14/09/2012 Mer et Marine
Le discours a marqué les esprits, et c’était sans doute voulu. Lundi soir, à Brest, Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, a souligné avec force l’importance des enjeux maritimes à l’occasion des Universités d’été de la Défense. « Le XXIème siècle sera celui de la maritimité au niveau mondial. La mer est une source de richesses, celles liées au commerce international et aux ressources marines. Il nous faut donc protéger cet espace et assurer la liberté des mers pour être au rendez-vous du XXIème siècle », a déclaré le ministre, selon lequel le « 6ème continent », comme on l’appelle, « se porte bien et se portera de mieux en mieux ». Alors que la crise plombe l’économie, que le chômage augmente et que l’industrie cherche de nouveaux débouchés, Jean-Yves Le Drian a rappelé qu’il faisait partie de ceux qui estiment, études et chiffres à l’appui, que la mer est porteuse d’avenir et source de nombreuses richesses pétrolières, gazières, minérales et halieutiques. Et la France, avec sa zone économique exclusive de 11 millions de km², soit le second espace maritime mondial, ainsi que ses industries spécialisées, dispose d’atouts considérables dans ces domaines. Et, comme les autres pays du monde (90% du commerce international passe par la mer), elle demeure totalement dépendante de la libre circulation des flux maritimes, qu’il faut protéger contre des menaces de plus en plus nombreuses. Or, comme l’a rappelé Jean-Yves Le Drian, « Pour assurer cette liberté en mer, il faut une présence forte contre le contre le crime organisé et les trafics, mais aussi assurer la protection des ressources, qu’elles soient halieutiques ou minérales. Car il va y avoir une compétition pour l’accès aux ressources (…) Il importe que nous ayons un outil de défense, notamment maritime, un outil de présence, de cohérence et de force ». Et le ministre d’annoncer les deux piliers de ce qu’il nomme « la stratégie maritime de défense » : « La mer, c’est un espace de manœuvre logistique à protéger et un espace stratégique à exploiter ».
« Sans enjeux maritimes, nous seront en dehors des grands enjeux »
Ce regain d’intérêt pour le milieu maritime et les richesses qu’il recèle est d’ailleurs palpable, depuis plusieurs années, dans de nombreuses régions du monde. Car la mer est économiquement le bras armé de la mondialisation, qui rend tous les pays dépendants du trafic maritime pour leur commerce et leurs approvisionnements, mais aussi militairement un espace idéal puisqu’il permet de projeter de forces partout dans le monde en profitant de la liberté des eaux internationales. Enfin, au moment où les ressources naturelles terrestres se raréfient, le potentiel de richesses encore inexploitées dans les territoires maritimes font l’objet de convoitises et provoque déjà des conflits territoriaux entre pays, par exemple en Asie. En juin dernier, lorsqu’il s’est rendu à Singapour dans le cadre du 11ème Dialogue de Shangri-La sur la sécurité dans la zone Asie-Pacifique (dont la France est un Etat riverain avec la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie), Jean-Yves Le Drian dit avoir été « frappé par l’essor du fait maritime ». Et le ministre d’en conclure que, « sans enjeux maritimes, désormais on est en dehors des grands enjeux » avant de citer Richelieu : « On ne peut sans puissance sur mer ni avoir la paix, ni gagner la guerre » et d’estimer que « c’est encore vrai aujourd’hui ».
