Messieurs les officiers généraux,
Messieurs les ambassadeurs,
Messieurs les attachés de défense,
Mesdames, messieurs les officiers et stagiaires de la 22ème promotion de l’École de guerre,
Je suis particulièrement heureux de procéder aujourd'hui à l'ouverture de la session de votre promotion de l’Ecole de Guerre.
J’en suis heureux parce que j’ai devant moi une nouvelle génération d'officiers, qui incarne l’avenir au présent et que j’espère être prête à s’engager pleinement dans cet enseignement militaire supérieur qui lui est proposé !
Je remercie toutes les autorités civiles et militaires qui nous font l'honneur d'assister à cette séance d'ouverture. Leur présence témoigne de l'intérêt constant que suscite l’école de guerre.
Je salue le général de corps d’armée de Courrèges, ainsi que votre directeur, le général de Reviers. Leur mandat verra la nécessaire adaptation de l’école de guerre au contexte de la transformation des armées. La question de la part du module spécifique à chaque armée, le processus de sélection des stagiaires ou encore la définition d’une politique interarmées des hauts potentiels sont quelques-uns des chantiers qu’ils auront à accompagner.
Je tiens également à saluer les ambassadeurs et les attachés de défense, représentant les nombreux pays qui ont bien voulu nous confier quelques-uns de leurs meilleurs officiers pour suivre cette année d'études. Leur présence est un honneur et une marque de reconnaissance pour notre enseignement militaire.
Je tiens à souhaiter, bien entendu de manière chaleureuse, la bienvenue à tous les stagiaires étrangers, 96 venant de 63 pays. La présence de toutes ces nations souligne bien le rôle mondial de la France et l’importance des relations militaires internationales. Elles tissent la confiance entre nos armées.
Je voudrais bien sûr souhaiter la bienvenue aux officiers stagiaires français. Vous êtes ici parce que vous le méritez et aussi parce que vous avez choisi de vous préparer à exercer davantage de responsabilités : des responsabilités de commandement et de direction, au service de notre pays. Je vous en félicite, c’est le choix de la raison ; j’espère que c’est aussi le choix du coeur. C’est un choix exigeant, qui vous engage.
Vous êtes l’avenir des armées et c’est un plaisir pour moi de vous rencontrer. Ce n’est pas une formule de politesse ; c’est la réalité.
Je ne suis pas ici pour vous dire que nous sommes « au milieu du guet », « à la croisé des chemins », ou encore que vous êtes tous destinés à exercer les plus hautes responsabilités dans nos armées. Je suis venu vous tenir un discours de vérité, c’est-à-dire un discours de réalité et de bon sens. Je le ferai sans minimiser les difficultés, sans dramatiser à l’excès non plus ; en vous disant la réalité des choses et en vous décrivant les défis. Pas de pessimisme outrancier. Pas d’optimisme béat ou suspect.
Je voudrais partir des opérations, car elles sont au coeur de notre engagement sous l’uniforme. Je voudrais ensuite vous faire un point de situation de la réforme des armées, car vous en serez les acteurs. Je voudrais enfin, en ce début d’année, vous dire précisément ce que j’attends de vous, futurs brevetés de nos armées, directions et services.
Trois parties donc pour mon intervention. Comme tout bon exposé à l’Ecole de Guerre, ma troisième partie sera le coeur de mon propos.
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Première partie : les opérations
Du CEMA au plus jeune engagé, l’engagement en opérations est l’élément qui, par-dessus tout, doit donner du sens à nos actions.
La priorité est la protection de la population française. Elle s’exprime sur le territoire national mais aussi au-delà de nos frontières.
C’est le sens de la posture de dissuasion, de la surveillance de nos espaces aériens et maritimes, du recueil du renseignement, du contrôle des espaces et des flux d’intérêt stratégique, de la préparation opérationnelle.
A l’heure où je vous parle, nous avons plus de 20 000 militaires déployés hors de la métropole, dont 8 000 au profit de 26 opérations extérieures, sur 4 continents, dans les airs et sur tous les océans. Ils y participent à la résolution des crises, à la protection des populations civiles et de nos ressortissants, et à la défense de nos intérêts. Les autres préparent et soutiennent ces opérations ou y contribuent directement, depuis nos bases prépositionnées, outremer et à l’étranger, en Afrique et aux Emirats Arabes Unis.
