13/11 LesEchos.fr (Reuters)
L'effet Mali et le relatif soulagement d'avoir échappé au pire en période de restrictions budgétaires ont vite cédé la place à de nouvelles inquiétudes pour l'armée de terre française, qui craint une addition plus salée que prévu.
Si le Livre blanc et la Loi de programmation financière (LPM) qui en a découlé ont écarté les scénarios les plus dramatiques, les milieux militaro-industriels redoutent les effets des arbitrages décidés par le gouvernement.
L'armée de terre, particulièrement touchée une fois plus, sait déjà qu'elle devra fermer plusieurs régiments et s'accommoder de blindés vieillissants pendant encore plusieurs années. Ses cadres s'interrogent à voix haute sur la capacité de leurs troupes à pouvoir mener efficacement des opérations extérieures dans un avenir proche.
En passe d'être votée par le Parlement, la LPM 2014-2019 avait été saluée lors de sa présentation début août comme un compromis entre la nécessité de réduire les déficits publics et celle de préserver la cohérence de l'outil militaire français.
Sur ses quelque 280.000 emplois, la deuxième armée d'Europe après celle du Royaume-Uni va en perdre 34.000 d'ici à 2019.
Cela était connu, de même que le fait que le budget de la défense sera gelé à hauteur de 31,4 milliards d'euros pour les trois prochaines années, soit son niveau 2013, représentant 11,3% du budget total de l'Etat.
Mais les milieux militaro-industriels craignent un régime plus sec encore, notamment parce sur les 190 milliards promis pour l'effort de défense sur la période 2014-2019, 6,1 milliards reposent sur des ressources exceptionnelles incertaines.
Ces dernières doivent provenir notamment de la cession de biens immobiliers et de participations de l'Etat dans des entreprises publiques ainsi que de la vente de nouvelles fréquences très recherchées par les opérateurs de téléphonie mobile dont le produit, estimé à plusieurs milliards d'euros, reviendra intégralement au ministère de la Défense.
"Il est de mon devoir de rappeler que cette loi de programmation militaire est bâtie sur des fragilités, qu'elle prend des risques et que donc (...) nous devons être vigilants car les dérives budgétaires pourraient avoir de désastreuses conséquences", dit Christian Mons, président du Groupement des industries de défense terrestre (Gicat).
MOINS 30% POUR L'ARMEMENT
Pour ce dernier, la LPM repose sur des paris, notamment les recettes exceptionnelles et la vente à l'export de Rafale, dont rien n'assure qu'ils seront tenus. Les dotations budgétaires pour les surcoûts des opérations extérieures sont par ailleurs en réduction sensible et en deçà des besoins constatés, dit-il.
"Nous faisons l'hypothèse du respect des budgets jusque dans leur exécution mais nous sommes lucides et nous savons aussi que, sauf gigantesque surprise, ce ne sera pas le cas", ajoute-t-il en rappelant qu'aucune LPM n'a été respectée dans le passé.
Les industriels signalent que les ressources prévues pour les grandes opérations d'armement classique et la dissuasion s'élèvent à environ 10 milliards d'euros par an, soit un retrait de l'ordre de 30% au total par rapport à la précédente LPM.
Si certains grands programmes sont maintenus, d'autres seront retardés, notamment Scorpion, indispensable plan de modernisation d'un parc de blindés vieillissants, avec l'horizon 2019 pour les premières livraisons, déplore un officier supérieur du contrôle général des armées.
photo Guillaume Belan (FOB)
"Pas grand-chose n'est fait pour combler nos lacunes connues, notamment en matière de drones et d'avions de ravitaillement, sans parler des chars et des hélicoptères, et on attend avec une certaine appréhension la clause de revoyure de 2015", dit-il en référence au réexamen de la LPM à mi-parcours, qui se traduit généralement par un nouveau tour de vis.
Quant au plan social rendu nécessaire par la suppression programmée de 34.000 postes, il n'a été qu'ébauché avec l'annonce le mois dernier par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, de la fermeture d'un seul régiment, le 4e Régiment de dragons installé à Carpiagne, près de Marseille.
D'autres unités sont menacées, notamment la très symbolique brigade franco-allemande, dont l'état-major est stationné à Müllheim, en Allemagne, où l'affaire suscite beaucoup d'émoi.
"Il faudra certainement attendre après les municipales pour savoir exactement à quelle sauce on sera mangé", dit un général.
PLUS AUCUNE MARGE
L'armée de terre, traditionnelle variable d'ajustement selon les termes d'un cadre de son état-major, sait donc déjà qu'elle perdra plusieurs régiments, des hélicoptères et des chars.
"Rien dans l'environnement international ne justifie un tel désengagement, bien au contraire", fait valoir Etienne de Durand, directeur du centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (Ifri).
Ce spécialiste des questions stratégiques et militaires rappelle que les Etats-Unis abandonnent leur rôle de protecteur de l'Europe pour se tourner vers l'Asie, que les tensions avec la Russie grandissent et que plusieurs régions sont très instables, notamment le Proche-Orient et la zone sahélienne.
Le ministère de la Défense "s'en tire un peu moins mal" que ce qui était redouté, succès de l'opération Serval aidant, mais ne dispose plus d'aucune marge, estime le chercheur.
L'Europe de la défense, présentée par Jean-Yves Le Drian comme un recours, reste à l'état embryonnaire et toutes les armées du continent doivent se serrer la ceinture, y compris au Royaume-Uni, l'autre géant militaire du Vieux Continent.
L'ambitieuse coopération militaire entre Paris et Londres définie par les accords de Lancaster House en 2010 progresse à tout petits pas. L'Allemagne est quant à elle quasiment absente des opérations extérieures, explique Etienne de Durand.
Le général Bertrand Ract-Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre, respecte les choix faits par le gouvernement et qualifie la réduction des déficits d'objectif de souveraineté au même titre que la sécurité nationale.
L'armée de terre respectera son contrat et la déflation d'effectifs sera conduite à son terme mais elle doit disposer des crédits nécessaires, sous peine de s'exposer à des échecs sur le terrain, a-t-il dit mardi lors d'un débat devant un parterre de décideurs du secteur de la défense.
La crise n'est pas simplement sécuritaire mais d'abord financière et il appartient à l'ensemble du monde économique de contribuer à l'effort de guerre, a-t-il estimé.