28/5/13 LAURENT LARCHER, à TESSALIT - la-croix.com
Du 26 février au 4 mars, les Français engagés au Mali ont livré dans la vallée de l’Ametettai, dans l’Adrar des Ifoghas, la bataille la plus violente de leur intervention. Le commandant des forces terrestres de l’opération Serval, le général Barrera, a raconté à La Croix ce combat
Devant le poste de commandement encore debout du camp de Tessalit, un carré de 1 km sur 1 km balayé par le vent du désert et construit par l’armée américaine dans les années 2000 sur les flancs de l’Adrar des Ifoghas, dans l’extrême nord du Mali, le général Bernard Barrera dépose son quart de café sur le capot couvert de sable d’une P4 (jeep militaire). Un biscuit sec tiré de sa ration du jour, son pistolet automatique le long de son treillis, le commandant des forces terrestres de l’opération Serval goûte à ces quelques minutes de solitude et de calme dans les premières lueurs de l’aube.
De ce PC du bout du monde, cet homme a conduit la bataille la plus dure, la plus violente et la plus âpre de la campagne du Mali. Elle a été livrée à pied, chaque fantassin pouvant voir le visage de son ennemi, tuant au plus près celui qui voulait le tuer. Un combat à mort entre 1 200 soldats français au sol et des centaines de combattants d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) aguerris et déterminés à combattre au cri d’« Allah Akbar ».
La montagne aux mains des djihadistes
Cette lutte s’est déroulée dans un lieu particulièrement hostile, la vallée de l’Ametettai, un bassin lunaire de pierre et de sable de l’Adrar des Ifoghas. Aqmi avait sanctuarisé tout le massif, construit dans la roche des positions de tir, investi des grottes naturelles, occupé les puits d’eau, chassé les habitants. Les djihadistes étaient les maîtres de la montagne.
« Jusqu’au 19 février, la libération du Mali du Nord s’était déroulée sans accrocs, se souvient le général français. Nous avons libéré Gao le 26 janvier, Tombouctou le 28 janvier. Le 8 février, un premier escadron prend position à Tessalit (500 km au nord de Gao). Le 14, il est rejoint par un bataillon du 2e REP, soit 600 parachutistes. Je les envoie aussitôt grenouiller dans le massif. Les Tchadiens arrivent de leur côté à Kidal, au sud-est de l’Adrar. Le 19 février, premier contact avec l’ennemi. Une embuscade violente. Le sergent-chef Harold Vormezeele du 2e REP est tué. Les blindés sont engagés, ils tirent une trentaine d’obus. Mais l’ennemi ne cède pas. J’envoie deux hélicoptères Tigre pour mitrailler les défenses djihadistes. Les paras et les blindés maintiennent leurs positions pour bloquer la sortie de la vallée. » Ce 19 février marque un tournant : après avoir refusé le combat, les djihadistes sont résolus, désormais, à l’engager.
« Les phrases étaient courtes, les visages tendus »
Le 22 février, le corps expéditionnaire tchadien pénètre dans la vallée de l’Ametettai par l’est. Les djihadistes les attendaient. Les pertes des Tchadiens sont importantes : 26 tués et 70 blessés ! Le général Barrera suspend ses opérations le temps de les secourir. « Cela nous a pris deux jours pour évacuer les blessés, dit-il. Au même moment, je monte à Tessalit pour y prendre mes quartiers. Je ne le sais pas encore mais je vais y rester six semaines. Le 25 février, je réunis mes hommes pour leur dire qu’ils vont investir l’Ametettai afin de soulager nos amis tchadiens, qu’ils vont devoir combattre des hommes déterminés, disséminés dans des positions de défense, que nous allons subir des pertes et qu’il faudra continuer le combat. Les phrases étaient courtes, les visages tendus. Je nous donnais cinq à six jours pour prendre cette vallée : au-delà, nous dépassions nos résistances physiques. Il faisait plus de 50 °C, les hommes partaient en autonomie dans un milieu hostile et extrêmement compliqué pour le ravitaillement. À 1 750 km de Bamako, notre soutien logistique ne pouvait qu’être aérotransporté avant l’arrivée du premier convoi logistique à travers le désert. J’envoie environ 600 paras dans le nord de la vallée. Un mouvement tournant rapide dans lequel je mobilise tous les véhicules disponibles. »
Une lente progression
Les paras roulent une dizaine d’heures, de nuit, dans des camions de fortune, avant d’être lâchés sur le flanc nord de la vallée. « Le 25 février au soir, les ordres étaient donnés, les hommes engagés ; comme beaucoup de mes soldats, j’admirais le ciel d’Afrique parsemé d’étoiles et j’ai prié Dieu en silence ». Aussitôt arrivés, le 26 février, ils partent à pied vers le sud. À l’ouest, le 1er Rima est chargé de pénétrer dans la vallée, en direction des Tchadiens. Ils sont appuyés par quatre mortiers de 120 mm et deux canons Caesar, tout juste arrivés de Gao. « Avec leur portée de 40 km et leur précision chirurgicale, je savais qu’ils nous seraient très utiles », lance le général.