Le chef d’état-major des armées est le conseiller militaire du gouvernement. A ce titre, il participe aux conseils de défense, il donne les éléments d’appréciation et propose les options militaires à l’autorité politique. Il assure le commandement des opérations militaires, directement sous les ordres du Président de la République, chef des armées. Ce commandement s’exerce sur tous nos moyens, nucléaires et conventionnels, sur le territoire national et en opération extérieure, que l’opération soit nationale ou multinationale.
Les comptes rendus d’activité qui me parviennent me permettent de mesurer l’état du monde et l’action de la France et de ses armées dans le monde.
Dans ce domaine, je fais un premier constat : nos forces sont actuellement fortement engagées et nos armées sont au rendez-vous : elles gagnent !
Dans la défense du territoire national d’abord avec la dissuasion nucléaire. Elle sanctuarise nos intérêts vitaux par la menace de dommages inacceptables qu’elle fait peser chez un agresseur potentiel, notamment grâce à ses deux composantes.
La défense du territoire, c’est aussi la surveillance de nos espaces aériens et maritimes, la police du ciel, l’action de l’État en mer. La lutte contre tous les trafics en mer est un enjeu majeur, notamment outremer.
C’est l’une des missions de notre marine. Je rappelle que la France possède la deuxième zone économique exclusive mondiale.
Dans la bande sahélo-saharienne, l’opération Serval a été un succès. Elle a fait l’admiration de nos alliés. Je peux vous le dire, à chaque fois que je rencontre mes homologues, partout dans le monde, quelle que soit la nation, c’est toujours une vraie admiration pour ce que nos armées ont réalisé.
Aujourd’hui, notre stratégie a évolué avec la régionalisation du dispositif et le renforcement du partenariat avec nos alliés africains. Ce changement d’échelle est porté par la nouvelle opération transfrontalière Barkhane qui s’étend de la Mauritanie au Tchad. Cette mission comporte 2 volets :
- premièrement : appuyer les forces armées de nos partenaires africains de la BSS dans le contrôle de leurs territoires et dans leurs actions de lutte contre les groupes armés terroristes ;
- deuxièmement : réduire la liberté d’action des groupes armés terroristes en faisant peser l’insécurité sur les groupes armés terroristes qui est notre ennemi.
Notre but est maintenant de transférer la sécurisation de la zone aux pays du champ en accompagnant la montée en puissance de leurs capacités. C’est le sens du partenariat élargi que nous avons établi avec la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina-Faso et le Tchad. Ces pays forment le groupe qu’ils ont intitulé le « G5 Sahel » et c’est sûrement la meilleure instance pour faire progresser la sécurité dans la région. J’ai des contacts permanents avec mes homologues de ces 5 pays, j’y ajoute évidemment le Sénégal, ainsi que l’Algérie où j’étais encore avant-hier.
Nous avons aussi adapté notre dispositif avec deux points d’appui principaux, le premier à N’Djamena au Tchad où est situé le PC interarmées de théâtre, le second à GAO au Mali. Nos opérations peuvent compter sur l’implication de certains de nos alliés, notamment américains, espagnols et britanniques.
De ce dispositif dans la BSS, nous sommes au croisement des menaces terroristes d’AQMI et celles de Boko Haram. Nous regardons au Nord en direction de la Libye qui sert de zone de transit et de refuge aux groupes armés terroristes. Nous sommes aussi particulièrement vigilants lorsque nos regards se portent vers le Sud avec la menace en expansion de Boko Haram.
En RCA également, le travail effectué depuis le début de l’opération Sangaris a été aussi remarquable que difficile. Par notre intervention, nous avons évité le pire, c’est-à-dire le massacre interethnique et le désastre humanitaire. Aujourd’hui, grâce à l’action de nos soldats, la situation sécuritaire et économique s’améliore. Les écoles ont rouvert, les marchés sont réapprovisionnés. Je le vérifie à chacun de mes déplacements dans ce pays.
Mais des 3 objectifs principaux restent néanmoins encore à atteindre :
1. la restauration de l’Etat et la mise en place de l’administration ;
2. la réconciliation nationale, et en premier lieu le désarmement ;
3. le déploiement d’une opération de maintien de la paix des Nations Unies
Ces objectifs, principalement les 2 premiers, ne sont pas strictement militaires même si Sangaris y contribue, crée les conditions.
