24/07/2013 Stéphane Dugast - Marine Nationale
C'est l'avis du CF Marc Grozel, chef de détachement drones du CEPA/10S et chef de mission sur le patrouilleur L’Adroit pendant les déploiements du drone S-100 Camcopter désigné dans la Marine par l’acronyme: SERVAL (pour Système Embarqué de Reconnaissance Vecteur Aérien Léger). Questions à un expert et un praticien aguerri.
Commandant, pourquoi la Marine met-elle désormais en œuvre un drone sur le patrouilleur L'Adroit?
- CF Marc Grozel: «Faisons d’abord le distinguo sur les types de drones militaires existants. Les plus connus du grand public sont les drones de théâtre à voilure fixe mis en œuvre depuis la terre pour des missions de longue durée. Ce sont ceux qui ont notamment volé en Afghanistan. La Marine met, quant à elle, en œuvre un drone tactique depuis la plate-forme hélicoptère d’un bâtiment en mer, en l’occurrence L’Adroit depuis le printemps 2012. Vous savez, la complexité de mise en œuvre des véhicules aériens, notamment lors des phases de décollage et d’appontage, a longtemps constitué un frein majeur à l’intégration navale des drones. Nous assistons donc bien à un véritable saut technologique et conceptuel. Beaucoup de sceptiques pensaient que nous n’y arriverions pas, le détachement drone du CEPA/10S a démontré le contraire.
Pourquoi l'avoir précisément intégré sur le patrouilleur L'Adroit?
Parce qu’intégrer un drone sur un bâtiment ne se fait pas instantanément! Il y a des paramètres d’intégration qu’il faut définir et adopter. Grâce à L’Adroit, nous avons pu bénéficier d’une intégration complète et poussée du drone au sein du navire, notamment grâce à la possibilité d’installer l’antenne de liaison de données dans le mat central Une fois le vecteur drone intégré, ce dernier offre une véritable plus-value opérationnelle au commandement car il permet d’obtenir, en temps réel, une image des pistes radar de la zone d’opérations, avec des pistes hors de portée visuelle et radar du bâtiment. De surcroît, un drone équipé d’un ensemble optronique est, pour un commandant, une véritable caméra déportée qui lui permet de suivre des actions comme par exemple une inspection sur un navire de pêche.
Chef de mission sur L’Adroit pendant les déploiements du drone, racontez-nous comment s’opère le vol d’un aéronef sans humain à bord?
Un pilote fait décoller le drone en mode semi manuel, au moyen d'un joystick et de commandes, depuis la plate-forme hélicoptère. Ce décollage en visuel effectué, le pilote rejoint l'équipage du drone situé en passerelle navigation. Pour le système Serval, l’équipage est constitué de 3 personnes. Le chef de mission gère la mission à travers la station de contrôle. Il assume le rôle de commandant de bord comme sur un aéronef «classique». Ce pilote externe permet, à partir du poste de pilotage installé en passerelle, à tout moment, de reprendre le vecteur aérien en mode manuel. Sur Serval, il participe à la sécurité des vols. L’autre opérateur est lui responsable de la charge utile – soit l’ensemble optronique - qu’il doit contrôler et dont il doit exploiter les données. Quant au vol à proprement dit, il s'effectue en envoyant au drone des «ordres de haut niveau(1)» grâce à un logiciel dans lequel le chef de mission rentre des way points, soit autant de coordonnées directement envoyées au drone. Pour chacun de ces points, l’opérateur peut faire changer la vitesse, l'altitude, se mettre en stationnaire ou en orbite. C’est le contrôle, en temps réel, de ces paramètres qui permet une gestion dynamique du vol et l’adaptation des trajectoires. Sur le SERVAL, un vol peut durer jusqu’à 5 heures et sa configuration s’opère en fonction des besoins exprimés par le central opérations du navire. C’est évidemment une nouvelle voie pour l’aéronautique navale.
Commandant, quelles sont vos prochaines échéances?
