02 juin 2013, par François Chauvancy - Défense et sécurité
L’Europe de la défense fait l’attention d’une grande attention… au moins en France comme toujours. Elle était loin d‘être absente du Livre blanc comme l’a rappelé le président de la République lors de son discours le 24 mai à l’Ecole militaire, « La défense de la France est aussi la sécurité de l’Europe ». Il me semblait donc utile de faire un état de cette défense de l’Europe. La diffusion par l’Assemblée nationale d’un rapport sur l’Europe de la défense le 9 avril 2013 donne cette opportunité.
Document dense, intéressant, il répond bien sûr au souhait du gouvernement de relancer l’Europe de la défense. Le rapport a été soutenu par une « petite loi » parlementaire le 4 mai 2013 qui en a déduit un certain nombre d’objectifs. Il reconnaît cependant que les instances sont trop en retrait pour un objectif finalement bien ambitieux.
Vers une référence permanente à l’approche globale dans la gestion des crises
Ce rapport constate que les instances en charge de l’Europe de la défense peinent à trouver leur place, que les missions devraient s’inscrire clairement dans le cadre d’une approche globale de prévention des conflits, que les coopérations capacitaires, industrielles et technologiques devaient être soutenues, enfin qu’une coopération structurée permanente devrait être développée dans le sens des conclusions du conseil européen des 13 et 14 décembre 2012.
Sur son organisation largement développée, il est rappelé que le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, jusqu’en novembre 2014 Catherine Ashton, a d’importantes responsabilités. Il dispose d’un droit d’initiative qu’il peut exercer seul ou avec la Commission. Cependant, son travail a fait l’objet de bien des critiques, y compris dans sa communication (cf. B2, ce 30 mai, boycott des photographes). Elle est assistée du Service européen d’action extérieure (SEAE) qui fait office de service diplomatique européen et emploie quand même 1 670 agents (budget 2012) sans tenir compte des « agents locaux » dans les délégations (en tout, 3600 agents enfin 2011).
Je retiendrai surtout que ce rapport fait référence à une approche globale ou « intégrée » des conflits, contenue dans le traité de Lisbonne, pour assurer une meilleure coordination des différentes institutions dédiées à l’action extérieure de l’Union européenne.
Un concept militaire sur ce thème a été diffusé en janvier 2011 et définit cette approche globale qui « vise à la prévention ou au règlement durable et rapide d’une crise par la synergie des actions réalisées par les différents intervenants dans les domaines de la gouvernance, de la sécurité et du développement économique et social.
Elle allie collaboration entre acteurs partageant la même vision finale et coordination avec les acteurs présents sur le théâtre. Elle nécessite, dès que possible, une appropriation par la nation hôte et les représentants locaux de la solution recherchée. Elle favorise les conditions permettant de satisfaire au plus vite les aspirations légitimes de la population. Enfin, elle cherche à associer les acteurs régionaux à cet effort. »
Une insatisfaction globale
Ce rapport a rappelé l’objectif ambitieux d’une défense commune inscrit dans le Traité de Lisbonne en vue de parvenir à la « définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune » lorsque le Conseil européen l’aura décidé à l’unanimité.
Outre la clause de défense mutuelle (comme dans la charte de l’OTAN), les missions comportent désormais les « actions conjointes en matière de désarmement », les « missions de prévention des conflits » et les « opérations de stabilisation à la fin des conflits ». Il est par ailleurs précisé que « toutes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire ». L’intervention paraît bien exclue du champ de l’Europe de la défense, laissant la place à l’OTAN, aux interventions ad hoc ou nationales
Cependant cette volonté est entravée non seulement par le respect nécessaire des souverainetés nationales mais aussi par la multiplicité des organismes créés au fur et à mesure des années et que le rapport liste. Je ne retiendrai que les références au peu de poids du corps européen et de la brigade franco-allemande qui, à titre ou à un autre, auraient pu servir au Mali. Ce rapport fait d’ailleurs largement référence à l’échec de l’engagement de l’Union européenne au Mali sans enseignement si je me fie à ce coup de gueule de B2 mais aussi à sa proposition sur une obligation d’engagement des états membres ce 28 mai.
Ne parlons pas des « battle group » évoqués aussi dans ce rapport pour leur inutilité en terme d’emploi (cf. la mise en alerte du BG britannique). Un séminaire international sur leur efficacité sera organisé à Londres en octobre 2013. On peut s’étonner de cet activisme britannique et se poser la question des arrière-pensées devant un outil qui ne sert à rien aujourd'hui.
Un point positif est cette expression au moins publique de meilleurs rapports entre civils et militaires comme en témoigne cette passation de commandement ce 29 mai 2013. La cérémonie de passation des pouvoirs entre le nouveau chef de l’état-major de l’UE, le général autrichien Wolfgang Wosolsobe et son prédécesseur, le général néerlandais Ton van Osch, a eu lieu en présence du personnel civil du SEAE. Là encore tout est symbole.
Considérons cependant l’aberration dénoncée (plus diplomatiquement) au sein de ce rapport d’avoir nommé une Britannique à la tête de la diplomatie européenne d’autant que les critiques négatives du Royaume-Uni n’ont jamais cessé à l’encontre de l’Union européenne. Je pourrai ajouter que, certes d’une importance limitée mais tout est symbole, la Turquie est toujours une nation associée au Corps européen et fournit des forces à l’opération européenne Eufor Althéa en Bosnie-Herzégovine. Comment les Européens peuvent-ils être crédibles en rendant illisible leur identité ?
