Pour la première fois depuis que Washington a imposé de nouvelles sanctions contre de hauts responsables russes, Vladimir Poutine a appelé vendredi Barack Obama pour parler de la proposition américaine de sortie de crise en Ukraine. Cette proposition déjà formulée par les États-Unis va faire l'objet de discussions directes entre les chefs de la diplomatie des deux pays, John Kerry et Sergueï Lavrov, a précisé la Maison-Blanche.
Un peu plus tôt, le président américain avait exhorté la Russie à retirer les troupes déployées le long de la frontière orientale. «Il se peut que les Russes tentent d'intimider l'Ukraine, mais il est possible aussi qu'ils aient d'autres projets», a-t-il dit à CBS, en allusion à une possible invasion par l'est ou par le sud. Les officiels du renseignement américain estiment leur nombre à 50.000 hommes. Mais le Pentagone multiplie depuis quelques jours les déclarations alarmistes sur les mouvements de troupes russes et s'inquiète du camouflage délibéré de leurs positions et de la mise en place de lignes d'approvisionnement logistique susceptibles d'être utilisées pour un déploiement de longue durée, note le Wall Street Journal. Dimanche, le commandant en chef des forces alliées de l'Otan en Europe, Philip Breedlove, avait évoqué «une force russe d'ampleur et très, très préparée». «Il y a assez de troupes positionnées sur la frontière orientale pour courir vers la Transnistrie séparatiste si la décision était prise», avait-il ajouté, craignant que la Moldavie devienne le lieu de la prochaine déstabilisation.
Le secrétaire à la Défense Chuck Hagel affirme que le chiffre des soldats russes ne cesse de croître. «J'ai demandé à mon homologue russe pourquoi ils renforçaient leur frontière occidentale (avec l'Ukraine). Il m'a dit qu'ils n'avaient pas l'intention de franchir la frontière.»
Scénario du pire
Un officiel américain confie au Wall Street Journal que «ce n'est pas le nombre de troupes qui importe: ils ont assez pour entrer et… pour être dangereux. Ce qui importe est leur intention. Et nous n'avons pas d'idée claire là dessus.» Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a indiqué vendredi qu'il avait reçu des assurances de Vladimir Poutine qu'il n'avait «aucune intention» d'envahir le sud ou l'est de l'Ukraine.
Les officiels du renseignement reconnaissent avoir du mal à intercepter des messages russes, en raison de la qualité de la sécurisation des communications. Constatant «qu'il n'y a pas de manœuvres russes» dans la région, le Pentagone a tendance à penser que les troupes amassées pourraient être destinées à déstabiliser l'Ukraine. Ces craintes reflètent la grande peur de Maïdan et du gouvernement ukrainien: que Poutine laisse pourrir la situation à Kiev, en suscitant division et chaos pour ramasser le fruit mûr le moment venu, en prêtant main-forte à une cinquième colonne ukrainienne qui demanderait l'aide amicale de la Russie pour ramener «l'ordre».
Mais, curieusement, à Washington, il semble y avoir une sorte de divorce entre les militaires, inquiets de l'accumulation de faits peu rassurants, et le monde des experts et responsables civils de politique étrangère, qui se refusent à croire au scénario du pire.