Mais la progression du 1er Rima est vite bloquée par les mines et le feu ennemi. Au nord, les paras avancent lentement. Ils font face à des djihadistes fanatisés. Blessés, ceux-ci continuent à se battre, chargent désespérément les soldats, se font tuer à bout portant. Des adolescents d’une quinzaine d’années, endoctrinés, sont faits prisonniers.
Pendant trois jours, les Français ne progressent pas. L’issue de la bataille de l’Ametettai est incertaine. Toutes les forces dont dispose le général Barrera à Tessalit sont engagées dans l’affrontement. Les blindés, les Caesar, les hélicoptères et les avions pilonnent la vallée. En deux jours, les Français tirent 250 obus de mortier. Le 27, ils n’en ont plus. Au même moment, un avion atterrit à Tessalit pour y débarquer des munitions. Elles sont aussitôt envoyées en première ligne, de nuit, par hélicoptère.
2 000 hommes, 800 obus, 40 000 balles
« Cinq de mes gars ont été directement sauvés grâce à leur gilet pare-balles. D’autres ont eu beaucoup de chance, comme ce soldat qui a reçu une balle entre l’oreille et le casque. Cela ne pouvait pas durer. Il fallait que l’on débloque la situation. Ce 27 février, nous repérons une concentration de pick-up djihadistes au sud de la vallée. Il doit y avoir une quarantaine de terroristes. Je fais intervenir les Caesar et l’aviation. Ils leur font très mal, comme on peut l’entendre dans leur communication radio. Je demande au 1er Rima d’avancer, de prendre encore plus de risques, de percer le verrou de l’Ametettai. Le temps presse. »
Simultanément, au centre de la vallée, les paras montent à l’assaut des lignes ennemies, s’emparent des puits d’eau, attaquent et asphyxient les djihadistes. Le caporal Cédric Charenton est mortellement blessé le 2 mars. « Le moral des djihadistes flanche : ils n’ont plus d’eau, plus de communications, plus de grands chefs. La vallée tombe le 3 et le 4 mars, le 1er Rima et les Tchadiens font leur jonction avec les paras. Nous avions brisé la colonne vertébrale d’Aqmi. Il nous a fallu encore cinq semaines pour explorer tout l’Adrar des Ifoghas. Mais le combat le plus dur venait d’être livré. Nous n’avions pas connu de tels affrontements depuis la guerre d’Algérie. Nous avons tiré 800 obus, 40 000 balles, plusieurs dizaines de missiles antichars, de bombes avion, et mobilisé au plus fort de l’action 2 000 hommes à Tessalit. » Le bilan humain de cette bataille s’élèverait à deux tués et moins de 100 blessés côté Français, entre 200 et 300 morts côté djihadistes.
La vie reprend
« Aujourd’hui, nous gardons environ 350 hommes à Tessalit. À cette heure, 150 sont en opération pour plusieurs jours dans la zone : ils marquent notre présence, rassurent la population, déminent le terrain. Nous avons encore du travail. Mais peu à peu, la vie reprend, les habitants retournent dans leurs villages. C’est un très bon signe pour l’avenir », conclut Bernard Barrera en regagnant son PC. Deux jours plus tard, le caporal-chef Stéphane Duval, engagé au nord de Tessalit, saute sur une mine posée par les djihadistes. Il est tué sur le coup. Deux de ses camarades sont grièvement blessés et rapatriés en France.
L’Adrar des Ifoghas, refuge et repaire
L’Adrar des Ifoghas est un massif montagneux situé dans le nord-est du Mali et le sud de l’Algérie. Il fait partie des principaux massifs montagneux du Sahara, avec l’Aïr, le Hoggar et le Tibesti. Il fait également partie de la zone d’évolution dénommée Azawad par les Touaregs.
La superficie du massif est de 250 000 km2 environ. La région est jonchée d’empilements granitiques sous la forme de blocs très érodés. Les vallées y sont larges et peu encaissées ; elles s’ouvrent à l’est sur la plaine du Tamesna, à l’ouest sur le fossé du Telemsi, au sud vers le bassin occidental de l’Azawagh et au nord sur le Tanezrouft.
Ce massif montagneux situé en plein cœur du Sahara accueille une importante population touarègue, les montagnes jouant dans le désert le rôle de « châteaux d’eau ». On y trouve de nombreuses gueltas (vastes cuvettes d’eau).
Les principales villes du massif ou de sa périphérie sont Kidal, chef-lieu de la 8e région du Mali, Abeïbara, Aguel’hoc, Boughessa, Essouk et Tessalit.