05/04/2013 Michel Cabirol – LaTribune.fr
La Corée du Nord s'est déclarée vendredi incapable de garantir la sécurité des ambassades à partir du 10 avril en cas de conflit et a proposé à la Russie, à la Grande-Bretagne et à d'autres pays présents dans le pays d'"envisager" l'évacuation de leurs ambassades. Mais Pyongyang a-t-elle les moyens militaires des menaces qu'elle profère?
Que valent les menaces venues d'un pays aussi secret et provocateur que la Corée du Nord ? Elles sont à prendre au sérieux, très au sérieux, à l'instar des Etats-Unis qui déploient actuellement toute une panoplie de missiles antimissiles pour protéger ses "boys" stationnés en Corée du sud, au Japon, à Guam ainsi que Hawaï. Car l'arsenal balistique nord-coréen, même rustique, est loin d'être inoffensif. Et ce d'autant que le régime nord-coréen, qui consacrerait plus de 30 % de ses ressources à sa défense, a bénéficié d'importants transferts technologiques ces dernières années.
"Le transfert technologique de systèmes à propulsion liquide plus avancés que les Scud semble avoir permis à la Corée du Nord de faire évoluer certains de ses programmes", estimait ainsi en 2010 Stéphane Delory, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Ainsi, l'acquisition (supposée) de SS-N-64 et de ses propulseurs auprès d'industriels russes permettrait à Pyongyang de disposer de systèmes moyenne portée plus évolués (No Dong-B ou Musadan) et pourrait l'aider à accroître la portée et la puissance de ses vecteurs moyenne/longue portée de manière significative".
Des technologies russes, chinoises et pakistanaises
Grâce à des technologies chinoises et russes essentiellement, mais aussi pakistanaises, Pyongyang est donc parvenu au fil du temps à développer toute une série de vecteurs opérationnels de type No Dong 1 et 2 à propulsion liquide - un Scud agrandi, selon les experts -, qui ont respectivement une portée de 1.300 kilomètres et de 1.500 kilomètres, ainsi qu'une nouvelle génération, le Musadan (propulsion liquide), qui aurait une portée de 3.200 kilomètres. Auparavant, les Nord-Coréens avaient également développé trois versions du missile Scud (B/C/D) ou Hwasong, ayant une portée de 300, 500 et 700 kilomètres.
Enfin, Pyongyang a complété son arsenal en développant une gamme de missiles de moyenne portée Taepo Dong 1 (2.000 à 2.500 kilomètres) sur des pas de tirs fixes et probablement un système de nouvelle génération, le Taepo Dong 2 (3.200 à 3.850 kilomètres de portée). Cette version disposerait d'une propulsion solide. D'ailleurs, la Corée du Nord a transporté un deuxième missile Musadan de moyenne portée sur sa côte orientale et l'a hissé sur un lance-missiles mobile, selon l'agence sud-coréenne Yonhap, alimentant les craintes d'un tir imminent qui aggraverait une situation déjà explosive. "Il a été confirmé que la Corée du Nord a transporté par train, en début de semaine, deux missiles Musudan de moyenne portée, vers la côte est et les a installés sur des véhicules équipés d'un dispositif de lancement", a déclaré un haut responsable du gouvernement à Séoul cité vendredi par l'agence.
"Selon les données disponibles, l'Armée Populaire de Corée possède une trentaine de lanceurs et plusieurs centaines de missiles balistiques de type SCUD-B, SCUD-C et No Dong, organisés au sein de 1 à 2 régiments déployés à proximité de la frontière", estimaient en 2011 Valérie Niquet et Bruno Gruselle, maîtres de recherche à la FRS dans une étude "Défense antimissile au Japon, en Corée du Sud et en Inde". Mais, Pyongyang ne devrait détenir que quelques exemplaires des engins de plus longue portée déployés au nord-est du pays dans des configurations fixes.
Deux lancements en une journée
A l'horizon 2015, la Corée du Nord pourrait disposer de deux régiments de missiles de type No Dong, c'est-à-dire d'une dizaine de lanceurs mobiles et de quelques centaines de missiles. Pour autant, "vu les temps de rechargement et de préparation imposés par le système No Dong, et en présumant que ses lanceurs mobiles subissent un taux d'attrition nul, on peut supposer que la Corée du Nord serait tout au plus capable de procéder à deux lancements pendant une journée et à une vingtaine de lancements avant d'épuiser son stock de missiles", nuançaient-ils.
