La France a signé en 2011 un contrat pour vendre deux Mistrals à la Russie, avec une option d'en commander deux autres. Les Mistrals sont des bateaux stratégiques d'invasion pouvant projeter une force de frappe importante, notamment 16 hélicoptères de combat, 60 blindés dont un bataillon de tanks, et 900 soldats. C'était la première fois qu'un membre de l'OTAN acceptait de vendre des armes stratégiques à la Russie, et nos alliés ont exprimé leurs réserves contre cette vente dès le début des négociations.
Avec l'agression russe en Ukraine, ce contrat est de plus en plus contesté. En Mars la Russie a annexé la Crimée au mépris du droit international et continue de supporter une rébellion dans l'est de l'Ukraine, en fournissant armes et combattants. Vendre des armes sophistiquées à un régime qui veut ouvertement redessiner les frontières de l'Europe par la force n'est sans doute pas la meilleure chose à faire pour la France. Notre gouvernement ne bouge pourtant pas, ignorant les protestations de nos alliés et les manifestations qui se tiennent régulièrement dans le monde entier pour protester contre ce contrat.
Un contrat illégal d'après la législation européenne
Cependant, ce contrat pourrait se heurter à la législation européenne. En 1998, l'Union Européenne a adopté un code de conduite sur les exportations d'armes, à l'initiative de la France et de la Grande Bretagne, et ce dispositif est devenu légalement contraignant en 2008, lorsqu'il fut transformé en position commune. Ce code de conduite est composé de huit critères, et le non-respect d'un des critères doit conduire à ne pas octroyer la licence d'exportation. La France se targuant de " jouer un rôle particulièrement actif " pour " promouvoir la transparence et la responsabilité des états membres dans les transferts d'armes vers des pays tiers ", on s'imagine mal qu'elle puisse ne pas respecter cette position commune.
Les critères de la position commune doivent être remplis par les pays acheteurs. Dans le cas de la Russie, au moins six de ces critères ne sont pas respectés, comme l'a souligné M. Samus du CACDS, un centre de recherche ukrainien spécialisé dans les questions de défense.
Le deuxième critère de la position commune stipule que les droits de l'homme doivent être respectés dans le pays acheteur, ce qui est loin d'être le cas en Russie, si l'on regarde par exemple la répression qui frappe les opposants et les journalistes.
Le troisième critère stipule qu'il ne doit pas y avoir de conflit armé à l'intérieur du pays acheteur. D'après M. Samus, cette condition n'est pas remplie en Russie du fait du conflit qui continue dans le Caucase depuis deux décennies.
Le quatrième critère stipule que la stabilité, la paix et la sécurité dans la région et dans le monde ne doivent pas être mis en danger par le pays acheteur. Ce critère stipule que les pays membres de l'UE ne doivent pas vendre d'armes à des pays susceptibles d'attaquer d'autres états souverains, ou susceptibles de résoudre des questions territoriales par la force. Avec l'annexion par la force de la Crimée, l'occupation illégale de la Crimée et le support à la rébellion dans l'est de l'Ukraine (pour ne parler que de 2014), la Russie ne remplit pas ce critère.
Le cinquième critère stipule que la France doit prendre en considérations les intérêts des alliés et partenaires de l'Union Européenne. Plusieurs de nos alliés, comme la Pologne et les Pays Baltes, ont répété à plusieurs reprises que cette vente met en danger leur propre sécurité. L'Ukraine, un partenaire de l'Europe depuis la signature de l'accord d'association, est sous occupation russe. Ce critère n'est donc pas rempli.
Enfin, le sixième critère mentionne les liens du pays acheteur avec le terrorisme, et le respect par le pays acheteur du droit international. La Russie a annexé la Crimée bien qu'elle soit signataire du Mémorandum de Budapest, par lequel l'Ukraine a accepté d'abandonner son arsenal nucléaire contre une garantie de protection de ses frontières par les signataires. La Russie a ainsi remis en question le droit international et les traité de non-prolifération. Ce sixième critère n'est donc pas respecté.
En plus des problèmes moraux auxquels la France fait face en armant un agresseur qui tente de redessiner les frontières de l'Europe par la force, en plus des problèmes de confiance que cela peut causer chez nos alliés, il y a donc également un problème juridique. En vendant ces Mistrals à la Russie, la France enfreindrait la loi européenne, et fragiliserait du même coup la crédibilité des institutions et des valeurs de l'UE.
La procédure et les recours possibles
Cette position commune est-elle vraiment contraignante légalement ? Hervé Morin, alors Ministre de la Défense, dans une réponse à l'assemblée nationale le 2 Février 2010, a ainsi répondu à cette question : " Cette position commune constituant un acte juridiquement contraignant qui ne nécessite pas l'adoption de mesures nationales de transposition, elle s'impose donc directement à l'administration française (...).En conséquence, les avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), avant la délivrance de tout agrément préalable, prennent ainsi rigoureusement en compte les dispositions des embargos et des mesures restrictives en vigueur, sur la base des listes exhaustives et actualisées des résolutions des Nations Unies et des positions communes de l'Union Européenne ".
D'après cette réponse, la CIEEMG serait donc tenue de bloquer l'exportation des Mistrals, sur la base de la position commune de l'Union Européenne.
Les questions de défense relevant de la souveraineté nationale et étant sensibles, il se peut que le gouvernement prenne malgré tout la décision d'ignorer cette législation et d'exporter les Mistrals vers la Russie. Cependant, selon Sylvie Matelly, ce code est juridiquement contraignant et a donc valeur de loi. Ainsi, " tout citoyen européen pourrait dans l'absolu porter plainte contre un État européen qui ne respecterait pas ce texte. ". D'après elle, faire aboutir une telle plainte contre l'état serait difficile, mais le risque de telles plaintes n'est " absolument pas nul, ni pour les états, ni pour les entreprises ". Malgré tous les efforts du gouvernement, la saga des Mistrals pourrait donc avoir des rebondissements inattendus.