S’inscrivant dans le programme SDAM (NDLR : Système de Drone Aérien Marine), participer aux expérimentations du drone Serval est forcément très gratifiant. Car, nous sommes en train d’écrire une nouvelle page de l’aéronautique navale. Et puis, nous sommes en avance sur les autres marines européennes. Échappés devant le peloton, nous devons faire attention à ne pas nous faire doubler sur la ligne d’arrivée ! (rire) Plus sérieusement, les objectifs pour nous sont bien de poursuivre la phase consistant à caractériser les performances militaires du futur système de drone. À cette fin, l'essentiel pour nous est donc vraiment d'accumuler des heures de vol pour continuer à mieux cerner le domaine d’emploi du vecteur aérien. Nous poursuivons la validation des procédures de mise en œuvre depuis un navire opérant en haute mer pour en valider le concept. Il nous faut continuer à emmagasiner de l'expérience car il s'agit bien de tirer un maximum d’enseignements pour les futurs drones de la Marine, qui ne seront d'ailleurs probablement pas des drones S-100 Camcopter. Par ailleurs, nous étudions d’ores et déjà l’intégration du vecteur drone sur d’autres types de bâtiments de la Marine. En résumé, il nous faut préserver nos savoir-faire tout en œuvrant à ce la filière Drone devienne attractive dans la Marine. On ne peut dès lors pas dire que nous ne manquons pas de défis!»
(1)Comme des variations de cap, vitesse, altitude, des choix de différents Patterns
L’un est officier correspondant de l’État-major de la Marine (Ocem) en charge de la cohérence organique de la force aéronautique, l’autre est officier de programme drone, les deux sont des spécialistes du Système Embarqué de Reconnaissance Vecteur Aérien Léger (SERVAL), soit le drone tactique récemment mis en œuvre depuis le patrouilleur de surveillance océanique L’Adroit. Entretien avec le CV Olivier Dufit et le CC Raphaël Burgun.
- CC Raphaël Burgun: «D’abord, citons quelques chiffres évocateurs… Ce sont plus de 120 heures de vols et près de 200 appontages de jour comme de nuit que le système de drone S-100 Camcopter fabriqué par l’industriel Schiebel (NDLR: désigné dans la Marine par l’acronyme SERVAL pour Système Embarqué de Reconnaissance Vecteur Aérien Léger) a réalisé depuis ses débuts en 2012. Innovante et originale à plus d’un titre, cette expérimentation d’un drone à voilure tournante sur un bâtiment à la mer a pu se réaliser en partie grâce au partenariat existant entre la marine et DCNS sur le patrouilleur d’expérimentation L’Adroit.
- CV Olivier Dufit: Vous savez, nous sommes la première marine européenne à avoir déployé, en autonome, un détachement de drone sur un bâtiment à la mer pendant une longue durée. Cette expérimentation s’est concrétisée par trois temps forts, dont les premiers vols opérationnels en mai et juin 2012 lors de la mission «Thon rouge». En août 2012, nous regrettons la perte du premier drone en mer à la suite d’une défaillance mécanique. La garantie a permis, après enquête et discussions avec la DGA et les industriels, disposer d’un nouveau vecteur en janvier 2013. Au cours du déploiement de l’Adroit en océan Indien et en Asie, et grâce à son intégration à la mission «Atalante», nous avons mis en œuvre le SERVAL dans un environnement opérationnel mais toujours dans le cadre de notre expérimentation. Autant d’expériences riches d’enseignements car elles se sont déroulées aussi bien dans le cadre d’une mission de police des pêches en 2012 que dans celui de missions de surveillance côtière. En corollaire, ces déploiements ont permis de participer pleinement avec L’Adroit à ses missions de soutien à l’export au profit des industriels.
- CC Raphaël Burgun: À l’occasion du dernier déploiement, nous avons mis en œuvre et expérimenté deux charges utiles, soit deux capteurs électro optique: une Agile 2 fourni par Thales et une MX10 prêté par CAE Aviation. Le SERVAL a permis d’offrir et garantir au commandant de L’Adroit, en temps réel, une capacité d’identification des pistes détectées par le bâtiment, de suivi de l’activité à bord des bâtiments d’intérêts tout en restant à distance de sécurité et en toute discrétion. Il permet également dans certain cas de détecter des pistes au-delà de la portée radar du bâtiment. Un drone équipé d’un ensemble optronique est donc pour un commandant un véritable capteur déporté qui lui permet de suivre toutes les actions menées, comme par exemple une inspection sur un navire de pêche ou d’investiguer à distance sur une piste jugée potentiellement dangereuse.