Pour le troisième objectif, nous avançons puisque la MINUSCA a succédé à la MISCA africaine depuis avant-hier, mais elle doit encore poursuivre sa montée en puissance avant de prendre progressivement notre relais pour la sécurité du pays.
La présence de la force européenne EUFOR-RCA, après des débuts difficiles, est positive avec ses 500 soldats déployés dans Bangui et son aéroport.
La situation reste donc encore précaire, et j’ai quand même le sentiment que nous restons encore le principal rempart contre le chaos.
Mme Samba Panza, chef de l’Etat de transition, me l’a encore redit le 26 août dernier à Bangui.
Nos armées sont au rendez-vous en Afrique. Elles le sont lorsqu’il s’agit, dans l’urgence, d’évacuer, à partir de la mer, nos ressortissants de Libye ou encore de localiser et de sécuriser l’épave du vol d’Air Algérie ; deux opérations que nous avons menées fin juillet dernier.
Je pourrais multiplier les exemples, tous montrent que nous avons de belles armées !
Soyez en convaincus, nous pouvons être fiers de nos armées ! Nos armées fournissent au pouvoir politique un outil très efficace, réactif et complet. La description que je viens de vous faire l’atteste. Et si un jour de grisaille vous êtes guettés par la sinistrose parisienne, un jour où les difficultés de la vie quotidienne s’accumulent, rappelez-vous de cette réalité.
J’observe aussi que le « tumulte du monde » s’accélère, comme en témoigne la crise en Ukraine en même temps que la situation en Syrie, en Irak et en Libye. Ces crises nous concernent tous car elles mettent en jeu la sécurité des Français, comme celles des Européens. A nos portes, à l’Est comme au Sud, notre environnement est de plus en plus agité, avec l’émergence de crises majeures et inédites. Si je voulais caricaturer mon propos, je dirais que notre perception du monde a changé entre le 14 juillet et le 15 août.
- A l’Est, on assiste avec la crise en Ukraine à un retour d’une forme de conflits interétatique.
- Au Sud, on voit émerger des guerres hybrides, de grande ampleur, de plus en plus violentes, mais aussi de plus en plus détachées de l’interétatique. Ces conflits, dont les déterminants sont ethniques et religieux, portent l’enjeu majeur du terrorisme et du fondamentalisme. Les djihadistes de l’Etat Islamique au Levant représentent une véritable armée d’hommes expérimentés, bien équipés et disposant de ressources financières très importantes.
J’étais, il y a moins de 15 jours, avec le Président de la République au sommet de l’OTAN, au pays de Galles. Les flancs Est et Sud de l’Europe ont été traités par l’Alliance, non pas en les opposant, mais en soulignant la nécessité de les traiter simultanément. La crise ukrainienne pose néanmoins des questions de fond sur le rôle de l’OTAN, sur la réactivité de ses moyens face aux menaces actuelles, sur ses doctrines et procédures, notamment en période de contraction généralisée des dépenses de défense de ses membres. Pour y faire face, le recours aux organisations et aux coalitions internationales est une réponse à la fois indispensable mais aussi imparfaite, car elle pose aussi des difficultés de coordination, tant politiques que militaires. Il apparaît aussi la nécessité d’un partage du fardeau. La France y a déjà toute sa part avec son action au Sahel qui participe directement à la sécurité de l’Europe.
Enfin, et pour terminer ce tour d’horizon opérationnel, je voudrais revenir au théâtre national. Il faut être particulièrement vigilant car nous devons envisager le pire, lorsque les Français partis combattre dans les rangs des terroristes au Levant reviennent sur notre sol. Ce risque doit être pris très au sérieux. Il doit aussi nous faire prendre conscience du lien très fort qui existe entre la sécurité extérieure et intérieure. C’est une réalité qu’il faut rappeler autour de nous : la défense de la nation ne commence pas à nos frontières immédiates. En intervenant dans la BSS, nous participons directement à la protection de la France et de l’Europe.
L’histoire s’écrit en ce moment. Elle s’écrit devant nous. Nos concitoyens le perçoivent et comptent sur nous pour les protéger. Cette accélération des choses, ces nouvelles conflictualités, évolutives et de plus en plus denses, vont sûrement marquer les mois et les années à venir. Vous devez vous préparer à ce nouveau paysage géostratégique.