Plus d'un millier de missiles balistiques
En dépit de systèmes peu performants, un tel arsenal - plus d'un millier de missiles balistiques - suscite des inquiétudes légitimes dans la région, notamment en Corée du Sud et au Japon, soucieux de dimensionner leur capacité antimissile avec l'aide des Etats-Unis, selon la nature et la taille de l'arsenal nord-coréen. Par exemple, avec deux destroyers en permanence à la mer, et la possibilité d'en déployer un troisième le cas échéant, "Tokyo doit être capable d'engager simultanément une salve de No Dong (10-15 missiles selon le nombre de lanceurs) à condition de disposer en temps quasi-réel des données d'alerte" estimaient Valérie Niquet et Bruno Gruselle. Et de souligner que "dans un tel scénario, les capacités navales (au moins 400 intercepteurs SM-3) et terrestres (le même nombre d'intercepteurs PAC-3) japonaises sont a priori suffisantes pour permettre d'utiliser des stratégies d'engagement multiples.
La présence de moyens américains supplémentaires - notamment des croiseurs de type AEGIS - renforcerait la couverture antimissile du pays et sa capacité à répondre dans la durée à des tirs nord-coréens visant le territoire ou les forces américaines. Il convient toutefois de souligner que les engins balistiques ciblant des zones non protégées par les moyens terrestres ne seraient engagés que par les capacités navales japonaises".
Le ministère de la Défense sud-coréen considère pour sa part que les capacités balistiques nord-coréennes s'insèrent de façon générale dans l'arsenal de moyens asymétriques que les forces de Pyongyang utiliseraient dans une stratégie de blitzkrieg pour conquérir rapidement Séoul et ses environs dans le cadre d'une attaque surprise. Dans le cas d'un tel conflit au sein de la péninsule, "Pyongyang pourrait choisir de tirer simultanément quelques dizaines de missiles sur Séoul ainsi que sur la zone aéroportuaire d'Incheon et les bases américaines du nord du pays. De telles frappes pourraient être accompagnées d'un barrage d'artillerie et par un bombardement aérien destiné à créer un effet de panique à Séoul et dans ses environs, qui regroupent plus de 25 % de la population du pays", soulignaient Valérie Niquet et Bruno Gruselle.
Une bombe atomique ?
Outre les capacités balistiques, la menace des armes de destruction massive (de 2.500 à 5.000 tonnes d'armes chimiques) doit être également prise en compte ainsi que bien entendu le renforcement des capacités en matière nucléaire. La Corée du Nord tenterait de maîtriser la technologie nucléaire sur ses missiles balistiques. D'où sa volonté de procéder à tout prix en février dernier d'un troisième essai nucléaire avec un engin miniaturisé. Un essai réussi, selon Pyongyang. En outre, la Corée du Nord détiendrait de nouvelles capacités en matière de retraitement de l'uranium qui lui permettraient de produire aujourd'hui 40 kg d'uranium hautement enrichi. En 2011, elle disposait également d'une réserve de 28 à 49 kg de plutonium quatre fois supérieure à celle dont elle avait en 2003
Enfin, le tir en décembre dernier de la fusée Unha-3, qui a mis sur orbite un satellite civil - une mission purement scientifique, selon Pyongyang - équivaut à un essai de missile balistique doté d'une charge d'une demi-tonne et d'une portée de quelque 10.000 km, avait affirmé alors l'armée sud-coréenne. "Sur la base de nos analyses et d'un processus de simulation, le missile est capable de voler plus de 10.000 km, avec une charge comprise entre 500 et 600 kg", avait précisé un porte-parole du ministère de la Défense. Le réservoir était fixé sur le premier étage de la fusée. En l'absence de débris des 2e et 3e étages d'Unha-3, les scientifiques sud-coréens n'ont pas pu déterminer si la fusée était capable de réentrer dans l'atmosphère, un élément clé de la technologie des missiles balistiques intercontinentaux. Mais pour les Etats-Unis, le lancement de la fusée nord-coréenne est un nouvel essai de missile balistique à longue portée.