
Par ailleurs, le missile Voevoda RS-20B (code Otan, SS-18 Satan), qui a déjà un âge avancé, a fait preuve d'une fiabilité hors pair. D'après le ministère de la Défense, les Troupes stratégiques déployées dans la région d'Orenbourg ont réussi le 6 novembre le tir du missile convertible RS-20B et ont envoyé parallèlement en orbite terrestre plusieurs satellites. Il est à noter qu'initialement Voevoda avait une durée de service de 10 ans, mais que les fusées porteuses de cette classe ont réussi plusieurs fois à envoyer dans l'espace du matériel spatial après plus de 20 ans de service dans un silo. Quel pays pourrait se vanter d'un tel potentiel technologique?
Un missile impossible à intercepter
Le missile intercontinental mer-sol R-30 Boulava a été conçu par l'Institut de technologies thermales de Moscou pour équiper les sous-marins du projet 941 Akoula et du projet 955, comme une résultante de l'unification avec ses analogues sol-sol (Topol-M). Le missile R-30 Boulava, de trois étages, pèse au lancement près de 36,8 tonnes. Les moteurs des deux premiers étages sont à combustible solide et le troisième est propulsé par un combustible liquide pour assurer une grande manœuvrabilité pendant la phase finale du vol. Les particularités du missile Boulava – la division par quatre de la zone active de vol et l'utilisation d'ogives manœuvrables – permettent de l'inscrire dans la nouvelle catégorie des missiles "quasi-balistiques".
La trajectoire de vol du missile Boulava rend inefficace le système de défense antimissile déployé par les États-Unis. Son endurance élevée et sa précision de tir réduisent les exigences en termes de puissance et de nombre d'ogives, et compensent la réduction significative du poids perdu par rapport à d'autres missiles mer-sol.
Le missile peut embarquer jusqu'à dix ogives nucléaires hypersoniques manœuvrables d'une puissance de 150 kilotonnes chacune, pour une portée de 8 000 km. Et ce n'est pas tout. Le missile Boulava est prévu pour la nouvelle génération de sous-marins nucléaires du projet 955 Boreï, le premier sous-marin doté d'un système de contrôle numérique intégré de tous les systèmes de l'engin avec 25 niveaux de sécurité. A tel point qu'après la mise en service du SNLE Iouri Dolgorouki en décembre 2013, le chef adjoint du commandement stratégique des USA, le général Robert Forst, avait déclaré que les sous-marins russes du projet 955 représentaient une grande menace pour la sécurité des États-Unis.
Le missile Sineva
Le Sineva a son propre destin, qui reflète d'une certaine manière l'histoire contemporaine de la Russie. Le missile intercontinental de troisième génération RSM-54 Sineva, au sein du complexe balistique D-9RM, est installé sur les sous-marins nucléaires du projet 667BDRM de classe Delfin. Ce missile a été conçu par le Bureau d'étude Makeev.
Le complexe balistique D-9RM doté du missile RSM-54 a été mis en service en 1986. En 1996, la production de ces missiles a été suspendue mais en 1999, le gouvernement russe a décidé de relancer la production de leur version modernisée à l'usine de Krasnoïarsk. Les essais de vol de la nouvelle version du missile Sineva se sont terminés avec succès en 2004 et il a été mis en service dans la marine en 2007.
Les dimensions des étages ont été changées, la résistance des systèmes de contrôle aux impulsions électromagnétiques a été améliorée et des systèmes de contournement de la défense antimissile et de la navigation satellite ont été mis en place sur la nouvelle version. Le poids maximal au lancement du missile Sineva s'élève à 40,3 tonnes. La tête peut se composer de quatre ou de dix ogives nucléaires à guidage individuel. Ou encore – une ogive monobloc de 50 kilotonnes.
Ceux qui pérorent sur le retard technologique de la Russie et son isolement politique devraient visiter le polygone de Koura, au Kamtchatka, non loin de l'Alaska.