Vous devez vous armer intellectuellement et moralement pour y faire face. Cette année est faite pour vous y aider. Dès aujourd’hui, nous devons être en mesure d’apporter les bonnes réponses, à temps. Pour cela, il faut s’adapter, et le faire en regardant loin devant.
Tout cela, il vous faudra le faire - il nous faudra le faire - avec un budget toujours très contraint. Ceci suppose une bonne coordination, une cohérence d’ensemble, et me conduit à ma deuxième partie.
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La transformation des armées.
Pour commencer, je voudrais vous rappeler les finalités de cette transformation car il ne faut pas confondre les objectifs avec les voies et les moyens. En d’autres termes, la réforme n’est pas un but en soi !
Le Livre blanc porte la vision stratégique de la France ; il décrit l’ambition nationale en matière de défense et fixe des contrats opérationnels pour nos armées avec un horizon 2025 pour notre modèle. La loi de programmation militaire en est, quant à elle, la traduction capacitaire et budgétaire sur les 5 ans à venir, de 2014 à 2019. Comme en opération, les armées s’adaptent sans cesse, se réforment, pour concilier leurs missions aux moyens qui leurs sont alloués. Je note d’ailleurs ici un paradoxe : je suis toujours frappé par la perception, chez nos concitoyens, d’un certain immobilisme dans nos armées, alors même qu’aucune autre institution ne s’est autant réformée ces dernières décennies.
Aujourd’hui encore, avec la réduction de notre budget, nous devons nous réorganiser pour maintenir le modèle d’armée complet, réactif et performant : celui dont la France a besoin pour répondre aux enjeux sécuritaires d’aujourd’hui et se préparer à ceux de demain.
Les deux principaux enjeux de cette réforme sont clairs :
1 : la préservation de l’opérationnel, coûte que coûte ;
2 : le maintien de la cohérence capacitaire de notre outil de défense.
La réalité est que nous sommes confrontés à un vrai challenge.
Avec des moyens en constante diminution, tout en menant des opérations exigeantes, il faut garder le cap de la cohérence globale de nos armées. Le mot cohérence est essentiel. L’histoire nous enseigne que l’on perd la guerre souvent à cause d’un grain de sable ! Ce constat impose aussi de faire des choix. Nous ne pouvons plus tout faire !
La LPM actuelle, telle quelle a été bâtie, permet de conserver cette cohérence. Croyez-moi, ce projet a été travaillé dans le moindre détail. C’est le meilleur compromis entre la souveraineté de défense et la réduction du déficit public, mais c’est un costume taillé au plus juste !
Il faut dire les choses, nos marges de manoeuvre sont inexistantes ! Quelle que soit la grille de lecture, la démonstration, par agrégat physico-financier, est limpide.
Prenons d’abord les réductions d’effectifs : l’actuel plan de déflation est particulièrement ambitieux : 34 000 suppressions de postes pour la LPM 2014-2019, dont 1 000 officiers par an. En 10 ans, entre 2009 et 2019, nos effectifs auront diminué d’un quart. En 10 ans, c’est colossal ! Et plus on avance, plus il est difficile d’identifier les postes ! Je rappelle qu’en 2013, le ministère de la défense, à lui seul, a assumé 60% des suppressions d’emploi d’Etat. Notez cela, répétez-le !
On peut difficilement aller plus loin. C’est une question de justice sociale !
Pour le fonctionnement courant, le budget est aussi déjà contraint au-delà du raisonnable, pour permettre de moderniser les équipements a minima. On se trouve à un niveau tel qu’il a fallu, en fin d’année dernière, mettre en oeuvre un plan d’urgence de 30 M€ au bénéfice des bases de défense, pour satisfaire en partie les besoins les plus basiques, tel que le chauffage. Quelles sont les institutions qui coupent le chauffage comme nous avons été amenés à le faire ? Très franchement, il n’y a rien à gagner sur le fonctionnement. La préparation opérationnelle ne peut pas non plus être encore réduite, car c’est elle qui fait le succès de nos forces en opération et nous nous sommes engagés avec le ministre de la défense à préserver le niveau d’activité : c’est le coeur des armées.
Pour les équipements, nous nous situons aussi à un plancher.