Une prise de position en plein travaux sur le Livre Blanc
Très appuyé, ce discours du ministre de la Défense a, évidemment, très agréablement surpris les marins, parfaitement conscients de ces problématiques, qu’ils ne cessent depuis des années, comme tous les acteurs civils du secteur maritime, de vouloir faire comprendre à des décideurs politiques qui, jusqu’ici, étaient ignorants de ces réalités. Avec le nouveau gouvernement, la donne a changé. Avec les Bretons Jean-Yves Le Drian comme ministre de la Défense et Patricia Adam, désormais présidente de la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale, ces enjeux sont parfaitement connus et seront mieux pris en compte par le nouveau Livre Blanc de la Défense, comme ces deux élus le demandent avec insistance depuis longtemps. Et on rappellera que même le président de la République, lors de ses déplacements sur le littoral, s’est montré très intéressé par la chose maritime et le potentiel de richesses lié aux activités marines. Evidemment, même si le discours de Jean-Yves Le Drian a suscité sur les visages des généraux de l’armée de Terre et de l’armée de l’Air présents dans la salle quelques crispations, la Marine nationale ne va pas, d’un coup, se retrouver avec 5 porte-avions, 60 frégates et 25 sous-marins. Fins connaisseurs de la chose militaire dans son ensemble, Jean-Yves Le Drian et Patricia Adam sont bien conscients de la nécessité de conserver des forces aériennes et terrestres puissantes et modernes. Mais il est vrai que, compte tenu des difficultés budgétaires du moment, en cas d’arbitrages, les moyens de la marine ne seront peut-être pas aussi systématiquement sacrifiés qu’auparavant. Néanmoins, seules les conclusions du Livre Blanc et la future loi de programmation militaire qui en découlera le diront.
Le Cluster Maritime appelle à faire « un choix clair »
Au sein des acteurs du monde maritime, le discours de Jean-Yves Le Drian n’est, en tous cas, pas passé inaperçu. Alors que Patrick Boissier, président de DCNS, martèle que les sommes consenties dans l’équipement des forces « ne sont pas des dépenses mais des investissements rentables pour l’avenir », Francis Vallat, président du Cluster Maritime Français, salue l’analyse du ministre : « La mer sera bien la priorité de ce siècle. Nous sommes bien placés pour le savoir puisque notre secteur est au cœur du commerce international, dans un environnement extrêmement concurrentiel, avec des flux énormes et qui continueront de croître de manière exponentielle sur la mer. Or, ces flux passent partout dans le monde, près des côtes, ce qui fera de la piraterie un problème probablement endémique du XXIème siècle. Il y aura donc une nécessité de plus en plus grande de protéger les routes maritimes, avec des navires militaires simples mais nombreux. Mais cela n’empêche qu’il faudra aussi conserver des bâtiments plus sophistiqués - même si ce n’est pas de notre compétence de dire lesquels - pour les conflits de haute intensité car il serait hélas bien naïf de croire que le XXI° siècle sera le premier de l’histoire moderne sans guerre ou crise majeures, ou qu’il n’y aura plus de combats en mer pour la maîtrise des échanges maritimes, ou dont les océans ne seront pas eux-mêmes les enjeux. Ca n’est d’ailleurs sûrement pas un hasard si partout on voit l’émergence de nouvelles puissances navales, comme la Chine, le Brésil et l’Inde. Alors que l’Europe baisse la garde, les Etats-Unis font tout ce qu’ils peuvent pour augmenter les capacités opérationnelle de l’US Navy, tandis que la Russie s’engage dans un énorme programme naval pour la décennie ».
Alors que des choix devront évidemment être faits en raison du manque de moyens financiers, le CMF appelle donc l’Etat, compte tenu des enjeux stratégiques à la fois majeurs et incontournables liés à la mer, à ne pas sabrer les moyens maritimes, et même plutôt à les renforcer. « Comme la France n’a plus assez d’argent, il faut faire des choix clairs, fixer un cap, sinon tout le monde sera mécontent et aura raison de l’être. Il nous faut une vision, un choix politique pour l’avenir, et à nos yeux c’est vrai que ce choix doit être d’abord maritime. Nous le disons en toute honnêteté et parce nos métiers et notre expérience à l’international nous donnent une légitimité pour faire partager notre analyse et nous imposent le devoir de participer à la définition des enjeux. La vérité, c’est bien la maritimisation du monde et si c’était un autre secteur, nous n’aurions aucun mal à le dire. Pour nous, le choix de la mer est une évidence, parce que c’est une décision nécessaire et que, quelque douloureux que ce soit, cela va dans le sens de l’histoire et des intérêts stratégiques et économiques du pays ».