12/07/2013 Par Véronique Guillermard, Yann Le Galès – LeFigaro.fr
INTERVIEW - Fabrice Brégier, PDG d'Airbus, explique sa stratégie dans la défense. Il précise également que l'Airbus A 400M qui ouvre le défilé aérien du 14 juillet, sera livré à l'armée de l'air fin juillet.
LE FIGARO.- L'Airbus A 400M ouvrira le défilé aérien du 14 Juillet mais le premier appareil n'est toujours pas livré à l'armée de l'air française. Pourquoi?
Fabrice BRÉGIER.- L'A 400M devrait être livré d'ici à la fin juillet. L'appareil a déjà reçu sa certification civile européenne. Le processus de qualification militaire est complexe. Elle doit être réalisée par l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement et les armées clientes. L'important, c'est que l'avion sera livré très prochainement.
Le programme a rencontré des problèmes techniques. Y a-t-il encore des incertitudes?
Les incertitudes sont désormais levées. Tout a été remis à plat en 2009 lorsqu'Airbus a été chargé par EADS de gérer les programmes d'avions de transport militaires. Le contrat signé en 2003 était irréalisable, c'est pourquoi Airbus a repris la main ce qui a permis de faire profiter l'A 400M de notre expérience de gestion de grands programmes. L'A 400M est le plus grand programme européen de défense jamais lancé. Il est d'une complexité redoutable et s'inscrit dans une coopération européenne toujours difficile à gérer. Mais nous avons tenu les engagements pris en 2009.
Compte tenu du dérapage financier, l'A 400M sera-t-il rentable?
C'est le seul programme où l'activité civile subventionne l'activité militaire! Airbus a dû provisionner 4 milliards d'euros en 2009 pour contribuer au sauvetage de l'A 400M et livrer les 174 premiers appareils aux sept premiers pays clients. Gagner de l'argent, c'est jouable grâce à l'export mais ce sera difficile. Dès que l'appareil sera entré en service dans les forces françaises et aura montré ses capacités, il sera un formidable vecteur de promotion à l'export. Nous estimons le marché à 300 avions (hors États-Unis et Chine) sur vingt ans. Nous regardons notamment les marchés d'Asie, du Moyen-Orient et d'autres pays en Europe.
L'A 400M a-t-il ses chances aux États-Unis ?
Toutes les armées du monde seront intéressées. C'est un appareil stratégique qui peut transporter jusqu'à 37 tonnes à des milliers de km. C'est aussi un avion tactique capable de se poser court sur des terrains non aménagés. Il aura une configuration de sécurité civile. Je crois à ses chances sur le marché américain mais à long terme.
Quelle est la prochaine étape dans la défense?
Airbus a réalisé 2,1 milliards de chiffre d'affaires dans la défense en 2012 pour des ventes totales de 40 milliards. Cette activité est rentable. Elle va fortement croître dans les prochaines années. Airbus Military aura plus que doublé son chiffre d'affaires d'ici à 2016.
Son activité s'appuie sur deux autres familles de produits: les Casa, des avions de transport de moyenne capacité leaders sur leur segment. Ensuite, les ravitailleurs multirôle développés à partir de la meilleure plateforme au monde, celle de l'Airbus civil A 330. Il a gagné les compétitions en Grande-Bretagne, en Arabie saoudite, en Australie et aux Émirats arabes unis. Il a été sélectionné en Inde et avait été retenu par le Pentagone avant les élections américaines de 2008. La France prévoit d'en commander 12 fin 2013-début 2014. Notre ravitailleur est une référence mondiale.
EADS prépare un nouveau plan stratégique. Airbus Military a-t-il vocation à chapeauter les activités défense sur le modèle de Boeing?
Avec Tom (Tom Enders, président d'EADS, NDLR), nous travaillons pour donner une nouvelle impulsion au groupe. Nos activités défense qui pèsent 12 milliards au total sont logées dans différentes divisions. Une réflexion est nécessaire. Je proposerai ce qui sera le mieux pour le groupe et ses salariés, dans un souci d'efficacité et rentabilité.
Compte tenu des contraintes budgétaires, craignez-vous que la France réduise sa commande?
La France et son président soutiennent l'A 400M. François Hollande a volé à son bord pour se rendre au Salon du Bourget en juin. Le ministère de la Défense a confirmé le besoin opérationnel. Les Transall sont à bout de souffle. Nous avons une vraie urgence opérationnelle. Le livre blanc a inscrit une cible de 50 avions de transport.
Le ministre de la Défense a averti que tous les grands programmes seraient décalés…
Nous avons conscience des contraintes budgétaires et des décalages de livraison qui risquent d'être décidés. Nous avons un contrat avec 7 pays et ne dépendons pas d'un seul client. L'important, c'est que la France soit la première à se doter d'une force de frappe opérationnelle autonome en matière de transport.
Qu'attendez-vous du Conseil de défense européen fin 2013?
Depuis quatre ans, on ne parle plus d'Europe de la défense. Que les chefs d'État tiennent un Conseil de défense, c'est un bon signal. Il est nécessaire de redonner une impulsion politique. De leur côté, les industriels ont mûri. Ils sont mieux organisés pour travailler ensemble. Mais sans la volonté affichée d'au moins la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, on n'y arrivera pas. Et on passera à côté d'un grand programme de drone de surveillance alors que les industriels ont fait des propositions.