L’âge moyen des véhicules de l’avant blindé déployés en RCA est de 31 ans, ceux de métropole ont 40 ans en moyenne. Nos hélicoptères Puma fêtent cette année leur 44ème anniversaire, et nos avions ravitailleurs leur 50ème anniversaire. Qui monterait dans un véhicule de plus de 30 ans, dans un avion ou dans un hélicoptère de plus de 40 ans ?
Quant à l’infrastructure, avec un flux annuel d’environ 1 milliard d’€, nous sommes déjà au plancher des besoins indispensables.
J’alerte régulièrement l’autorité politique sur l’état des lieux que je viens de vous faire. Mon discours n’est pas différent de celui que je viens de vous tenir. C’est pour cela que le respect des engagements de la LPM est un combat que nous menons avec les trois chefs d’état-major d’armées, derrière notre ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, et en collaboration étroite avec le Délégué général pour l’armement et le Secrétaire général pour l’administration.
Le Président de la République l’a dit en juin, il l’a répété le 28 août dernier lors de la conférence des ambassadeurs, les crédits de la LPM seront maintenus. Le premier assaut des financiers a donc été repoussé mais l’équilibre reste précaire car toute encoche budgétaire à la LPM aurait des effets directs et immédiats. Elle impliquerait ni plus, ni moins, de construire un nouveau projet et d’en assumer toutes les conséquences dans les domaines opérationnel, capacitaire, économique et social.
C’est sur la stricte base de la LPM que la transformation a été construite. Elle fait l’objet d’un projet, baptisé CAP2020 qui, pour la première fois, réunis l’ensemble des projets des 3 armées et aussi des 6 directions et services. Ce projet est donc un projet commun, un projet partagé. La vision qu’il porte vise en particulier à assurer la cohérence opérationnelle des armées, directions et services. Il s’articule autour de trois principes :
1. optimiser notre capacité opérationnelle, notamment au travers de la priorisation de l’activité et de la modernisation de nos équipements ;
2. valoriser les hommes et les femmes des armées, notamment en rénovant le modèle RH et avec une meilleure adéquation entre le grade, les responsabilités et la rémunération ;
3. affûter notre organisation générale, notamment avec le renforcement de la performance des soutiens et la rénovation du commandement des armées.
Ce projet met en cohérence les missions qui nous sont fixées et les ressources qui nous sont allouées, tout en subordonnant les secondes aux premières. Il offre surtout une nouvelle perspective qui est la condition nécessaire pour que les hommes et les femmes des armées acceptent le principe de nouveaux efforts, sans équivalent.
Le projet CAP2020 donne la direction. Ce projet est cohérent, il est partagé et se décline dans un ordre aux armées, directions et services. La feuille de route est donc claire. Sa réussite repose sur 2 conditions principales :
- 1ère condition : la mise en place des ressources financières, en volume et en cadencement, conformément à la LPM. Pour cela, il reste 3 interrogations majeures exogènes dont je vous livre les données d’entrée :
o 1 - le financement des surcoûts OPEX : la provision actuelle OPEX est de 450M€ pour 2014. Je rappelle qu’en 2013, le montant des surcoûts a été de 1250 M€ ;
o 2 - l’allocation de ressources exceptionnelles : le montant de ces ressources structure le budget et elles ne sont pas, à ce stade, toutes identifiées. C’est le cas pour 2015 à hauteur de plus de 2 milliards d’€. Il y aussi les hypothèses d’export qui sont particulièrement optimistes ! ;
o 3 - la rationalisation des emprises. Réduire les coûts n’est possible qu’en fermant encore des sites, en ayant une vision la plus large possible pour éviter l’inquiétude, l’interrogation dans les forces.
- 2ème condition : l’adhésion du personnel. Dans ce contexte difficile, et c’est bien compréhensible, le moral de nos soldats, marins et aviateurs est changeant et parfois fragile. Il est à surveiller. C’est une préoccupation majeure : dans notre organisation avant tout humaine, le succès repose d’abord sur la cohésion et les forces morales. C’est elles qui nous permettront de franchir l’obstacle et d’être au rendez-vous des combats de demain. C’est pour cela qu’il est important que la vision et la méthode de la réforme soient partagées. Il faut que les efforts se placent dans une réelle perspective d’amélioration en matière de condition du personnel, en matière de condition de travail. Ne vous y trompez pas, nos soldats râlent … parce qu’ils veulent faire leur métier !