Des actions discrètes sur des théâtres de conflit
L’ensemble des opérations militaires et civiles, passées ou en cours sont évoquées. On y découvre l’échec d’Eufor-Lybie décidée début avril 2011 et qui a pris fin à la mi-novembre 2011 sans avoir débuté. Le feu vert des Nations Unies n’a jamais été donné. L’Union européenne affiche son incapacité à s’affirmer.
Dans les missions civiles, on découvre EUJUST LEX en Irak. Cette opération civile de gestion de crise a débuté sur le terrain en juillet 2005, avec pour objectif de renforcer la primauté du droit en Irak et d’y promouvoir une culture de respect des droits de l’homme. Les Européens ont ainsi formé au cours des sept dernières années plus de 5 000 personnels au système pénal irakien dont il faudra évaluer l’efficacité. Sont déployées en Palestine EUDAM Rafah et EUPOL COPPS (cf. B2 ce 1er juin 2013). En Afghanistan, EUPOL fournit au sein des PRT (tiens, tiens, la France est pourtant contre ? Voir aussi mon billet du 4 mars 2012) une expertise en matière d’opérations civiles de maintien de l’ordre ainsi que des compétences spécialisées en matière d’État de droit.
Cependant, les opérations en Afrique montrent un glissement – positif à mon avis- vers des opérations réellement dans l’esprit de l’approche globale. Je pourrais même écrire que relire David Galula et sa théorie de la contre-insurrection trouve ici tout son sens avec l’intégration des civils et des militaires dans un même état-major. Certes le contexte est différent mais la gestion de crise, sinon la sortie de crise, font face à des situations qui se rapprochent de ce type de conflit par certains aspects.
En Afrique, l’Union européenne est engagée dans EUCAP SAHEL Niger depuis 2012 pour appuyer la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Grâce à ses éléments de liaison, la mission vise à renforcer la coordination régionale avec le Mali et la Mauritanie. A partir de l’expertise militaire intégrée, ce type de mission de renforcement des capacités des forces de sécurité et de défense a vocation à être proposé aux autres États de la région. « L’habillage » d’une opération civile reste de rigueur !
De même, EUCAP NESTOR dans la Corne de l’Afrique est une mission civile menée dans le cadre de la PSDC, dotée d’une expertise militaire. Pour lutter contre la piraterie, son objectif vise à renforcer les capacités maritimes des États de la Corne de l’Afrique et de l’Océan indien occidental, essentiellement Djibouti, le Kenya, les Seychelles, la Somalie et la Tanzanie. Fin juillet 2012, l’amiral français Jacques Launay a été nommé chef d’EUCAP NESTOR, donc un militaire, autre signe encourageant au titre de l’efficacité et du pragmatisme ?
En guise de conclusion
Pour conclure sur ce rapport qui préparera les universités de la défense des 9 et 10 septembre 2013, se posent les problématiques des moyens et du financement. Pour les opérations militaires, le mécanisme de financement européen Athéna Créé en 2004 n’atténue que très légèrement le principe selon lequel les opérations militaires et de défense sont à la charge des États membres qui les mènent. Ces dépenses, divisées entre les États selon une clé de répartition en fonction de leurs PIB respectifs, ne couvrent qu’environ 10% du coût total d’une opération militaire, le reste demeurant à la charge exclusive des États participant à celle-ci.
La proposition 23 de la « petite loi » parlementaire du 4 mai 2013 trouve ici toute sa justification : « une part des crédits affectés par certains États à la sécurité de l’Europe ne soit pas prise en compte dans le calcul des déficits budgétaires des États plafonnés à 3 % ou que soit créé un mécanisme de dédommagement tenant compte de l’effort particulier de certains États pour le financement d’un bien public européen ».
Par ailleurs, paradoxe en cette période de réduction des capacités militaires, ce rapport regrette la diminution significative de la contribution de la France aux missions PSDC car « elle est de nature à entamer la crédibilité de notre pays vis-à-vis de ses partenaires européens ».
C’est aussi le souhait de maintenir la synergie civilo-militaire. La volonté européenne pourra être testée avec le lancement de l’opération civile EUBAM en Libye ce 27 mai pour l’assistance au contrôle de la frontière de la Libye dont je distingue peu l’expertise militaire dans une zone à risques et au contact de la zone de conflit du Sahel. Comment exclure une approche militaire dans cette gestion de crise ?
Enfin la réflexion sur la mutualisation par les rapporteurs de ce rapport mérite d’être soulignée en guise d’alerte à toutes les tentations : « Afin de préserver les souverainetés nationales, les droits et devoirs associés aux différents degrés possibles de mutualisation doivent être clairement définis. La mutualisation peut bien sûr générer des économies d’échelle, augmenter notre efficacité commune, maintenir notre interopérabilité, combler des trous capacitaires.
Mais elle peut aussi entraîner une perte de capacité nationale par la perte d’une capacité mutualisée, puis abandonnée par l’Europe (…). C’est pourquoi, quels que soient les impératifs budgétaires, elle doit toujours être envisagée avec une certaine prudence. »
Je conclurai en évoquant la possibilité pour chacun de s’informer régulièrement sur l’évolution de l’Europe de la défense par les lettres bimestrielles de la représentation militaire française de l’Union européenne (http://www.rpfrance.eu/-Lettres-de-la-Representation-.html).