- CV Olivier Dufit: L’idée maitresse de cette expérimentation SERVAL est bien de participer à la préparation in fine du programme SDAM (Système de Drones Aériens Marine) dont la mise en œuvre est prévue à l’horizon post 2020. Ce programme s’inscrit dans une logique de complémentarité entre le drone et l’hélicoptère embarqué. Le drone ne remplacera pas l'hélicoptère, il s’agit bien d’un moyen complémentaire, permettant d’optimiser l’emploi de l’aéronef piloté. Au drone, les missions longues, et fastidieuse, voire dangereuse, celles du bas du spectre. A l’hélicoptère, les missions complexes, là ou la plus value humaine est indispensable.
- CC Raphaël Burgun: Les deux moyens sont donc bien complémentaires. Le drone réalisera les missions de surveillance et l’hélicoptère sera dédié aux missions d’intervention. L’emploi de drone va permettre, aux pilotes d'hélicoptères et à leurs équipages de se concentrer sur des missions phares nécessitant finesse, analyse et jugement in situ.
- CV Olivier Dufit: Ce couplage drone/hélico répond également à des impératifs économiques. Un drone permet d’augmenter significativement, en termes de durée et à moindre coût au nautique carré surveillé, la capacité d’un bâtiment à assurer la maîtrise de son environnement tactique en surface, en haute mer ou à proximité du littoral. Prenons l’exemple d’un bâtiment de la Marine assurant actuellement l’escorte d’un navire civil du Programme Alimentaire Mondial, le transit s’effectue à environ 3 nœuds. Une vitesse faible dans une zone à risque qui n’offre pas une vision du théâtre d’opération suffisamment large. Disposant d'un potentiel contraint de vol d'hélicoptère par jour vol hélicoptère par jour, le commandant doit souvent procéder à un savant arbitrage. Avec un drone à bord (comme le SERVAL) pouvant voler jusqu’à 4h30, ce type d’opérations devient plus confortable, ou tout du moins permet une meilleure surveillance, tout en préservant les moyens pilotés pour des interventions à fortes valeurs ajoutées.
- CC Raphaël Burgun: Quant à l’avenir de l’expérimentation SERVAL, le défi actuel vise à consolider le savoir faire que nous avons acquis depuis 2012. Nous étudions d’ores et déjà l’intégration du SERVAL sur d’autres types de bâtiments de la Marine disposant de plate-forme hélicoptères et en particulier sur la frégate type La Fayette (FLF) après 2014.
- CV Olivier Dufit: … La solution des FLF est à l’étude mais déployer un drone depuis une plate-forme hélicoptère d’un bâtiment ne se fait évidemment pas d’un claquement de doigt. Le sujet est complexe car il s’agit de réaliser l’intégration physique – comme le positionnement des antennes de liaison de données du drone, l’organisation de la maintenance dans le hangar ou le positionnement des opérateurs - ou fonctionnelle comme l’intégration des données provenant du drone dans le système de combat du navire ou la présentation de l’environnement dans lequel le drone évolue aux opérateurs du drone. Nous œuvrons également à définir au mieux tenants et aboutissants du programme SDAM (Système de drones aériens de la Marine) qui devrait être mis en œuvre à l’horizon 2020. Le but c’est bien que le vecteur drone soit le plus performant possible afin de réaliser les tâches fondamentales à toute maîtrise de situation : la détection, et l’identification de piste au-delà de l’horizon radar du bâtiment. Pour cela, le drone devra in fine disposer d’un radar de surveillance maritime. À nous désormais de ne pas dilapider le savoir-faire acquis et valoriser notre expérience. Car, nous avons là une vraie longueur d’avance sur les autres marines européennes… »
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