Il ne faut pas se cacher que, toute économie supplémentaire demanderait d’autres efforts et induirait un risque non maîtrisé d’aller au-delà du seuil de l’acceptabilité sociale.
Sur ce plan, ne tombez pas, vous nous plus, dans la sinistrose parisienne. N’oubliez pas cette belle phrase « si tu t’assieds, ils se couchent ». Quoi qu’il en soit, cette réforme, il faudra la porter et cela m’amène à ma troisième partie : ce que j’attends de vous, officiers brevetés : soyez des chefs dans le sens plein du terme ! Oui, des chefs !
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J’attends de vous que vous soyez sûrs de vos valeurs et vous fassiez preuve de courage et d’enthousiasme. Ce n’est pas un discours convenu, c’est ce que j’ai dans mes tripes. Je crois en effet qu’il y a peut-être beaucoup de gens intelligents, mais qu’il n’y a pas assez de chefs charismatiques !
Ayez d’abord du courage. C’est la qualité première de l’officier, c’est la colonne vertébrale des futurs véritables hauts potentiels.
Le courage, c’est celui de commander, c'est-à-dire de réfléchir, de décider, d’expliquer, de fédérer et enfin d’assumer ses responsabilités. C’est distinguer l’essentiel de l’accessoire et s’y concentrer. Demain, il vous faudra prendre des décisions, ou aider à prendre des décisions. Trop souvent, on gère les problèmes. Ils ne doivent pas être « gérés », ils doivent être résolus ! « Ne me dites pas que c’est impossible ! » disait le maréchal Leclerc.
Le courage c’est aussi savoir se remettre en question. Être breveté de l’école de guerre n’est pas une fin en soi. Vous le savez, la courbe de Gauss est la même partout, même chez les brevetés de l’école de guerre ! Continuez donc à progresser, à sortir des chemins battus, des idées toutes faites. Refusez l’objection du « cela s’est toujours fait comme ça » ! Dans un an, certains d’entre vous me brieferont directement ; ils me présenteront des options, me proposeront des décisions pour l’avenir de nos armées ou pour les opérations en cours. D’autres commanderont en opération et engageront la vie de leurs subordonnés. Vous n’avez pas droit à la médiocrité ! Je vous invite donc à rentabiliser pleinement cette année. Travaillez pour vous et par vous-même, pour ne pas être demain désarmé lorsqu’il s’agira de prendre position et de défendre votre point de vue.
Profitez de cette année pour vous « recaler » sur ce qui vous manque ; chacun a ses lacunes. Allez au fond des choses ; revenez aux textes qui fondent nos institutions et notre Etat, qui forgent notre place en leurs seins. Méditez l’histoire, car elle constitue un immense capital d’expérience. Consolidez votre pensée stratégique.
Réfléchissez sur les valeurs militaires. Interrogez-vous sur le sens de notre métier et de l’action militaire ; sur ce qui constitue la spécificité militaire ; sur les fondements de la légitimité de l’usage de la force. Je crois que l’identité militaire est le capital de l’institution militaire. Refusez la banalisation du métier militaire.
C’est le socle de nos valeurs permanentes qui font la solidité de nos armées ; ce sont le courage, le sens du bien commun, la cohésion ou encore la fraternité d’armes. Ce sont des valeurs que la société civiles nous reconnaît. En retour, parce que vous en faites aussi pleinement partie, vous devez confrontez ces valeurs à celles de la société actuelle, non pas par critique ou sentiment de supériorité, mais pour en comprendre les ressorts sociologiques comme les rouages psychologiques. Résister à l’arrogance et aux certitudes toutes faites.
Avoir des convictions et s’y tenir, c’est la dimension humaine de l’exercice du commandement.
Cet aspect est essentiel car ce sont les femmes et les hommes des armées qui sont au coeur des adaptations à venir. L’adhésion de tous est la condition du succès. Elle n’est possible que par la cohésion, l’esprit de corps, l’esprit d’équipage. Cette cohésion des armées s’ancre dans des relations de confiance, loyales et franches.
Elle n’est possible que lorsqu’on reconnaît en vous des qualités de coeur. Soyez vous-même, soyez de vrais chefs, des chefs vrais.
Forgez-vous un style, votre propre style de commandement. « Le style, c’est l’homme même » disait Buffon. Intéressez-vous aux autres. Aimez vos subordonnés. Ils vous le rendront.
