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nov 4, 2012 Nicolas Gros-Verheyde (BRUXELLES2)
Le général français Patrick de Rousiers est de retour sur Bruxelles où il prend la tête du Comité militaire de l’UE succédant au général suédois Syren. Il a bien voulu expliquer à B2, comment il voyait son rôle, les différents enjeux et opportunités …(NB : article paru en primeur pour les abonnés du Club de B2)
Bruxelles pour vous en un mot… ?
C’est captivant. Ce n’est pas un terrain totalement inconnu pour moi. Mais les choses ont évolué. Et le poste est différent de la position où j’étais (représentant militaire permanent de la France).
Vous n’êtes pas chef d’Etat-Major et vous cependant président du comité militaire qui regroupe les CHOD. A quoi tient cette prouesse ?
Je ne suis pas le chef d’État major des chefs d’Etat major. Il n’y a pas d’armée européenne. Je suis leur porte parole. Mon parcours varié, tant opératif que stratégique dans différents conflits (Irak, Moyen-Orient, Afghanistan …) dans un cadre interarmées, était de nature à convaincre. De même que le parcours capacitaire, sur le travaux sur les défis et menaces, à l’Etat-Major des Armées et à l’Etat-Major de l’armée de l’air. Enfin ma connaissance du cadre institutionnel européen, mon approche du sujet ont servi.
Comment définiriez-vous votre tâche ?
J’ai trois casquettes. Tout d’abord je suis ce porte-parole des Chef d’Etat-Major. Je dois être aussi le bâtisseur de consensus à 27, c’est-à-dire notamment mettre les acteurs (CEMA ou Représentant permanent) en accord sur des thématiques et pousser à un consensus. Enfin être le conseiller militaire de la Haute représentante et du board du service diplomatique européen.
Quelle est l’évolution la plus nette que vous sentez au niveau de l’Union européenne?
Incontestablement, c’est le travail en commun de l’ensemble des acteurs, Van Rompuy, Barroso, Me Ashton, tous les trois font la promotion d’un sommet consacré à la défense fin 2013. On voit bien qu’il y a une approche moins décloisonnée, une maturité progressive acquise par l’UE qui, sans crainte, aborde tous les sujets. Cela se traduit sur le terrain. Par exemple sur la Corne de l’Afrique, on a stabilisé sur le plan militaire la situation ce qui permet ensuite le déploiement d’autres outils permettant de réduire à la piraterie.
L’attribution du prix Nobel … ?
C’est à la fois le fruit d’un bilan historique mais aussi un rappel. Un rappel que malgré les périodes de tension, les recentrages nationalistes de tel ou tel État, collectivement on reste solidaire les uns des autres. C’est un bulletin d’encouragement.
Les lignes bougent
L’Europe de la défense, n’est-ce pas une illusion, une arlésienne… ?
Non. Ni l’un ni l’autre. Il y a des réalisations, concrètes, mais toujours à la hauteur de la volonté des États. Si les États sentent qu’il est nécessaire de s’engager dans une zone, notamment militaire, l’Europe y va — c’est ce qui est en train de se décider dans la région du Sahel —. Les choses évoluent. Mais l’Europe n’a pas l’intention d’être gendarme du monde. C’est logique que ça ne fonctionne que lorsque les 27 de façon conjointe veulent faire des choses. Mais les lignes bougent…
C’est la même chose dans le capacitaire… ?
Oui Mais il va falloir maintenant concrétiser. C’est le grand enjeu dans les mois et années à venir. Notre environnement géostratégique évolue. Il est naturel qu’on se dote de capacités militaires, dès lors que politiquement entre Européens on voudra le faire, que ce soit en interne (catastrophes…) ou dans notre voisinage proche ou plus loin, car il y a de nos intérêts et convictions. On a un devoir vis-à-vis de l’avenir.
Ce développement capacitaire, où peut-il se produire ?
On ne va pas du tout développer des capacités communes collectives pour l’ensemble des États européens. Je ne suis pas persuadé, je ne suis pas certain qu’on en ait la capacité financière ni d’ailleurs la volonté politique. Il faut créer de l’interdépendance entre Européens, dans l’acquisition des équipements mais aussi sur la durée de vie du matériel, dans tous ses aspects. Le pooling and sharing, ce n’est pas seulement acheter du matériel du même modèle. C’est avec des matériels de même groupe, savoir opérer ensemble, développer les mêmes doctrines, les mêmes normes d’emploi, mêmes flux logistiques. Avec cela, on crée deux choses vertueuses : interdépendance d’entre nous et une économie d’entre eux.
Mais l’interdépendance, n’est-ce pas un danger ?
Certains pays peuvent le craindre, dont celui dont je viens (NB : la France). Mais pour d’autres pays, ils sont nés avec, en quelque sorte. Ils y sont tout le temps. Malgré tout, ils ont une volonté de s’engager, de peser dans les décisions. Et ils disposent de capacités militaires, mais savent déjà (PECO, Benelux, nordiques, …). C’est à chacun des pays de prendre sa ligne. Il faut oser l’Europe. Osons l’Europe. Coût et vertu sur le long terme. On ne peut s’en passer. Oser l’Europe en période de crise c’est difficile. Mais c’est justement parce qu’il y a crise, qu’il faut oser, créer une dynamique.
Vous êtes un Français qui est à la tête du comité militaire ?
Non c’est un Européen qui a été nourri par son expérience professionnelle – la France étant un des acteurs fondateurs de l’Europe – c’est bien sur la foi de mon impartialité que les CEMA m’ont élu à ce poste. (3 ans de mandat). Je quitte mon drapeau et la Marseillaise pour l’hymne à la Joie.
Je vous laisse. Quel dossier prioritaire maintenant ?
Le Mali, le Conseil européen 2013, les Balkans (qu’il ne faut pas oublier)… Rassurez-vous j’ai de quoi m’occuper. J’ai une bonne pile de dossiers sur mon bureau…