Cet article est le second article consacré à la réforme du système américain de contrôle des exportations de matériels de défense. Le premier article est consacré à la réforme en elle-même. Cet article se penche sur les conséquences que l’industrie européenne se doit tirer de cette réforme. Le cas particulier des satellites est enfin examiné dans un dernier article.
Menace ou opportunité ?
Beaucoup a été accompli durant 3 ans, sûrement plus qu’en près de 30 ans d’existence de ces lois. Un effort de transparence et un souci de l’utilisateur industriel de ces lois doivent être mis au crédit de l’administration et du gouvernement américains.
Le contrôle impacte l’exportateur américain, mais également le client étranger, industriel ou étatique, souhaitant acheter des biens américains, ou tout éventuel partenaire de collaboration ; il est donc important pour les industriels nationaux impliqués dans des relations commerciales ou de collaboration avec les États-Unis de suivre de près les évolutions du système.
Il ne faut pas s’y tromper, la réforme est un outil de sécurité nationale, mais aussi de guerre économique : en remontant les murs autour des technologies sensibles, il protège les États-Unis de leur prolifération et contribue à éviter de les retrouver un jour contre eux sur un théâtre d’opérations.
En abaissant ces mêmes murs autour de technologies commerciales, elle permet de redynamiser l’économie américaine et lui permet d’exporter plus largement ces technologies ; elle vient donc ainsi concurrencer l’industrie étrangère, européenne en particulier, voire contrer les efforts qu’elle avait consentis pour pallier l’ITAR et développer les technologies lui permettant d’exporter vers des directions bannies par les États-Unis (par exemple les satellites ITAR-free vers la Chine).
Une étude évaluait les retombées économiques de la réforme à 63 Md$ et 340 000 emplois, dont 160 000 dans le domaine manufacturier, grâce aux parts export capturées par l’industrie américaine (donc perdu pour les Européens en particulier). Ces résultats donnent une idée du tsunami auquel il faut s’attendre.
Un des travers du système de contrôle américain, bien connus et subis à l’étranger, est le caractère extraterritorial voulu par ces lois ; ceci concerne les transferts internes au sein d’un pays tiers, la réexportation, les produits manufacturés à l’étranger avec contenu américain, les activités de courtage. Même quand cette extraterritorialité ne s’applique pas, le pouvoir de rétorsion du gouvernement américain reste suffisamment dissuasif pour chercher à rester en accord.
La réforme ne change rien en ce qui concerne cette volonté des Américains de contrôler en dehors de leurs frontières pour que des pays ou groupes hostiles ne mettent la main sur leurs technologies les plus sensibles. Les programmes internes de conformité (compliance) se doivent donc de rester attentifs vis-à-vis des évolutions du système afin de rester conforme, en particulier en anticipation d’éventuels contrôles exercés et d’investigations conduites par le gouvernement américain (Golden Sentry pour le Département du Commerce et Blue Lantern pour le Département d’État).
La réforme simplifiera et facilitera indéniablement le transfert de technologies ; à ce titre l’exemption Strategic Trade Authorization représente une avancée car, en donnant la possibilité d’exporter plus librement vers les pays alliés, elle permettra d’accroître les échanges transatlantiques. Par les transferts de l’USML vers la CCL, la réforme ouvre également des opportunités à laquelle notre industrie nationale doit se préparer : produits contrôlés de manière plus souple, accès à de nouveaux couples technologie/pays jusqu’à présent hors limite.
Cependant, malgré les clarifications engagées, un certain flou et une dose d’arbitraire seront toujours entretenus afin de mieux contrôler les technologies les plus sensibles au gré des intérêts économiques ou politico-diplomatiques des États-Unis.
La libéralisation de l’export d’articles précédemment classés ITAR devrait rendre plus faciles l’intégration et l’assemblage hors des États-Unis d’équipements et matériels contenant ces articles. En ce sens, la réforme pourra donc profiter aux industriels intégrateurs, européens en particulier, disposant de fortes capacités d’ingénierie, qui développeront des produits nouveaux intégrant les technologies US ou qui sauront profiter de la concurrence apportée par ces articles désormais libéralisés.
L'assouplissement de l’ITAR entraînera un assouplissement dans l’obtention des autorisations pour engager des coopérations (Technical Agreement), ce qui devrait permettre de faciliter la collaboration industrielle transatlantique. Les Américains sont pragmatiques et friands de technologies innovantes : à nos industriels qui en disposent de profiter de la réforme pour engager à nouveau le dialogue avec leurs homologues américains, en évitant naturellement de faire "ITARisées" ces technologies.
Les industriels de la défense s’étaient cependant habitués à un certain confort au sein de l’ITAR : le système a ses règles, restrictives et strictes certes, mais claires et connues. Les industriels découvrent un système EAR plus compliqué en fait que l’ITAR, en particulier avec les nombreuses exemptions et de dérogations utilisables : il s’agit pour eux de passer d’une logique mathématique à une logique de grammaire, contrastant la certitude des mathématiques et les règles complexes où l’exception est paradoxalement la règle.
Les industriels de part et d’autre de l’Atlantique mettront sûrement plusieurs mois ou années à pratiquer avec aisance ce nouveau système, mais une fois cette période d’adaptation passée, ce sont ces centaines de milliers d’articles, autrefois interdits d’exportation, ou difficilement exportables des US, qui viendront concurrencer ceux européens.
À chacun donc de continuer à rester informé sur ces changements profonds et de les prendre en compte dans sa stratégie afin d’en tirer le meilleur parti.
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