Dans un monde changeant, qui doute souvent de ses valeurs et de son avenir, je vous demande enfin d’être enthousiastes. Des chefs tristes sont des tristes chefs.
« Aimez le métier militaire à la passion » selon la belle formule du Prince de Ligne. Je ne vous demande pas de faire preuve d’un enthousiasme de façade, mais bien d’un enthousiasme de conviction.
Il doit trouver son expression à l’intérieur comme à l’extérieur de nos armées.
En interne, être enthousiaste, c’est être combatif face à l’adversité. Au travers des difficultés que vous aurez peut-être à affronter, n’oubliez pas que vous travaillez pour ceux qui sont confrontés à la réalité du terrain. Faites preuve d’imagination, d’esprit d’innovation, mais aussi de pragmatisme. Je compte donc sur vous, non pas pour être de bons élèves, sages, méticuleux et bien lisses, mais pour être des officiers de caractère, déliés, incisifs, sans complexe, iconoclastes au besoin. Cela dans la perspective de pouvoir aider aux décisions et aux choix à venir, dans le contexte si délicat que je vous ai décrit.
A l’extérieur de nos armées, être enthousiaste, c’est rayonner en direction du monde civil et de nos concitoyens. Dans vos nouvelles affectations, vous aurez l’occasion de côtoyer et de travailler avec d’autres décideurs que les seuls chefs militaires. Je vous demande d’être, auprès d’eux, des ambassadeurs des armées.
La génération montante civile n’a connu ni la guerre ni la conscription. Ne rêvons pas, si nous ne témoignons pas, si nous n’expliquons pas ce que nous faisons et comment nous le faisons, personne ne le fera à notre place. Il faut donc se faire connaître et se faire comprendre. L’esprit de défense se construit avec nos concitoyens et non à côté.
Sans complexe, avec détermination et enthousiasme, je vous invite donc à vous tourner vers l’extérieur et à rayonner. L’enjeu de cette action, fondamentale ne vous y trompez pas, est le rôle des armées et notre place au sein de la Nation.
Enfin, j’attends aussi de vous que vous soyez unis, car la cohésion du combat se prépare et se prolonge dès le temps de paix, dans les états-majors.
C’est pour cela que l’École de guerre est une école de l’interarmées. Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas que chacun renie sa culture d’armée, mais les conflits entre armées sont incompréhensibles par le monde extérieur et surtout être divisés nous affaiblit. Nos détracteurs le savent, s’en réjouissent et en profitent.
Un chef sans véritable esprit d’équipe n’est pas un véritable chef !
Soyez des fédérateurs, non des diviseurs. Les grands chefs militaires comme Leclerc et de Lattre l’ont été, au serment de Koufra ou par l’amalgame.
La cohésion des combats de demain se prépare dès aujourd’hui, dans la confiance et l’amitié que vous pourrez tisser cette année. Au Sahel, en RCA, au Liban et ailleurs, partout où le Président de la République le décidera, nos 3 armées, directions et services, sont et seront engagées au coude à coude dans les mêmes combats.
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Voilà de manière synthétique ce que je voulais vous dire sur les opérations, la transformation et sur ce que j’attends de vous.
En qualité d’officiers brevetés, préparez-vous cette année à être les chefs dont nos armées ont besoin pour relever les défis qui sont devant elles, quelles que soient les difficultés. Nous sommes formés pour être des professionnels de la crise et du chaos.
Je m’aperçois en terminant que j’ai peut-être oublié un point essentiel dans le métier d’officier, que ce soit en opérations, pour la conduite du changement ou pour le commandement : l’humour, cet anti-virus de la vanité ou de l’orgueil, cette distance que vous créez avec la réalité de la vie et qui relativise votre importance. Vous allez être brevetés de l’Ecole de guerre : ne vous prenez pas au sérieux. « Vous êtes commandez par des cons », patience votre tour viendra ! Souriez, riez : c’est indispensable à la santé et souhaitable dans la difficulté.
La période que vous allez vivre ne sera pas facile mais elle sera passionnante car justement tout change, tout bouge et qu’il s’agit de bâtir l’avenir et de trouver des solutions nouvelles, novatrices. Notre force est de rester unis et à la manoeuvre dans ces situations. Je compte sur vous, aujourd’hui et demain, pour le succès des armes de la France !
Je vous remercie !